Du dedans

Illumination courte, impalpable durée :
Mon œil interne est las de ne pouvoir errer.
La prison fait relâche en son extravagance.
Aube. En catimini, je vais tenter ma chance.

Papier

L’escale à mi-chemin de l’espace et du vide
Est trop longue à mon goût : je manque de fluides.
Une encre de secours vient à point s’écouler
De la plume battue d’or et d’argent niellés.

Ondoiement

La verticalité des anges m’abandonne,
À la verte fontaine où sourd l’eau belle et bonne,
Où tu es allongée, naïade au cœur transi.
C’est l’heure irrésolue que nous avons choisie.

Relatif

Dans un train de fortune, indécis je végète
Espérant qu’une gare un beau jour ne s’arrête.
Hélas, devant le train, les gares inconnues
Défilent sans arrêt. Le temps n’est pas venu.

Printanières

Véroniques, lamiers, pâquerettes, jonquilles,
Éclatant quatuor sur le talus, quadrille,
Éclosent tout autour. Je roule au paradis
Des simples. Mon cœur bat, dans l’azur, étourdi.

Déclaration

Ô mon aimée, qui vas tantôt dans la langueur,
Je te porte dans moi comme un deuxième cœur
Et mon souffle est ton souffle aussi loin que tu ailles,
Au bord d’un océan dont les vagues m’assaillent.

De cette joie

L’azur est dans l’azur, comme une profondeur
Qui donne à cet instant, par-delà la pudeur
D’être, une joie peuplée de pensées souveraines,
Aux ailes déployées dans l’étendue sereine.

Envoûtement

J’entre dans le silence, au seuil des voûtes blanches,
Immergé dans les souvenirs d’anciens dimanches.
Un moineau fourvoyé brise l’évocation,
Les anges vont surgir d’une autre dimension.

Forestier

Maison de bois, chemin de terre et la forêt
Tout autour comme un écrin vert qui l’effleurait.
Je te revois, vieil homme hirsute avec ta lippe,
Exhalant de jolies volutes de ta pipe.

Comédie

Illusoire la soie qui couvrait tes épaules,
Aussi bien que tes mots appris de rôle en rôle,
Ou le macadam rose à l’ombre de tes pas,
Mais au fond de tes yeux, l’éclat ne le fut pas.

Erre

Curieux comme le temps, que l’inconnue déplace,
A ralenti de fait, épaississant l’espace
Et, dans ce même temps, le fil est si tendu
D’elle à moi que je vais comme une âme perdue.

Au bord, des larmes

Je n’eus pas peur, en cet instant, de laisser choir,
Comme elle l’eut, fort galamment, fait d’un mouchoir,
Un peu de larmes sur le bord de son épaule :
Un sien sourire tient toujours le premier rôle…

Pliures

Il déplia la carte avec délicatesse,
Espérant qu’un symbole, un indice apparaisse.
Il avait tant rêvé de ce papier jauni
Qu’il déployait alors dans l’espace banni.

Aux murs

En noir et blanc tu es, sur les murs du salon,
Belle. Le jour naissant, quand l’hiver est trop long,
Dans le rocking-chair noir, livide je me plante,
Encore caressé, tant nos regards me hantent.

Bout de nuit

Je marchais dans la rue, pavés noirs, grilles peintes,
Attentif aux échos de mes pas, vaines plaintes.
Au pied d’un réverbère un couple s’enlaçait
Tandis que le brouillard, de mèche, autour, dansait.

Entre chien et loup

Dedans presse la foule, idées nauséabondes,
Au-dehors la fumée des machines qui grondent.
Il me faut plus de temps, l’étendue se dilate,
Interne. Je t’y vois, présence délicate.

Oiseaux de mer

Comme des cerfs-volants, ces instants retenus
Par un fil du destin, si fragile, menu,
Finissent par s’enfuir, quand les vents mauvais gagnent
Et les goélands même au firmament s’éloignent.

Alea jacta est

Le sort en est jeté qui, d’un battement d’ailes
Allume dans tes yeux des pensées sensuelles
Et dans les miens le rêve à l’esquisse tracée
De courbes infinies et de corps enlacés.

Clain

Dans l’eau claire du Clain, les unios s’abandonnent,
Inlassables naïades, au soleil de l’automne.
Ainsi je les revois, belles, noires, nacrées
Dans le havre serein des souvenirs ancrés.

Sentinelle

La voiture est garée près du kiosque à musique.
Un chat sur le capot profite, squelettique,
Un peu de la chaleur qui passe lentement.
L’hiver est tant félicité que châtiment...

Noctambulisme

Dans le brouillard, la ville aux avenues liquides
Empêtre le passant dans des pensées morbides.
Aux falotes lueurs, le dédale fourvoie
Dans le tréfonds. Je vais, une dernière fois.

Au désert

Je l’ai vue s’enfoncer dans le désert aride,
En épousant, vaincue, l’infinité des rides,
En quête, en contrepoint, de quelques gouttes d’eau,
Sa vieille outre de cuir gémissant dans son dos.

Cyclonomade

J’ai mis dans ma sacoche un peu de « marche ou crève »,
Une boîte bourrée de poussières de rêves,
Empli d’une eau de source un vieux bidon d’alu.
C’est l’heure de partir, mon vélo vous salue !

Lac

Pour qui sait voir la trame, au-delà des pudeurs
De l’espace et du temps, le lac, en sa splendeur,
S’étend, calme reflet des sphères emboîtées,
Au-dessus flotte encore une pensée ouatée…

L’âme du foyer

La maison d’elle-même en douce s’organise
Et les portes se ferment ou s’ouvrent par surprise.
On voit même parfois les murs se déplacer.
Dans quel corps fut son âme en un lointain passé ?

Juste hauteur

Je suis resté perplexe au bord de la falaise,
Entre un ciel infini tout incendié de braises
Et le fleuve roulant de chaotiques flots,
Perdu puis retrouvé, dans la seconde, éclos.

Ascenseur

En ce lieu clos je ferme incidemment les yeux,
Conscient des gens autour atrocement sérieux.
Je guette les issues. La machine chuinte
Et mon esprit se perd dans de noirs labyrinthes.

Tendance

J’ai poussé la maison pour que le soleil entre
À flots par les lucanes grises de mon antre
Et puis je suis sorti. L’obscurité souvent
Me manque. Il faut que j’aille où vont les pires vents.