Comme un saule pleureur dont les branches retombent, À chaque instant je vais vers la terre et succombe Aux senteurs de l’humus, profondes et boisées, M’invitant ici-bas davantage à creuser…
Asphaltes et goudrons, les rubans gris s’allongent Et mènent dans un temps bien au-delà des songes, Ici l’étrange écho des strates de nuées, Là celui des silhouettes d’arbres embués.
Mes rêves sont terrés dans des espaces tors, À l’abri des courants profonds du grand Dehors, Tels des origamis dont les replis enferrent, Infiniment fractals, les plans imaginaires.
J’ai vu quelques détails sur cette tombe nue : Les lichens griffonnaient des phrases inconnues Que le vent chuchotait. Les angles de la pierre Aux quatre vents jetaient d’insolubles mystères.
La particule danse auprès d’un tourbillon, Dans l’air désencombré des vaines illusions. Je veille sans bouger dans ce paisible espace Où tout est mouvement. La vie, les heures passent.
Je traversais la brume, étrave pneumatique, Inconsistante voie peuplée de dieux antiques, Et de fées inconnues qui toutes me frôlaient Tandis que le goudron morne se déroulait.
Les cieux sont empêtrés de nues noires et belles Et toi, dans le jardin, tu es surnaturelle À ne pas t’inquiéter des éclairs bleus et blancs Ni des gouttes qui claquent sur ta peau. Troublant.
Il ne s’était repu, la voir ne suffisait, Même si tous les soirs, même heure, il la croisait. Il voulut lui offrir un bouquet de violettes. Elle jeta les fleurs. La peine fut muette.
Plus loin que la forêt de ces mats trop dociles Il me faut naviguer dans l’indigo des îles Avec les pieds blanchis par le flot des sept mers Et les yeux tout encrés de nuances bleu-vert.
La foule est tout autour (moi qui cherche un désert, Sans doute pour tuer la peine qui me serre, À faire sans témoin). Je m’enferme dans la Contemplation d’une tasse de chocolat.
Sous son parapluie noir à la poignée de jade, Elle va vers le port, jusqu’au bord de la rade Et regarde la pluie faire des ronds dans l’eau, Tel un écho fluide aux rangées de hublots.
L’étang depuis l’allée, ne se devine guère. Il a sa propre source et des naïades fières Enchantent l’eau précieuse. Au bord, plonge la main : Chaque goutte te touche et te rend plus humain.
Le faucheur a trempé sa pierre dans la corne Et caressé le fil que jamais rouille n’orne, En arrière, en avant. Le rite de la faux. La coupe se doit d’être nette et sans défaut.
Aux caresses du vent, les brins d’herbe chuchotent Et les chats de gouttière avec bonheur s’y frottent. Effrontés, dans la haie, ramagent les pinsons. La sève s’émancipe au soleil polisson.
Le démon de la peine en chasse est reparti, Dévorant ceux qui tentent, las, quelque sortie. Je survis malgré tout dans la forêt des charmes, En silence, blotti. Je ne rends pas les armes.
Soudain je découvris à la page cent-vingt Quelques fleurs d’acacia fanées. Je me souvins Du jour où sous cet arbre aimé nous nous connûmes, Où les fleurs nous frôlaient comme des jours l’écume.
Ainsi je déambule au cœur de la forêt. Sur quelques points précis, je me tiens en arrêt, Le monde perd ici sa propre consistance, Est-ce un effondrement du temps qui recommence ?
J’aime bien les soupirs des fins de jour d’été, Quand les ballots de foin sont en sécurité, Sous un faîte de grange et que la grande voûte Étoilée de la nuit réenchante nos doutes.
J’imagine les mots. La mine est en dedans, Que peut-il en sortir ? Je rêve en attendant. Dans les stalles du ciel, les nuages s’attroupent. Il reste un peu de pain. Je vais tremper ma soupe.
Des pièces de monnaies tombent dans la poussière Et l’homme croit tenir la manne financière : À peine quelques sous. Quelle philanthropie ! Peut-on rester debout dans un corps accroupi ?
Un samovar d’argent, le décor est posé. J’apprécie l’entregent, pas jusqu’à la nausée, Mais cette compagnie qui se veut érudite Est nue sous le vernis des suffisances dites.
Le paysage file. Elle le voit à l’envers. Sa tête dodeline. Un peu de notre hiver S’en va. Le cliquetis des rails a des vertus D’oubli. J’espère tant qu’on se réhabitue.
Le flot de mes pensées tamise la lumière, Insidieux abat-jour de mes sources premières. Mancolistes, détails, exégèses sans fin Rembrunissent le ciel d’une âme qui a faim.
La rivière coulait. Des eaux brunes et noires Où plus rien ne bougeait, pas même une nageoire. Alors j’ai remonté le cours, infiniment. L’eau froide, cristalline, était au firmament.
L’ange mutin, qui d’or se teint, file sur l’eau. Dans le courant d’un fleuve errant. Passe un îlot. De sa barcasse, avec audace, alors s’élance Au ras de l’onde. Une seconde, un peu de chance...
L’ambre qui te confine a des couleurs de flamme, Abeille qui ne sus t’échapper de la trame, Éternelle captive à côté d’un pistil. Pareillement je suis, dans un ambre subtil…
Les objets alentour ont une mine lisse, Un peu de leur froideur est dissimulatrice Et le vertige vient de n’avoir à portée Que ce cortège dont la vie s’est écartée.
La circularité de la roue me fascine : Inéluctablement, d’une trace anodine, Elle presse le temps qui s’étire au-dessous. Les orbes sont unis quand l’espace est dissout.
J’explore les contrées intimes du dormeur, Cette ville onirique où quelques allumeurs De réverbère vont, noctambules zélés. Je suis lumière et ombre, aux formes emmêlées.