Dernière page

La plume court toujours, je ne tiens plus, j’abrège.
Aux premières lueurs, je quitte le manège.
Et m’en vais arpenter d’autres chemins, là-bas.
Ma fuite seule a des allures de combat.

Glisse

Déçu de ne pas être en cet instant oiseau,
Je m’accroche avec force aux poignées de roseaux.
La brume, comme un chat, dans la vallée s’étire,
Et je glisse à l’envers dans le blanc qui chavire.

Eau bleue

Est-ce possible aussi longtemps de retenir
Son souffle au fond de la piscine pour s’unir
À l’élément liquide aux moirures changeantes ?
Encore un peu. Le temps, dans son bleu tempo, chante.

Dans le brouillard

Le brouillard se répand, sournois, dans le salon.
Je reste au sol, pantois. Mes jambes sont de plomb.
Peut-être suis-je ailleurs, gisant dans la clairière.
Une heure encore ainsi… la vie est passagère.

Instable

Je n’ai, de ce chaos de pierres qu’une vue
Minérale, sans âme, à ce point dépourvu
De vie qu’à jamais il me paraît immobile.
Et pourtant je le sais profondément fragile.

Joue contre joue

C’est un chien qui renifle au bord de la chaussée,
Tandis que passe en trombe un cycliste engoncé
Dans une parka noire. Autour le vent maraude.
En vain. Je sens ta joue, contre ma joue, si chaude.

Tremblement

J’ai pu quitter les franges rêches du tapis,
Rampant sans fin vers le milieu, puis accroupi,
J’ai senti sous mes pieds les ondes de la terre.
Elle ne disait rien que je ne sache taire.

Folâtre

Les chemins sont fleuris, beaux comme des clairières
Et je ne les prends pas, ma route est traversière.
Un éclat de soleil, un doux parfum de fleur,
Tout me dirige et rien. Je suis batifoleur.

Potron-minet

À l’aube, embarrassée de chevelures d’or,
Tu te lèves en croyant sans doute que je dors,
Moi, paresseusement, je laisse le temps faire
Et j’admire ton corps, tapis sous mes paupières.

Éparpillement

Je vis le corps criblé de toutes tes absences
Avec le sentiment d’être toujours moins dense,
Une dilatation dans un espace amer.
Sans toi, l’air me disperse en mille oiseaux de mer.

La petite musique

Je n’ai pas entendu la petite musique,
Ingénue, qui tintait dans mon corps amnésique.
Autour, l’agitation du monde l’emportait.
J’étais là sans y être et me désenchantais…

Esquif exquis

Elle avance sur l’eau, godillant lentement,
Les vaguelettes sont de fugaces fragments
De sa vie, tout autour. Une petite brise
Agite ses cheveux. Ces courts instants me grisent.

Vieilles photos

On les a ressorties des cartons à chaussures,
Une à une, jaunies, racontant l’aventure
Anodine des jours, des choses et des gens.
L’émotion peu à peu remonte, submergeant.

Abrupt

Je n’ose plus rien dire et nos souffles sont courts,
La pente se fait raide et pleine de détours.
Le ciel, les rochers bruts. Quelques arbres s’échinent
À s’arrimer dessus. Les vélos se dandinent.

À fleur de rire

Nous rîmes ce jour-là près d’un bouquet de fleurs,
Sur la table, posé, de toutes les couleurs.
Comme des papillons, s’envolaient nos paroles,
Et nos rires aussi. La belle farandole.

Parking

Sur le béton lissé, les pneus en courbe crissent
Ici, la souterraine étendue me hérisse
Il est vingt-et une heure et mes phares balaient
Le sol infiniment, les murs grisâtres, laids.

Scintillant

J’use immobile l’or des rayons sur mes doigts,
Le soleil au-dehors va sans malice, ondoie
Sur la vitre glacée de la verrière, pâle.
Au-delà gît, neigeuse, une pierre tombale.

Toumo

Cette nuit la froideur fait que mon corps frissonne,
À mes tempes le sang bat rapide et me sonne.
Impossible d’aller vers la tiédeur amie,
Mon corps remplit l’espace…et plus rien ne frémit.

Parcours

Déconnecté, le temps d’un immuable jour,
Je pédale en montagne et sans cesse parcours
La pente de la peine et de la joie pareille.
À ce souffle je vais. La route m’ensoleille.

Du plaisir

Ses feuillets de poèmes servent d’emballage
À quelques délicieux beignets. La belle ouvrage !
Un jour peut-être un fou lira les vers sucrés…
Qu’importe ! Du plaisir, tout se perd, tout se crée.

Cave

Dans la cave glacée, les choses s’amoncellent,
Objets volés depuis tant de siècles, vaisselles
Antiques, diamants, chaînes, colliers, tableaux.
La beauté dans l’obscur m’arrache des sanglots.

Journal

Le journal est ouvert, il cache son visage.
Il tourne avec lenteur une à une les pages.
Un monde nous sépare. Où filent ses pensées ?
La rame suit les rails. Elle m’a distancé.

Aurore enjouée

Le soleil enjoué jaspe le mur. Du lit,
J’essaie de deviner les paréidolies.
Mon souffle se repaît du coulis de l’aurore
Et je me lève enfin, prêt à revivre. Encore.

À mots couverts

Noir et argent, l’étui, fait de bambou laqué,
Dévoile un stylo-plume un peu sophistiqué.
Le capuchon niellé sur le velours scintille
Et je devine au fond tant de mots qui frétillent…

Fruits rouges

Tu m’apportes ce soir dans un panier de jonc
Framboises et cassis qu’ensemble nous mangeons.
Je te fais un vin chaud comme la fraîcheur gagne,
En ce début d’hiver, au pied de la montagne.

Comme l’oiseau

Fixons l’heure et le jour d’une brève rencontre
En un lieu qui tous deux nous définit, nos montres,
Avec bonheur, réglées sur le même fuseau.
Je serais la brindille et tu serais l’oiseau.

Les dés jetés

J’ai fixé la feutrine verte du tapis
De jeu. Rien ne va plus. Les dieux sont assoupis.
Je jette les deux dés de mon cornet d’ébène.
Aléatoirement, le sort. Est-ce une aubaine ?

Papier gras

Sur le quai de la gare, un bout de papier gras
Se traîne au ras du sol, poursuivi par un rat.
Passe un train. Le papier avec entrain décolle
Le rat, de son museau, le suit pendant qu’il vole.

Végétale amie

Tu aimes te parer des feuilles de saison,
Ton sourire est la fleur dans cette frondaison.
Je ferais bien l’abeille en cette circonstance :
Est-il besoin de justifier mon attirance ?

Conscience

Rien n’est à mesurer dans ce flot de conscience
Imparable, étonnant, balayant la souffrance.
Ainsi je ne suis qu’un peu d’eau dans l’océan.
Autre image : un sourire au milieu du néant.

Autres sens

Les yeux fermés, je marche à travers la maison,
De peur que je ne butte encor sur ma raison.
Mes autres sens affluent. C’est un torrent de lave.
Autour la nuit s’éclaire et je me désentrave…