Carbonier

Tu avais la peau rude à force de peiner
À façonner la meule au fond des Pyrénées.
Dans tes bois claironnait heureuse la sittelle
Et dans tes yeux dansait la plus belle étincelle.

Premier ris

Les voiles sont sereines à faséyer souvent
Sous la brise indécise aux carrefours du temps
Mais la pleine fureur des tempêtes marines
Est encline à fléchir les plus raides échines.

Lice

Les dominos d’ivoire au petit clou doré,
Sentinelles dressées sur la nappe cirée,
Me rappellent les jours sans fin de mon enfance
Où tout faisait un jeu sur une table immense…

Cordes

Les règles sont tissées, invisibles arcanes.
Au-delà, plus profond, palpite, en filigrane
Une joie d’univers, un bouillon cristallin
Secrètement lové dans le vide et le plein.

Così è

Sous les flocons épars, dans l’air glacé, qui dansent,
Un rouge-gorge rond, prudent, cherche pitance
Au milieu des brindilles mortes de l’hiver.
Entre nous deux se dresse un fin carreau de verre.

Archipel

Au sein de l’océan, mes îles sont mouvantes,
En pélagiques fées, elles filent vivantes
Avec leur jupe d’algues, d’écume mêlées,
Leur mémoire marine au sable révélée…

Diffraction

Le soleil pâle de l’hiver met du cristal
À l’aube sur les branches des arbres fractals.
Les mille feux du blanc fanal ne pourront pas
Guider si bien dans ce désert mes humbles pas.

Chemins

C'est un sceau de pouvoir que le temps a lavé ,
D'un beau jaspe sanguin. La spirale gravée
Montre des creux, des pleins, faut-il que je les suive
Ou bien les traverser pour atteindre la rive ?

Sous le ciel

Le vertige est immense, au fond du gouffre est je
Vers le bas, vers le haut, comme un pion dans le Jeu.
Les oiseaux sont folâtres et battent dans l’azur
Leurs ailes déployées, mesure ou démesure ?

Élan

Je cherche vainement le geste envers toi qui
Ravivera soudain le souvenir exquis
D’une première fois l’un et l’autre enlacés,
Mais la flamme est fragile et les vents sont glacés…

Franges

Les arbres des vergers défilent dans les phares
Alignés, sans finesse, aux vains reflets blafards
Où est le grand ballet des arbres des chênaies,
Protégeant la dryade encore en Agenais ?

Vision d’été

Sous les arcades de la place décrépie,
Je devine la fraîcheur dans l’ombre, tapie.
C’est l’été, les hirondelles jubilent, trissent
Au grand dam du chat qui fait frémir ses vibrisses.

Récitatif

Mélina mêle à ses cheveux ses mains fragiles,
Ainsi dégage son regard clair, indocile.
Alors je m’assois tout près d’elle et je me tais,
La vieille Mélina chante sous la futaie.

Black turtle

La cocotte de terre, alchimique potée,
Porte en son sein la graine noire de l’été.
La fageole d’ébène à petits flots mijote,
Il y a de la joie dans ce jus qui chuchote.

Alliances

De soie gantée, sa main souleva le couvercle
Étoilé de l’écrin, puis retira les cercles
Ouvrés d’or et d’argent, qui lui étaient échus.
Les anneaux de pouvoir voulaient des doigts crochus…

Étales

Je suis allé m’asseoir au fond de la ruelle.
Appuyé sur le mur, je me sens si loin d’elle.
Il fait froid. Sans vertu, les flaques d’eau renvoient
La lueur d’une étoile ou la nuit qui se noie.

Marelle

Étrange certitude au pied du mont neigeux
Que j'avance transi dans le rythme du jeu.
De ce regard de loup tu dépouilles mon âme :
Aurais-je auprès de toi perdu vingt-et-un grammes ?

Éclosion

La véronique petit-chêne refleurit
Dans le sous-bois, sa robe ourlée de blanc, qui rit
Sous le soleil, éclaboussée, petite fleur,
D’azur pimpant, mais toute tremblante de peur.

Sans logis

Entre les deux pavés, l’eau poussée par le vent
Ruisselle à contre-pente et bouillonne devant
Ta valise posée comme une île que, blême
Étrangère, tu peuples, au pied de l’HLM.

Trois temps

Le pendule oscillait sur le papier vergé
Sans que jamais ta main ne semble avoir bougé.
Tu fredonnais de Piaf la chanson Avant l’heure
Et l'ombre du pendule dessinait un cœur…

Geste juste

Tout se passe très vite, une histoire en dedans
Les nuages sont noirs, ou mauves décadents,
Je te donne une joue, toi tu me tends la main
Puis soudain le baiser sur tes lèvres carmin...

La drave

Nicolin, fin draveur, sur les billots tu danses,
À la gaffe tu pousses ou tu tires en cadence
Aussi loin sur le fleuve ton troupeau de bois...
La caravane passe et le coyote aboie.

Au jus

J'avais perdu le fil de ma vie dans un bar,
Accoudé sur le zinc au milieu des grognards.
Du percolateur, lent, le café qui glougloute
Avait tout du sang noir, qui de ma vie s'égoutte.

Vieux sarments

La vigne est une friche et le pampre a poussé,
On dirait des brebis dans un pré du passé.
J'y vais parfois glaner quelque obligeante grappe
En souvenir des jours de communes agapes.

Sieste

Elle dormait sereine au pied de l'éléphant,
Lui, rêve de savane, elle, rêve d'enfant,
Leur peau caressée par des ondes de quiétude,
L'une au grain de satin, l'autre d'écorce rude.

Huit cylindres

La Bugatti royale enroule silencieuse
Une allée de buis nains à la blancheur crayeuse
Et Madame se risque à relever le gant
Puis la mantille noire en un geste élégant.

Cristallisation

Il cherche les cailloux qui montent vers le ciel
En esquissant dans l'air des runes irréelles
Au point que la plongée dans l'essence du temps
Fonde un nouvel espace aux éclats miroitants.

Aura

La ligne suit le corps, telle une lame fine,
Entre l'espace et l'être un instant se confine,
Enveloppant arcane à perte de rosée,
La vie comme la mort en flux inapaisés.