Tapisserie

La dame à la licorne ondule sans raison,
Tissée de haute lice, au fond de la maison.
J’attends de son visage un fugace sourire,
Assis dans le fauteuil. Pourrai-je la décrire ?

Stance

Elle n’a pas quitté son fief, la belle stance
Aux vers ciselés fins. Je la suis. La vie danse,
Un peu de son amour se love dans les mots,
Au creux des univers infinitésimaux.

De près ou de loin

Le ciel est à l’étage, un oiseau se fourvoie,
Les murs baissent la garde. Un miroir te renvoie.
Lentement. Le bouquet, sur la table se fane.
Il me faut plus qu’un tour pour percer les arcanes.

Branches

Imite-les, ces branches aux amples mouvements,
Qui chuchotent le soir quand dessous les amants
Viennent s’offrir l’un l’autre au pied du chêne rouvre.
Imite-les ! C’est là que le paradis s’ouvre !

Cylindres

Le chrome du capot glisse dans l’air lustral,
En dessous, le moteur, organe viscéral,
Gronde, métal brûlant, vie thermodynamique.
Un arc-en-ciel signale une route alchimique.

Phacélie

Je me retrouvai seul, dans la fureur du bleu,
Bourdonnante couleur, prise en flots onduleux.
Mille abeilles bruissaient, tissant des sortilèges
Autour de mon égo. J’admirai le manège…

Dans la chair

L’illustration ne cesse, en fleurs, sur votre peau,
De raconter les jours, ôtés les oripeaux,
Vérités en-deça, par-delà beaux mensonges,
Un peu de vous à moi suit la courbe des songes.

Au val perdu

Je me lance au-dessus de la vallée spectrale
Où le courant me porte en faciles spirales.
Il est tard, il est tôt, j’ai perdu le devis.
Je suis ou ne suis pas, l’écart n’est pas la vie.

Cieux

Tourbillons indigo, brumes vertes, abîmes
Au ciel sombre se fient, matières magnanimes.
Entre nous l’atmosphère, obsessionnelle chair,
S’interpose et rugit, s’il le faut, de grands airs.

Balançoire

Peut-être ce soir-là, le vent te menaçait
De ses sautes soudaines, et tu te balançais
Ne sachant si la branche au-dessus, forte ou frêle,
Aurait le désir fou de te tenir lieu d’ailes.

Dispersion

L’or des grains de pollen flâne dans le rayon
D’un soleil paresseux, teinté de vermillon,
Certains se déposant sur ta peau qui frissonne
Et d’autres dans le vent velouté de l’automne.

Mots de passe

Remontant des abîmes, ils m’ont vite encerclé,
Voletant par milliers, gens de lettres, mots clés,
Certains plus arrogants, plus affamés, rapaces
Essayant de voler mes pensées. Mots de passe.

Distension

Le flux est dans le flux, la pierre dans la pierre,
Où va la transparence coule la rivière.
Il pleut, les ondes roulent. Un peu de moi s’étend.
Se dilate l’espace. Il est encore temps.

Hâblerie

Il avait un regard couleur de représailles
À la vue des farauds aux multiples médailles
Et son sourire était à lui seul un grand seau
De glace, réduisant au silence les sots.

Rue venteuse

L’orage est blanc de ciel, un vent fantasque rôde
Autour, un peu perdus, les chalands billebaudent.
Une enseigne de fer grince sans retenue.
La pluie cingle. Une dame, en tailleur, éternue.

Elle ose

Les langues de hasard, tissées de nos faiblesses
Exultent sous le toit des étoiles, sans cesse.
Elles cognent ensemble au plafond de nos peurs.
La poésie jaillit de ces élans trompeurs.

Marché

Dans la foule je vis son aura vaporeuse,
Orangée, tel un fruit d’une jeunesse heureuse
Et je fus papillon grisé par son éclat,
Ce point de non-retour que le destin scella.

Accéléré

C’est l’hiver. C’est l’été. Les nuées vagabondent.
Le temps lâche sans fin des poignées de secondes.
Il agite les mains dans les airs, près de moi.
Le lieu me parle tant de nos anciens émois.

Feuilles mortes

Au détour de l’allée, les feuilles s’amoncellent :
Ici nul n’est venu depuis que j’ai vu celle
À qui j’avais confié mes plus tendres secrets.
Qui murmure là-bas ? Le vent n’est pas discret.

Portée

Je nivelle la nuit, pétrie d’incertitude,

Au niveau le plus bas. J’écoute le prélude.

Une légèreté circule dans le ciel.

Peu importe le temps. Rien ne m’est essentiel.

Perlière

J’aurais gravé ton nom sur une perle fine

Et jeté dans la mer cette sphère marine,

Espérant qu’une vague la dépose un jour

À tes pieds. Tu saurais le poids de mon amour.

À vif

Le ciel est déchiré comme un navire immense
Emporté par les flots, sombrant dans les nuances
Incertaines de l’aube. Il rode tout autour,
Le froid qui ronge et mord. La vie scande nos jours.

Elle et moi

Je l’avais tant tenue, aux pâleurs du matin,
Que je compris dès lors son regard enfantin,
S’efforçant de bannir de vilaines souffrances.
Elle irait avec moi, toujours, mon espérance.

Récital

Je suis encore assis près du bord de la scène,
Écoutant les échos des notes aériennes,
À peine réveillé, tout entier dans le son.
Le concert est fini. Commence la leçon.

Cadran solaire

La griffe de laiton fichée dans le calcaire
Étire lentement son ombre sur la pierre.
Un nuage un instant cache le soleil, gris.
La mesure du temps tout à coup s’est tarie.

Bleus reflets

A-t-elle eu dans l’été ces pensées ruisselantes
Où l’eau fraîche défait les contractures lentes ?
Un reflet de ciel bleu dans le lac alors sien
Me fit poisson, oiseau, reptile, batracien…

Vocale

Gayrand tire des sons des lignes empathiques.
Il cherche dans sa voix la résonance unique.
Où sont les souvenirs ? Seuls restent des lambeaux.
Se meut autour de lui le peuple des corbeaux.

Prémonition

Il tenait bras tendu le livre des Mystères,
Essayant de scander les mots, de ne pas taire
À cet instant précis l’âme du parchemin.
Quel mot peut détenir ce que sera demain ?

Inconscience

Le soleil monte vif dans le gel du matin,

Faisant fondre flic floc le tango argentin

Des glaçons de la grange, agressives rapières.

Au-dessous, les moineaux boivent l’eau, téméraires.

D’essence

Il est tout à côté de moi, cet arbre lent
Dont la pensée s’étire en un liquide élan.
Le tronc rugueux retient ma colonne fragile,
Une sittelle entre les branches se faufile.

Patine

La sculpture de jade a gardé la poterne,
Et les intempéries l’ont rendue grise et terne.
On dit que les étoiles s’y refléteront
Quand les fées tout autour à nouveau danseront.