Envoi

Près du ruisseau poussent de jolies balsamines

Aux corolles ailées, aux capsules sanguines

Et mes pas lentement battent le sol cuivré.

Se projettent soudain les graines effleurées.

Pulsation

Le monde se dilate et je sens les courants

Par-delà l'illusion des signes apparents.

Le monde se contracte et je perçois la peur

Qui rode comme un loup prêt à mordre le cœur.

Croisée

L'indécence des joies qu'on juge inopportunes

Quand soudain nous échoie une bonne fortune,

Issue de tant de peine et de tant de non-dits,

Ô rencontre incertaine entre deux bouts de vie.

Feu et vent

Les tourbillons de vent portent les escarbilles

Des feux de joie d'antan qu'au fond de tes yeux brillent.

Elles allumeront l'allégresse sauvage

Qui jaillit sans tarir des fous comme des sages.

Rituel

Ressasse sans fléchir un même geste vain :

De la paix de ton cœur il sera le levain,

L'âme prend son essor sur des battements d'ailes

Humblement répétés, ils poussent vers le ciel.

Tailles

J'encoche mon espar en comptant les nuages

Je sais que je n'aurai pas assez de mon âge...

Et j'en aurai sans doute un autre à entailler

Mais vivrai-je assez vieux pour finir le premier ?

Manuscrit

Le papier n'est que fibres empreintes d'innocence,

L'encre une vague noire engorgée dans l'absence

Et la plume indécise ignore la raison,

Toute imprégnée quelle est de son inclinaison...

Lignes

Ô belle libellule aux moirures de ciel,

Tu dessines dans l'air un réseau vectoriel

Comme si tu savais, dans la vie que tu rêves,

Qu'entre deux points la droite est la voie la plus brève.

Galère

La réale repose au fond de l'océan

Le beau coursier de bronze, abrité des courants,

Médite lentement sur les fureurs passées

Et les flots qui claquaient sous l'assaut cadencé...

Topologie

Le mur était trop long pour se mettre d'accord :

Étions-nous en dedans ? Étions-nous en dehors ?

Quelles tristes questions d'amours désorientées,

L'important c'était d'être du même côté...

Clair obscur

Le cristal est tendu comme un liquide lent

Sur la rosace et les arcanes vont hurlant,

Secouant le drapé des poudres lumineuses

Au regard des gisants et des statues lépreuses.

Niccolò

Doigts intrépides sur des cordes assassines,

Caprice agile d'une truite ballerine

Et d'écouter ton pizzicato de dentelle,

L'âme se plie et se tend telle une hirondelle !

Gothique

Tu vas sur les pavés en claquant des talons.

Je gis sur le trottoir tout alourdi de plomb.

Les arches de tes pas comme des cathédrales

Allégeront le poids de ma pierre tombale.

Résurgence

Comme fouissent les fous sur les tertres pleurés

Cherchant les premiers os des géants enterrés

Et les grandes épées niellées de runes d'or,

Du vieux clan de Triskel, nous lèverons les morts !

Reflet

Assise, silencieuse, au bord de l'étang vert,

Vous étiez si sereine en ce matin d'hiver !

Pas le moindre frisson ne vint sur l'eau, ma Dame,

Égale, si limpide au point d'y voir votre âme...

Force une

Tu avais une écharpe de soie si ténue

Que le vent la jetait sur ton épaule nue

D'un geste délicat, d'un élan de tendresse

Et j'étais bien jaloux d'une telle caresse.

Exil

Les machines cliquettent en crachant des fumées

Elles ont gagné la Terre, elles ont tant essaimé

Qu'il nous faut consommer, oublier les mystères

Ignorer nos amours, la vie est étrangère...

Fête Nat.

Au village, le vent, sur les fleurs de papier

Bleues, blanches, rouges, joue, entre les marronniers :

Encre bleue, feuille blanche et le sang rouge vif

Qui prétendument coule avec un bon motif...

Vide plein

Secrétaire à cylindre en ronce de noyer,

Trônant dans le boudoir, tu gardais les papiers.

Qui savait le tiroir, caché sous la moulure,

Vide, en cela porteur de toutes mes blessures ?

Soldes

Caravane de neige, aux wagonnets remplis

De mille sortilèges, mille panoplies

J'eusse voulu ma belle encore des emplettes

Qui fondent au soleil des vaines amourettes.

Entrechat

Le chat n'est pas assis sur Terre, il fait semblant.

Il traverse les murs de son pas nonchalant :

Vous avez donc compris qu'il n'est pas de ce monde,

Entre les univers il passe et vagabonde...

Double jeu

Ô Dorian, sur le quai, tu me dévisageais

Héros d'un roman noir dans lequel je coulais

Mais qu'étais-je pour toi, l'héroïne maudite

Au cœur d'une fiction que tu avais écrite ?

Square

La gloriette parade au milieu du jardin,

Le bassin me reflète avec un plat dédain,

La roseraie s'ennuie à blanchir de pétales

Une allée de soupirs, que le zéphyr étale...

Essence

Souplement, sans à-coup, je suis votre obligé

De secondes et de gouttes de sang mélangé,

Une pente imbécile et rude je gravis.

Qu'en substance ne suis, gorgé de vous, ma vie.

Singularité

Percevoir, au-delà, son cœur comme un trou noir

Et de l'autre côté, l'univers en miroir

En un scintillement d'étoiles amoureuses.

Me retourner le cœur, alchimie somptueuse...

Cosmogonie

Sur un pied, nulle fin, l'équilibre articule

Aussitôt que le flux dans le tempo bascule.

En un mot sur un vers, la balance se tient

Donnant à l'Univers un soupçon de maintien.

Arrêt sur image

Un geste suspendu de ta main dans l'azur
Pour masquer le soleil, soudain te transfigure,
Anodine seconde étale comme une onde...
Où toute vie s'ébat, la grâce surabonde.

Ablution

De grès rouge, là-haut, la gargouille ricane

Au sommet du clocher, c'est la pierre profane !

J'attends les gouttes d'eau, campé sur le parvis,

L'eau païenne du ciel va tomber sur ma vie...

Pas perdus

Les arches sont multiples et le pavage dort,

La brise sinueuse accompagne les corps

Qui flottent sans raison juste au-dessus de terre.

Ils passent devant moi comme de pauvres hères...

Fuite

J'ai couru vers les grilles au fond du jardin clos :

Sombres grilles de fer (et les embruns des flots

Qui battaient mon visage en cette île de mort)

Fermées ! Que puis-je faire à part courir encor ?

Lents éclats

Des rayons de lumière ont caressé les pierres

Au fond du vieux jardin, sans effleurer le lierre

Au-dessus, quel mystère... et d'autres rais mutins

Déjouant les nuages, ont scintillé soudain !