Oui la rousseur des chats de l’automne m’importe Et s’ils viennent miauler, insistant à ma porte, Au fond d’une écuelle, à portée des gloutons, Je prépare une soupe avec des rogatons.
Le chant s'étire en doubles notes, de concert, Qui saisit l'âme et la conduit dans le désert. Les voix s'enlacent, tourbillonnent sans limite Et je comprends le plein silence de l'ermite.
Ce matin, des géants sont venus dans la brume, En bas, dans la vallée, telle une armée posthume, Inquiéter les humains près du fleuve qui dort. Le pêcheur n’a rien dit, le plomb ne fait pas l’or.
Ses mains sont le creuset d’une vieille mémoire, Elles ont façonné le bois comme l’ivoire Et la matière prend ce savoir, puis se fait Aimer dans l’inconnu de la cause à l’effet.
Chaussé de verres loupe à monture en laiton, Sans hâte, il avalait un roman-feuilleton, Sachant que le destin ferait tôt correspondre Une part de lui-même aux Mystères de Londres.
Les armes présentées, le velours cramoisi Laissent planer autour un froid qui me transit. Tout brille et les sillons dans l’acier noir rutilent : Est-ce le sang gravé des serments imbéciles ?
Où se cache le feu qui rougit le feuillage Après les pousses tendres, vertes du jeune âge ? Est-il encor au cœur des racines, ténu ? L’automne sans émoi va feindre l’ingénue.
Le sol est éreinté par les engins de fer, Les goudrons, les fumées, les pavés de l’enfer Et pourtant, sur la croûte noire du bitume, Un brin d’herbe surgit, d’entre les bancs de brume.
Mille gouttes de pluie parallèlement roulent En cortège lassé, sur le verre, puis coulent, Abandonnant leur corps à des filets tordus Qui finissent clapots de rigoles perdues.
Quand, au fond de tes yeux, je vois les grands jardins, Les saules caressés par de fiers paladins, Je sais que nulle part ailleurs je ne peux vivre Ou mourir, c’est pareil, l’amour seul nous délivre.
Une boîte à musique est posée sur le bar Toi de l’autre côté, me sonde du regard. Je l’ouvre doucement, le cours du temps s’efface : Un couple de danseurs dans ce vide s’enlace.
Harassante montée, la pente me défie, Le goût de fer inonde la topographie. Soudain, c’est la fraîcheur d’un lavoir qui ruisselle Et ses fleurs et ses pierres belles m’ensorcellent.
Dans les espaces fins du monde où je me perds, Il est d'étranges flux qui lentement prospèrent, Amniotiques élans de fausses vérités Nourris de quelque source, entropique Léthé.
Mes pieds, mes mains crispés dans le sable mouillé, Je regarde la mer aux vagues effeuillées, Grise de tant d’années sans cesse sur la plage, À voix basse parlant aux rochers des naufrages.
Les mains sont pour tenir ou pour laisser passer, L’eau file entre les doigts des mains même enlacées. Lasses, les mains rêvant de retenir paraissent, Au soir, si vides sans la joie d’une caresse.
Les feuilles malmenées par le vent de l’automne, Une à une se font la belle et puis se donnent À la terre gisant dont la litière dort, Au cahier d’un enfant, pressées comme un trésor.
Les tôles rivetées sur des poutrelles brunes Ont sur leur flanc, gravées, de singulières runes, Arcanes incrustés dans l’épaisseur du temps : Le vaisseau des confins de l’espace m’attend.
Sur le bord escarpé d’une roche de gneiss, Une chatte vadrouille, élite chasseresse : Un, deux, trois coups de patte et la souris se meurt Quand sonne la sirène à deux tons du steamer.
Sur la vieille carriole, épaule contre épaule Et nos mains réunies, sous les branches qui frôlent Incidentes nos dos, nous fixons le chemin Parcouru, la poussière apaisée des humains.
Pierre, feuille, ciseaux, les regards puis les mains S’affrontent dans la cour, c’est un jeu trop humain. C’est l’harmattan qui gagne et sa poussière brûle. Au loin, l’enfant fiévreux voit les djinns qui reculent.
Les tentures moirées sinuent dans l’ombre dense, Au souffle chuchoté des âmes dans l’errance Et je suis assis là, dans ce fauteuil banal, À regarder l’horloge au battement létal.
Le temps est incertain, qui se dilate et tord Les sillages de vie, les visages des morts, Qu’une larme posée sur l’encre encore humide Aille brouiller les mots, passant du plein au vide.
Tu as des brins de laine et des bouts de ficelles Étalés sur le sol, sur un fond de marelle : Ils sont autant de traits dont le sens est caché… Mais tu sautes légère en un beau déhanché.
« N’espère-rien », voilà le nom de ce navire ; À l’arrière gravé : « Jamais je ne chavire ». Aux allures de près, les marins sont têtus, Sur le grand océan, la vie n’est qu’un fétu.
L’air aux oiseaux transis des brumes d’émeraude A résonné de toi, qui de souffrance rôdes Aux lisières des corps, ondoyés de frissons. Nous vivons notre mort à chaque instant, dansons !
Tu caches tes couleurs au fond d’une escarcelle. À ton pas de rôdeur, tu guettes la sarcelle. Après long temps d’affût, ton carnet se remplit D’observations serrées et d’esquisses jolies.
Le sabot dort, tournant follement sur sa pointe, Équilibré si bien que nul ne voit la feinte, Abandonnant le fouet, l’enfant, saisi, s’est tu. La magie de l’instant vaut toutes les vertus.
La serveuse m’apporte un grand diabolo-menthe Et je reste sans voix, la vue qui se fragmente. Les veines du faux marbre, en rythme avec les bulles, Entraînent l’univers, tout se désarticule.
« J’ai tout mon temps », dit-il, en regardant la pierre, Un monolithe noir au bord de la carrière. Au burin sans répit, les yeux bandés de cuir, Il tailla sa vénus… qui du bloc put s’enfuir.