Compas

Tête mobile à la recherche des soupirs,

Comme un hélianthe ploie, je suis las de m'enfuir

Et tangue sur le pont d'une nef de hasard,
Attaché sans frémir au plus fin des espars...

Mudrâ

Comme instrument sentir la main s'abandonner

Qui ne s'attache plus, qu'au-delà, malmenée,

Tout juste déployées ses ailes digitales,

Automate de chair, elle est philosophale.

Ondée

Ce soir tombe la pluie, drue dans mes souvenirs,

Tambourinant le sol sans jamais s'assagir.

Le déluge indompté de la nuit africaine

Au bal des cantharides a poussé sa rengaine.

Violon tzigane

Luluvo regarda le volcan qui grondait,

Jetant des escarboucles aux cris de farfadets,

Il saisit son violon, commença la Musique...

Un volcan fut dompté par des notes magiques.

Aubade

A ta façon de tirer tes accroche-cœurs,

A ton regard qui me fait croire au mot bonheur,

Je lève un verre imaginaire à ta présence

Au point d'avoir comme un espoir de renaissance.

Soif

Mon verre est un abîme à satisfaire en vain,

Ma route est une pente à dévaler sans fin,

Mon cœur est un vortex à aspirer l'amour,

Ma vie est un poëme à lire sans retour.

Xyloglotte

Te souviens-tu, Dorianne, au fil des mots jetés

Par quelque édile imbu de son autorité,

Ton rire assassinait de glaciales cascades

Et portait à la langue de bois l'estocade...

Torpeur

Étrange sentiment que cette lassitude

Entre l'indifférence et la morne hébétude.

On est juste à deux doigts de comprendre la vie

Quand le songe défait l'urgence inassouvie...

Dhâranâ

Je fixe le plancher en bois de peuplier

Rongé, veiné, noueux , taché, dépareillé,

Sourdent de ce chaos lentement les Visages

Ainsi qu'émerge le Bestiaire des nuages.

Déroute

J'ai fermé la fenêtre aux vents mauvais du soir,

Pris ma canne de hêtre et mon vieux béret noir,

Fuis par le chemin creux qui conduit à la Vouivre

Et me suis fourvoyé sur un bateau sans vivre.

Échappement

Caché derrière un vieux monoculaire noir,

Tu saisis le spiral dans un petit tiroir

Et l'ancre minuscule avec tes grosses mains,

Moi, quinze ans, fasciné par un travail si fin...

Pastorale

Cabanes de berger plantées dans les estives

Au loin, quelques brebis dociles qui se suivent

Avançant lentement sur les drailles pentues
Comme un blanc chapelet de laine revêtu.

Saint-Sulpice

Elle, limpide, l'eau de la source, jaillit

Près de la chapelle où je m'étais recueilli

Au cœur de la forêt de Lancosme en été,

Une goutte a suffi pour en être...enchanté.

Rémanence

Comme une intrigue lente et de fils et de faux

Qui surgit des courants d'air issus des caveaux,

Comme un vestige lourd de mémoires enfouies

Le murmure des gens qui ont rogné leur vie.

Rancart

Deux assiettes de grès, quelques tranches de pain,

J'ai fait la soupe et tu arrives par le train.

Tant d'années écoulées, je piétine à la gare

Un œillet dans les mains, te voir me désempare...

Certitude

J'erre en déserts couloirs rassasiés de silence

Et d'huis clos, sans savoir si la vie qui m'élance

Me point en vérité de douleur ou de joie,

Porte ouverte ou fermée la mort est le seul choix.

Rechute

Fine juste à propos, folle ma non troppo,

Tu as tant de classe que tu auras ma peau.

Possible que je tienne encore une semaine

Avant de dévisser de l'amour à la haine...

Oblita via

Mais qui donc se souvient de cette voie romaine

Enfouie sous les ronces où nul ne se promène

A part, dans le hallier, quelques traîne-buissons

Qui donnent à tout empire une belle leçon.

Imagination

Enfourchant le dragon vers le ciel je m'élance

En oubliant qu'en bas tu soutiens ma cadence,

Ô chamane voilée, de tes doigts enlacés...

Volant trop loin de toi, je chois dans l'air glacé.

Boogie Woogie

Ce soir je suis le rythme et je pose mes pas,

La musique s'est tue, mais je ne me tais pas,

Tu laisses tes souliers pour entrer dans la danse,

Alors nous sommes deux à tisser le silence !

Aube

La brume doucement moutonne la vallée.

L'aurore violine aux volutes niellées

Caresse l'étendue comme une main de femme,

Alors, saisi, je vois ta peau nue qui s'enflamme...

Donjon

L'escalier tourne, tourne et les pierres usées

Me racontent les pas des valets méprisés.

Derviche, lentement, dans l'air froid je spirale

Effleuré par l'effroi des présences spectrales.

Oraison

Sous ton regard intense il n'est pas de raison

Qui ne brûle au-delà de toute inclinaison.

Je me tais, tu te tais, nous sommes le silence

Et nos mains suspendues dans leur vol se balancent.

Avoir un grain

Navire à la dérive au cœur du pot-au-noir.

Longue élingue battant à bâbord, va falloir

Aller jusqu'à la barre, arrimer les caissons.

Tout est fureur ici, mis à part les poissons.

Soulane

Sur son chaos rocheux, l'aconit bleu me hante,

Neste aux eaux rouge sang, qui dévale la pente,

Fétuques, nards dressés comme épées à l'envi !

En estive là-haut paissent quelques brebis.

Rose

Roses joues de Maman quand elle revenait

De courses, en son foulard encore emprisonnées...

Roses tes lèvres, Aimée, sans fard, sans artifices,

Pour les miennes toucher plus jamais ne te hisses...

Vérité

Je contemple : pourquoi le tissu vous sied tant,

Que son absence aussi vous convient tout autant ?

La musique a besoin de notes et de silences

Or vous faites bien fi de telles contingences !

Allégresse

La bête du Bois Noir me traque sans répit

Quand pantelant je vois la sittelle jolie :

Une joie m'envahit comme une vague folle,

Alors la bête fuit devant ma farandole !

Kālī câline

Accoudée au comptoir, la Mort amère attend

Que j'aie fini de boire une absinthe d'antan.

Gants longs de satin noir, son regard me fascine,

Quelle beauté fatale aux lèvres purpurines !

Charisme

Croisé sur un trottoir de la rue Jean Calvin

Le samedi trois mai mil neuf cent quatre-vingt

Un sourire de femme et j'en fus entr'aimé

Instant magique ouvert et sitôt refermé.

Stira-sukha

Me regardant d'un œil, de l'autre son grillon,

D'une extrême lenteur, il avance Léon :

Quelle décontraction, quelle impassible allure !

Et quand jaillit sa langue, illico la capture !