Chimères

Le sel gemme est candide et scintille au plafond
De la caverne rare où gisent les griffons
Et le livre, au milieu, qui révèle l'histoire,
A son lutrin noirci par les deux encensoirs.

Crocus

Stigmates safranés en longs rubans frileux,
Je vous devine enclos dans les pétales bleus,
Prêts à s'épanouir aux premières caresses
Ardentes du soleil, en touches d'allégresse.

Chaman

En face l'un de l'autre, un homme, un chat s'observent,
Un duel silencieux où chacun se préserve.
Or soudainement part, très digne, le félin...
Que fait l'autre ? Ma foi, se croit-il plus malin ?

Hiver

M'élance singulière une douleur au bord
D'une ère d'ignorance et de village mort.
Pour soigner ma souffrance il fallait un baiser
De toi, mais, double peine, elle ne fut apaisée.

Passe-muraille

Ne pas marcher, glisser, comme un fantôme lige
En des couloirs obscurs où des monstres voltigent,
Attiré par les pierres froides de ton cœur
Et finir en gisant, tout au fond de ma peur.

Errance

Je suis un codicille entre deux parchemins,
Un talweg asséché d'un val sans lendemain.
De l'abîme à la cime, affolé je balance,
Oiseau blessé je traîne au sol ma défaillance.

Entrevue

Des chemins de hasard, m'est-elle destinée
Cette photo posée sur une cheminée ?
Je n'aurai rien de vous que ce trouble regard
Pâle nuée blottie sous un dais de cils noirs...

Armageddon

Les bêtes sont lâchées, en nuages les anges,
Autour, filent au soir, quand les ombres dérangent,
Ailes menues, brisées par les crocs interdits ;
La bataille fait rage et les jours sont maudits.

Coques sans âme

Sur les vagues bleu-gris dansent les nefs d'acier,
Troupeau mort, sans berger, dont les flancs grimaciers
Grincent au clapot bas, sans jamais se rejoindre
Et dans le port, au loin, les cornes semblent geindre...

Rhume de cœur

Aux cils de tes yeux pers je devine l'alarme,
A l'eau d'une émeraude, il faut lire tes larmes...
Ô rien ne te fut simple en ce monde acharné !
Serre tout contre moi ton cœur enchifrené.

Éclats de joie

Elle vibrait, sa voix, comme une cathédrale
Inondée de soleil, une joie qui dévale
En riant la montagne au tout premier printemps !
Les échos se taisaient, tout à ce pur instant.

En silence

Géant parmi ses pairs, l'arbre choit, terrassé,
Dans un violent fracas... je me sens harassé.
La grande âme murmure : entends-tu le silence ?
Ici, partout, sans bruit, la forêt pousse, immense.

Dépouillement

À genoux sur la pierre et les mains sur le bois
Dans le silence épais de la crypte et le froid
Tu effeuilles sans fin les illusions de l'ombre
Et ton âme ravie, quiète, se désencombre...

Oseraie

Dans le bois de Redon pousse l'osier des fées,
Femme d'abord chassée par la meute assoiffée
Que métamorphosa par pitié la dryade,
Aujourd'hui bras tendus, végétale monade.

Mboro

Des filaos, là-haut, les houppiers se balancent
Emportant avec eux les marines fragrances
Et le sable s'écoule au rythme des marées,
Les vagues ballottant les barques amarrées.

Univers parallèles

Tant de trotte-menus s'affairent au fenil,
Creusant des galeries tout près du vieux fournil !
Le chat Bozo ne sent nulle trace d'odeur :
Sous deux toises de foin, la paix des profondeurs...

Brisants

J'avais le choix du roc et du lac et des cieux.
Là-bas je devinais le rayon silencieux
Qui ricochait sans fin sur les vagues rêvées :
J'avais le choix du roc en guise de pavé.

Plage

La mer efface tout, la trace de nos corps.

De l’écho de ton rire, on devine un accord

Au loin, quand la mouette, hallucinée de vent,

Crie sa joie de voler aux fantômes mouvants.

Trou d’air

S’élever dans l’azur, ses ailes déployer

Ou plonger dans l’abîme en quête de noyés,

Faut-il choisir, ma vie, que les vents mauvais gagnent ?

Est-il si loin d’ici, le pays de cocagne ?

Éveil

Des villes enflammées sous les paupières closes,

Obéron met sa coupe au-dessous d'une rose

Et pique son index à l'épine acérée,

Chaque perle de sang comme une âme effarée.

Âge de fer

L’enclume renversée, comme une ancre de terre

Avait dissimulé quelques vieilles rapières

Où le sol frémissait de batailles perdues.

La forge au fil du temps paraissait suspendue.

Entre les mondes

J’avais dû m’assoupir, et posé sur le seuil

De mon rêve, un frisson subsistait comme un deuil.

Le gros chat somnolait, doré dans la poussière,

Et son regard disait « Sois ton propre mystère ».

Vibration

Une aile se déploie, l’éventail lentement

Mime ainsi son envol en un effleurement.

L’air redevient, à la douce pression, tangible

Et ta main donne un sens : en serais-je la cible ?

Lingua ignota

De ces glyphes secrets, dont tu forgeas les mots

D’un glossaire mystique, arrivés au grimaud

Que je suis, docte abbesse, tu fis un langage

Au-delà des savoirs, un alchimique alliage.

Échelle

Marchant, le nez en l’air, dans le petit bois j'ai

Fait jaillir d’un fourré puis garruler un geai.

Son monde a la ramée comme unique toiture,

Est-ce lui, est-ce moi, l’ultime de nature ?

Évasion

Ci-gît ma fantaisie, juste sous la poussière 

Accumulée des ans, qu’une simple prière, 

Un sourire d’enfant, un baiser sur la joue

Balayent d’un revers : mes rêves fuient le joug !

Vent maraud

La soûle brise a dû secouer sa vertu

De bourrasques fusant sous ses jupons têtus

Madame de ses mains clos la corolle folle :

Ô décence tu gagnes et beauté tu t’étioles !

Amnésie

Oublier ton sourire, en tes yeux, de tendresse,

Oublier la chaleur de tes mains, tes caresses,

Ainsi mourir deux fois pour ne plus avoir mal

Et renaître à l’automne infinitésimal…

Cromlechs

En cercle de granit élevés vers le ciel

Ils sont à la souffrance une pierre de sel

Et font à la naissance un seul tracé de feu :

Le solstice palpite alors en leur milieu.

Acoustique

Mes dites oraisons qui résonnent encor

Sous les voûtes de pierre, à l’envers du décor

Me poussent lentement vers une ivre béance :

Et si les mots donnaient un écrin au silence ?

Brèche

L’hiver, ô citadelle en costume de nuit,

Bardée de clous de fer au moindre de tes huis,

Tu me toises, tes yeux lancent de la mitraille

Et moi, chat de ruisseau, traverse les murailles.