Derrière le rideau

Ostende le quinze août, une pluie verticale.

Au travers je perçois mes pieds puis les sandales

Et bientôt les pavés qui remplissent mon champ

De vision, devinant tes genoux aguichants...

Défaut

La bête avait laissé sur le plomb du vitrail

Une empreinte subtile en branche de corail

Et le jour distordu par cette marque infâme

Embuait les esprits tout en altérant l'âme.

Écoulement

La clepsydre rutile avec son corps d'airain.

Remplie d'une eau paisible elle fuit à son train,

Aux gouttes suspendu le temps file fantasque

Et les rides se perdent aux confins de la vasque...

Ravage

Songe que l'or déchu des statues de Corinthe

A perdu son éclat face aux râles et plaintes

Entendus au milieu des grondements goulus

De la terre sacrée. L'or et le sang refluent...

Écho

J'ai sans doute laissé tous mes bons souvenirs

Dans des boîtes à chaussures ou des vieux sacs de cuir

Mais j'entends la musique encore et les visages

Des gens aimés viennent me sourire au passage !

Éteules

Quelques fétus de paille ensemble se pavanent

Au-dessus des chaumes rouis, des menues fanes,

Entraînés par l'air chaud de cette fin d'été,

Lentement, dans cette transparence, portés.

En dessous

Anselme n'est pas nu dans sa gangue d'argile

Au pied du mont Tabor sa destinée oscille :

Où sont les signes saints que le calame point,

Quand la terre fissure aux ondes de son oint ?

Étape

J'ai poursuivi longtemps le vol des coccinelles

Et tracé le chemin des bois de Bagatelle...

Aujourd'hui, je me tiens sur la pierre, posé,

Quand les premiers rayons caressent la rosée.

Saturé

Le ventilo froufroute et découpe l'air moite

En tranches déparées, j'ai l'hébétude coite.

Affalé je contemple le mur décrépit.

Le margouillat somnole au plafond, l'air flapi.

Intègre

Elle a tracé dans l'air, de ses mains paysannes

Un cercle de prière où les pensées, de lianes

Ont fourni flèches vives, et de charbon diamant.

De son bois on ne fait jamais chose qui ment.

Bulles de gazelle

Une autre, tavernier, de cette bière bleue !

Je l'ai vue ce matin, c'était miraculeux,

Courant par bonds gracieux, une fille springbok !

Des hanches de gazelle...apporte un autre bock !

Poignée de grains

Les sacs chargés de grains sont comme une façon

De mémoire vécue des gens et des moissons.

J'aime au creux de ma main peser la bonne graine,

En humer la senteur au soir des jours de peine.

Bleu juste

Les chicorées sauvages ont le bleu de l'été

Sur leurs pétales drus, vers le soleil pointées.

Elles ornent les talus avec persévérance,

Oublieuses des jours mais ivres de présence.

Vestiges

Comme il est froid le marbre en colonnes campé

Les vasques sont taries, rouillées sont les épées.

Tu es la brise tiède au pied des caryatides,

Effleurant tendrement la moindre chrysalide.

Estran

On s'est assis tous deux sur le bord de la plage,

Les vagues chuchotaient aux oiseaux du rivage,

On avait tant d'espoir en se tenant la main,

Et le sable crissait... peu importe demain.

Eurythmie

Des yeux noirs, un cou maigre, une peau burinée,

De longs regards portés sur la foule en apnée

Et puis sans transition le sourire timide

A l'instant où se fait une harmonie liquide.

Flux et reflux

Je t'ai vu traverser, si joyeuse et légère

Un petit pont moussu jeté sur la rivière

Et tu riais en rythme avec l'éclat de l'eau...

Juste au-dessous du rire affleurait le sanglot.

Trêve

La sentinelle dort tout près de son fusil.

Elle rêve d'un camp où gît la poésie

Blessée, mais dans l'espoir d'une convalescence.

On l'entend murmurer des vers, dans l'air, qui dansent.

Odieuse odeur

La fourmi trottinait, ayant pour le pinceau

Une peur olfactive : il fallait être sot

Pour diffuser ainsi cette odeur acrylique,

L'humaine puanteur est marque de fabrique...

Étoiles

Tu as les yeux perdus des nuits opalescentes

Où les Pléiades jouent les filles indécentes.

Outrance des vertiges hors du bas et du haut,

Je plonge dans tes yeux, en de profondes eaux...

Lot

Un regard échangé comme un ruban de brume

Au fond de la vallée, à l'heure où l'aube allume

Une à une, au-dessus du fleuve, les vapeurs

Que la nuit a tirées sans effort de ses peurs.

Cirque

Sous ton chapeau pointu le fard était fondu

Mais d'un sourire tors alors tu t'es fendu.

Es-tu l'homme illustré ? As-tu droit au chapitre ?

En ce monde cinglé, dois-tu faire le pitre ?

Vis à vie

Ô l'instant qui pétille et cette envie de vivre

Au fin fond de tes yeux qui me point et m’enivre

Où sera le matin ? Que dire des émois ?

Qu'importe, cet instant est un fétu de Joie...

Sortie

Du fond de la Moria, j'émerge sans y croire,

Effleuré d'un rayon de soleil en miroir.

La masse des rochers m'écrase et me retient,

L'insolence du temps me fait monstre et gardien.

Padmāsana

De la terre et du ciel, la brume est le ciment,

Petite pellicule aux hommes qui ne ment.

L'assise est une stase et le souffle s'étale

En strates d'abandon, abondant de pétales...

Vœu

Des étoiles sans bruit filent de leur radiant

Dans le bleu noir du ciel et l'homme psalmodiant

Fait un vœu si secret que la nuit utérine

Ignorant tout de lui, fugace s'enlumine.

Six ans

En route pour le monde, au pays des enfants,

Le lapin blanc se cache avec le petit faon,

Il y a des carottes et du trèfle qui dansent :

Où que tu sois tu es vrai comme une évidence.

Été

Sous le buis de l'été, le lézard vert somnole

En contemplant songeur l'accenteur qui s'envole.

Au loin les martinets crient à fendre l'azur

Et les chaumes rouissent en lente démesure.

Croissance

La vigne abandonnée continue de pousser,

Quelques grains moissonnés seront bientôt semés,

Le pré fauché trop ras sous peu va repartir,

La nature me crie comment je dois grandir !

Délicatesse

J'aime les soirs d'été où la brise fantasque

Dissipe la sueur comme on ôte le masque

Et la fraîcheur s'étale en ondes alizées

Comme un baume apaisant sur la chair épuisée.

Fluctuat

La lame est effilée tel un choix impossible

Et je l'entends couper la vie comme une cible

Au beau milieu de l'air, la trame du destin...

Qui est certain du soir, connaissant le matin ?