Altération

Sous le couvert du charme a fleuri l’asphodèle

Au pied duquel, furtive, une eau pure ruisselle.

En me penchant je sens ses parfums enivrants. 

Qu’importe si demain l’effluve est repoussant !

Dit

Quand s’élancent des cuirs d’enluminées lettrines,

Aux fleurs encrées de sang, je savoure ma ruine.

À la vie, la pendule arrache des fétus

Mais quelques mots s’enfuient, je ne me suis pas tu.

Déjà vu

La ruelle est si claire autour du plein midi

Tu cours comme une folle en criant « samedi !»

Tu as huit ans peut-être, un arrêt sur image…

Aujourd’hui tu reviens, jeune fille au village !

Amplitude

Les heures respirées vont, au calme des airs,

En longs souffles dansés dans les espaces clairs

Et m’entraînent sans cesse au-delà des étangs

Dont les bulles de vase emprisonnent le temps.

Prélude

La main droite posée sur les cordes d’argent,

Le guitariste attend le silence des gens

Qui sont venus ici pour tout, sauf la musique.

Il sait que malgré tout viendra l’instant magique.

Cauchemar

Les tertres se soulèvent et les présences mortes

Achèvent le parcours des allées en cohortes.

Enfant, je suis debout, dans le vent de l’hiver,

Tressaillant sous l’assaut des souffles délétères.

Écume

J’explore les confins de la pensée ténue,

Naviguant sur les flots des mers discontinues,

Quand le vertige vient des bords de la conscience,

Au-delà, je rejoins les terres d’innocence.

Pandore

Le lin de ta chemise a des reflets de sang.

Tu laisses, tu méprises et la myrrhe et l’encens

Mais l’or que tu convoites attire tant de monde !

Un piège en cette boîte a déclenché la ronde…

Foison

La Bête est inspirée, les intentions sont bonnes

Et dans ce terreau-là, que la Bête ronronne !

Le bolduc s’entortille en flots hallucinés

Sur le corps déjà froid du sens assassiné.

Maillage

J’ai reporté les lignes et trouvé les jonctions,

Le diagramme révèle ainsi la partition.

La musique s’élève au milieu du réseau,

Sa géométrie chante et mime les oiseaux.

Feu sans fond

J'ai déposé la flamme au puits de Gueulesombre

Où croissent quelques fleurs de soufre dans les ombres

Et la terre se tord sous le boutoir du temps,

Le carmin sous le bleu ravive les instants.

De cette eau

Marcher, marcher encore aux confins de la terre

Et toujours s’enquérir de capiteux mystères

Enchâssés dans les moindres gouttes de rosée…

Mais cueillir sur ta joue la larme, d’un baiser !

Musique de poche

La flûte piccolo, tu l’avais dans la poche.

Au bout de la journée, quand résonnait la cloche,

On entendait filer un petit air gouailleur

Ou plaintif, quelquefois, sur des accents mineurs.

Point du jour

Le vent maraude, fou, dans le breuil de roseaux.

Le feuillage ricasse. Épars, quelques oiseaux

Lancent des cris d’appel, pour dissiper la crainte

Et l’eau noire, du ciel, renvoie la beauté feinte.

Ombre

L’âme était dans l’éther, petite, éparpillée,

Tel un galet rompu sous un flot meurtrier,

Palpitante, affolée, meurtrie d’indifférence

À chercher un passage en cette noire errance.

Encens

Le bâton de santal brasille en lent silence.

Au-dessus, vers le ciel, les volutes s’élancent

Et caressent l’espace aux confins du chaos :

L’attracteur est étrange et l’arcane est là-haut.

Candeur

La colline frissonne et, malgré sa bruyère,

Imagine sa cape au grand bal de l’hiver,
Blanche de maints cristaux, scintillants sous la lune…
Hélas le vent mauvais déchaîne sa rancune.

L’esprit du canal

Le long des quais glacés va l’ardennais spectral

Halant par tous les temps la péniche royale

Où la princesse songe aux amours sans issue.

Dans l’onde, son reflet, nul ne l’a aperçu.

Ondulatoire

La vaguelette entre deux mondes, l’eau et l’air,

À la fois sinusoïdale et circulaire,

Identique au milieu de toutes ses semblables

À tel point que le tout nous paraît immuable…

Départ

Assis sur ma valise en guettant le retour

Du train qui vient des airs, j’ai les doigts qui sont gourds.

Je peux l’attendre encor, je n’aime pas les rails :

Aussi loin de la gare et rien d’autre qui m’aille…

Réclame

La plaque était pendue à la porte cochère,

On pouvait lire en grosses lettres « Ici l’on perd »,

Ce qui laissait penser qu’autre part on gagnait :

La pluie pleurait de rire et moi je m’imprégnais.

Tango

Sur le plancher rongé de sel, nous nous tenons,

Joue contre joue, tu dis oui, je ne dis pas non.

Nos pieds nus sont à l’unisson, le don se danse,

Au fil de l’eau de tes yeux monte l’évidence…

Vigies

Suricates sentinelles qui regardez

Le monde au-delà des os des hominidés,

Vous héritez du Kalahari la sagesse,

À l’œil l’éternité du désert, l’allégresse…

Comtoise

Les entrelacs d’émail disent sur le cadran

Des mystères de bleus, de violets et de blancs

Pourquoi faut-il que les aiguilles l'avilissent

En cassant l'harmonie des sphères et des lices ?

Ludion

Je coule au ralenti dans le bassin dallé,

Je vois les bulles bleues en sarabande aller

Monter, descendre, à qui échoit la belle affaire ?

Dans les deux sens la fin conclut l’itinéraire…

Neige

Il tombe, le flocon, l’hexagone fractal,

Glissant dans l’air glacé ses ailes de cristal.

Comme un Graal, ma main doucement le recueille.

Hélas, captif, il meurt et fond en un clin d’œil…

L’huis

La voussure est romane et la clef sigillée

Se fond dans l’orbe pur de la porte scellée :

Les nœuds de chêne noir me narguent sans saillir,

À clore ainsi le bois, nul ne peut la franchir.

Appareillage

Ô belle ancrée sur champ paresseux des Maldives

Où les dauphins se jouent des vagues qui se suivent,

Aux voiles faseyant sous la brise qui ment,

Tu as la beauté sûre au regard des amants.

Litière

Connais-tu les odeurs de pourrissement lent

Qui montent des humus au pied des bouleaux blancs ?

L’ultime exhalaison des feuilles à l’automne

Hâte les champignons qui poussent en couronne.

Au suivant

Aux portes des Enfers, on se presse au guichet :

C’est Lilith qui reçoit damnés et débauchés,

Si bavarde qu’on peut demeurer sans limite

En cette queue, c’est ça, il n’y a pas d’ensuite…

Jeu de paumes

Juste tes mains posées, doucement sur mes paumes

Et puis tous deux levant nos bras, formant un dôme,

Un édifice nu, sur la pointe des pieds

Nous nous hissons encor, nos corps ensoleillés.