Convenu

La roue de cuivre tourne et ses rayons vernis

Rutilent sous le feu de lampes Tyffany.

L’homme dans son fauteuil en bois de palissandre

Écrase son cigare au milieu de la cendre…

Fin du jeu

J’ai pensé la vie comme un tétris niveau dix,

Fasciné par les tétrominos qui dévissent,

Dépensé ma vie, tout s’achète aux jours avides,

Empilant ligne après ligne…toujours des vides.

Herbier

Toutes ces fleurs dans les pages des annuaires

À rendre l’eau, pressées comme dans un suaire.

Une pervenche meurt et laisse un bleu passé,

Moi qui voulais garder la beauté bien classée…

Le mur

Aux caprices du vent la mouette se gausse,

Aux sautes des torrents le saumon se défausse,

Au-dessus des fourrés le chevreuil a bondi,

Mais ton indifférence m’a tout engourdi.

Silence plein

La cheminée s’éteint, la marmite est pendue,

La flammèche chuchote en des langues perdues,

J’enserre mes genoux, j’écoute les arcanes

Assuré qu’au matin les cendres sont chamanes…

Grandes eaux

Je marche dans la lande, où l’averse me bat,

Suivant à pas comptés les marques des combats

Remplies d’eau clapotante à côté des fougères.

Il m’est doux d’être ainsi trempé comme la terre…

Expansion

Sur le ballon de rouge une jambe s’étale

Et ta main tient le pied docile de cristal.

Tu mènes ton sourire au bord de tes yeux noirs

Et le verre scintille au fil de mon espoir…

Ambiance

La rue change d’époque à la tombée du jour.

La vapeur de sodium colore le faubourg.

L’espace est envahi d’un fort halo jaunâtre

Et je poursuis ma quête, automate opiniâtre.

Eau joaillière

La colonne liquide en veines d’eau mêlées

S’élève torse, belle et les gouttes perlées

Accrochent les rayons d’un soleil de novembre

Éphémère collier, libre parure d’ambre !

Assise

Adossé contre un arbre, immergé dans sa force,

Entraînant tout mon corps à n’être qu’une écorce

Au fond de la forêt, je respire la vie,

Je ne suis qu’une stase et l’instant me ravit.

Marche sur l’eau

Détrempée, cette terre aux empreintes humaines,

En chapelet d’étangs, minuscules domaines

Où le ciel nous reflète, ubiquiste flâneur,

Le bleu de ses prairies comme une profondeur.

Autan

Dans la grange tournoient les menues pailles blondes,

Au loin les feuilles d’or des peupliers répondent

En bruissant doucement dans l’air, comme des mains :

Si le vent vient du sud, il fera beau demain.

Langueur

Nous n’étions pas toujours juchés en équilibre

Entre la joie de vivre et la peur d’être libre,

Alors les faux-semblants se mêlaient aux non-dits

Comme l’amour se donne, un jour il s’engourdit.

À vide

À la fin les talons défilent en aiguilles

Et le marbre résonne à l’assaut des résilles,

Il a faim, l’étalon des filles, qui ne croit

Que les corps calculés, cloués comme des proies.

Lisière

La chaleur du soleil sous mes paupières closes

Érode lentement les murailles sans cause.

Y danse un vieil enfant dans ses rêves d’azur…

Le soleil du dedans fera tomber les murs.

Grand large

De l’orbe des soupirs vampires des trous noirs,

Le vieux vaisseau stellaire a délaissé la gloire

Et s’enfonce sans fin dans la nuit galactique…

Un jour trouvera-t-il la planète idyllique ?

Crypte

Sans arrêt je descends ces marches balancées

De pierre grise, usées, sous la voûte enchâssées,

La chandelle falote éclairant avec peine

Un gouffre obscur où gisent les amours lointaines…

Brocart

Sous les crevés de soie qui baillent sans ennui

Se love un velours noir comme un bain de minuit.

Nulle caresse n’ose à son toucher se faire

Au risque de frôler le néant d’un suaire.

Vie subtile

Les murs sont recouverts d’immenses boiseries

Bas-reliefs de griffons, gorgones et furies.

Le grain du poirier, dense, anime ce bestiaire

Au bref instant de grâce où fuse la lumière.

Matriochka

La poupée russe rit sous cape de vernis

Sa fille est à l’affût, tout en catimini

Sait-elle qu’elle aussi porte une autre fillette ?

Au fil de ce jeu-là, l’infini se feuillette…

Itinéraire

Déjà le vent m’emporte au carrefour des fées

Là où j’allais enfant, près de l’étang d’Orphée.

Je me sens si léger dans cet habit de brume,

Empli de toi, ma vie, bohème je transhume.

Indécidable

C’est la nuit dans l’usine et l’automate arrose

Un sol de deux couleurs, pavage de Penrose.

Il s’arrête soudain, l’apériodisme fond

Son circuit heuristique : il tourne, tourne en rond...

Immersion

Je flotte entre deux eaux, la mer est immobile,

Autour ces créatures en silence, sibylles,

Étreignent mon regard dans l'eau verte nacrée.

La joie est océane et le moment sacré.

Continu discret

Délicate, ta main pose le sablier.

Moi, grain de sable osé, glisse, corps délié,

Dans le silence lent d'une seule mesure,

Au-delà du chagrin, la silice perdure.

Mémoire dans la peau

Des genoux écorchés, des coups dont on est fier,

Une brûlure vive, un simple éclat de verre,

Une main si caleuse à force de peiner…

La peau sans tatouage illustre nos années.

Grande âme

Toi si souvent voilée, ce jour tu étais nue,

Je gardais les yeux clos, pour que tu continues,

Dure comme un diamant qui du verre a tranché,

Fragile comme vit une fleur de pêcher !

Va où le vent

Je t’ai vue, bras tendus, sous le hêtre, à l’automne

Essayant d’attraper les feuilles qui frissonnent.

À regret, je n’étais qu’un fantôme sans vie

Que le vent entraînait… Jamais tu ne me vis.

Démesure

Mesure d'un parcours, ai-je un pas calibré ?

Mesure d'une masse : inerte, délabrée ?

Mesure d'un signal : l'entropie le fissure ?

Mesure d'une vie, du temps : quelle blessure ?

Ceinture

Un flot de goudron noir ceint la planète ronde.

En ruban lentement, il enserre le monde

Et le quidam y roule au bout de son destin,

N'entend-il pas la terre hurler dans le lointain ?

Béthesda

L'eau claire sous la pluie se trouble, un ange passe

Et cette onde dans l'onde est un instant de grâce.

Tu plonges sans douter, remontes magnifié :

De la limpidité, faut-il donc se méfier ?