Eaux vives

Regardant les lointains de ma vallée d'enfance,

Aux brumes enlacé, je sens le saule en transe

Et le bief habité par le martin-pêcheur,

Aux temps où le soleil dans son bleu fait fureur.

Ailes noires

La peupleraie là-bas, comme Sisley la prise,

Oscille sous le vol des corbeaux qui instruisent

Un procès de mille ans contre l'homme arrogant :

Qui, sous ces oiseaux noirs, relèvera le gant ?

Ablutions

De l'eau entrelacée comme torons de corde

A lavé les abcès nourris de la discorde

Et me voici trempé comme un chien sans abri

Mais si léger sans la rancune, je souris.

Minois

Tu avais mon amour une mine superbe

Et la mienne de plomb , quand tu l'eusses, dans l'herbe,

Ancrée, ne sut en rendre avec fidélité

Ni l'éclat ni le teint, je la fis donc sauter.

Manuel

Si mouvante et si belle en ses callosités,

Cette main qui m'étreint, où les veines bleutées

Racontent une histoire, est encore à la peine

Au souvenir des jours d'une vie souveraine.

Sans je

Dans l'interstice fin, le cœur bat la cadence

Et l'idée se découd sous l'assaut du silence.

En musique le sang bat dans les mains posées.

L’équerre de la vie se fonde à la croisée.

Limbes

Je caresse le cœur de ce vieux bois, encor

Loupe dans l'appentis d'un ébéniste mort.

J'ouvre les volets gris, la lueur est intruse

Et montre des outils qui de ne servir s'usent.

Intermezzo

La mer était turquoise et l'éléphant dansait

Sur la plage oubliée. Les sternes s'élançaient.

Le vieux sādhu chantait d'une voix inlassable:

Il marchait sans laisser de traces sur le sable...

Terre et Eau

La terre, d'humus noir pénétrée, sous l'ondée

Soupire en transe vive, et les gouttes gardées

Se fondent doucement dans les moindres fissures

Ainsi s'épanouit, menue, la vie obscure.

En songe

Dans mon rêve il y a des oiseaux de passage

Et des champs de blé pourpres et des hommes sans âge

Au détour d'un chemin je suis resté pantois :

Dans mon rêve soudain je te vis, c'était toi...

Muscat

Sous la treille en cerceau gonflée de grappes mures

Une robe à fleur de peau qui muse et murmure

Et tes lèvres prunes qui prennent les grains noirs

Comme un baiser tu me lances juste un...bonsoir.

Feuille vole

Dans les bois d'Heurtebise une feuille est tombée

Sur la clairière aux fées, d'or et d'argent nimbée.

Je l'ai prise avec moi, vu que je lui destine

Une nouvelle vie, dans le vent, purpurine...

Houle

Sur le lac de ton âme en fines ondelettes

Un trouble se répand, plus rien ne se reflète

Et du ciel au-dessus, l'image a disparu...

Patience mon aimée, laisse passer la crue.

Herméneutique

La route est sigillaire et les signes secrets

Des pattes de chimère en des vélins encrés

Nous signifie le dû qui charge la balance

En tous points similaire à la plume qui danse.

Duplicité

Les livres sont légion, les auteurs innombrables

Et l'entropie défait la langue vulnérable :

Où se cache le sens quand l'homme a revêtu

Les mots de tromperie, de petite vertu ?

Berge

Dans la plaine repue des brumes de septembre

Errent les âmes nues comme insectes dans l'ambre.

La peur des monstres d'eau tenaille les vivants

Qui marchent près du fleuve ou suivis ou suivants...

Bellejouanne

Nous sommes tous les quatre, assis, genoux râpés,

Nos parties d'osselets, jetés puis rattrapés

Quand des cinq le plus beau, l'osselet rouge, vole

Et les martinets crient au-dessus de l'école...

Mots semés

Juste au-dessous des mains qui tremblent de n'avoir

Pas su te caresser sans ôter tes gants noirs

J'ai posé le journal de nos vies parallèles

En espérant qu'ainsi des mots naîtront des ailes...

Berceuse

Si tu fermes les yeux, devine la clairière

Et dans l'herbe fleurie, coule la source claire ;

Alors tu dors tranquille aux chuchotis de l'eau,

La brise te caresse et baise tes yeux clos.

Faiseur de pluie

File vite au vieux pré, la fontaine est tarie,

Les ondines se meurent et le vent contrarie

Ta marche résolue. Tu sais les passes rondes

Et les mots des guérets pour faire jaillir l'onde.

Seuil

Anthume elle l'eût été, cette porte diaphane

Si nous n'avions pas mis, pour caler, le bédane
Épais de nos terreurs de vivre par-delà...
Les murs s'écroulent-ils au parfum des lilas ?

Cueillette

La route devient raide après la vieille tour.

Dans mon panier j'ai mis un carré de velours.

J'y poserai bientôt quelques fleurs de printemps :

Mes mains rêvent de toi quand je marche longtemps.

Para bellum

Oton de Gratecambe est d'une humeur de loup.

Il garde en sa resserre, accrochée à un clou,

Une cotte de mailles usée de feu son père.

Faut-il donc que la rouille ait raison de la guerre ?

Puzzle

En miettes est le miroir qui reflète le ciel

De fragments empourprés. Pour savoir quel est quel,

Je me suis approché, conscient qu'ainsi venu

La glace ne me rend que des bouts d'homme nus.

Haute volée

La bourrasque força la pauvre coccinelle

À prendre son envol jusqu'au bord d'une ombrelle

Et sous l'assaut du vent, elle fut retournée

Si bien que la bestiole atterrit sur mon nez !

Cap

Ondoyante vertu qui de l'amour envie

La certitude bleue dans le ciel de la vie,

Mais qui soudain fléchit quand, parée de courage,

Il s'agit de tenir en deçà des nuages.

Béatrice

Au neuvième ciel, tu brilles, ô donna subtile,
Cristalline dame, aux gouttes, que tu instilles,
Je bois le nectar, si tard, dans ma pauvre vie
Qu'en chemin caché, je vais, mon âme ravie.

Black-out

La sourdine posée, là, sur la cheminée,

Tout à côté, terni, un genre de cornet,

La photo de Satchmo, bien mise en évidence

Lâche dans l'air muet comme un flot d'impatience.

Verglas

Môme tu descendais, le long du boulevard,

Le trottoir verglacé, en chaussettes, gaillard,

Le bonnet à pompon, trogne rougie de froid,

Cueillant si bien ta vie de gestes maladroits.

Makhila

L'homme avait incisé le bois de néflier

Puis le chagrin, la vie l'avait fait oublier

Et l'aubier tout autour, vivant, se refermait.

Qui aurait deviné la canne qui dormait ?