Écorce

Je suis de cette écorce rude qui se fend
Sous les coups de boutoir de l’hiver, des enfants
Qui gravent maladroits leurs amours idéales,
Ivresse de l’instant. J’ai l’âme végétale.

Chapelle

Pas d’électricité. Je marche sans y voir,
Me fiant aux moulures le long du couloir,
La nuit j’ai tout mon temps. L’odeur de cire vieille
Incidemment surgit. La chapelle sommeille.

Ambre

L’ordinaire a du bon. Chaque pas se fait lent,
Quand l’entropie se tord comme un plasma brûlant,
Je ris dans le silence égaré de la chambre
Et je me sens serein dans cette goutte d’ambre.

Sirène

Muette, il le fallait, sa voix tuait si vite.
Elle était là sans être et se tenait, petite
Au bord d’un noir bassin, saisie, sur les carreaux,
Redoutant de jouer encore…le bourreau.

Vacillité

J’étais un acrobate et sur un fil j’allais
Entre sol et soleil, instable. Je rêvais.
Le vent dans sa folie tout près menait sa ronde
Au point que peu à peu le fil était une onde…

Une soirée

Les ors des lamés fins, en faisceaux s’illuminent
Emportant avec eux les silhouettes d’ondines.
Au bord du bar je bois à l’ombre évaporée,
Comme mes pensers gris, mes mondes éplorés.

Instigation

Un miroir pivotant, des lunettes jetées
Sur le marbre poli d’un secrétaire hanté
Semblent craindre l’esprit qui confus se faufile
Et moi, j’attends, soumis, stylographe immobile.

Cet au-delà

La lampe a des vertus, bien plus que d’éclairer
(Mes yeux n’en peuvent plus, qui trop sont attirés).
Patience. Enfin l’obscur, en deçà des paupières,
Offre un sens minéral, enfoui comme une pierre.

Au petit bonheur

C’est un ruban qui flotte à ton guidon. Je roule
À dix mètres en arrière. Une neste me saoule
Et l’air pareillement, l’ivresse à ce parfum
De ces petits instants qui n’ont jamais de fin.

Sinistre

Tout a brûlé je pense, il y a cinquante ans.
Je creuse et trouve ainsi les débris persistants
D’une poutre noircie, d’un carreau de faïence
Où la silhouette bleue d’un enfant se balance.

Loup

Le sommeil est un loup qui guette au fond de moi,
Bête de cauchemar ou de rêve et d’émois.
Je marche sur la sente et devine sa traque.
Homme ou bête je vais, mais les brindilles craquent.

Chênaie

Hormis la joie, le sens est l’autre récompense
À marcher dans le bois de chênes. Cette errance
Oblige mes cellules à se sentir liées
Entre elles, comme avec les âmes oubliées.

La lampe

Rien d’électrique ici, la lampe acétylène
Éclaire la comtoise aux heures qui s’égrènent
Et son chuintement remplit l’espace autour.
Un samovar de thé lui répond. Vain discours.

Mes alizés

Je serais un bateau dont les voiles se tendent
Aux alizés gaillards, les ondes qui se fendent
Et l’étrave insensible aux morsures du sel,
En route vers une île au sable sensuel.

Stridulations

Dans le parc, un grillon sous la lune stridule,
Accompagnant mes pas de pauvre noctambule
En quête d’un sommeil qui ne veut pas venir.
Quand le grillon se tait, s’élèvent des soupirs.

Rhododendrons

Sur le côté je vois la falaise qui grimpe
Et les rhododendrons, gardiens de cet olympe,
En rouges bataillons. Je suis intimidé,
Mais je roule euphorique en tirant des bordées.

Clavier

Les lettres du clavier sous la pression des doigts
Répondent doucement. La conscience aux abois
Tente de mettre en blanc, sur fond noir, les instances
Abyssales des nuits. Ça n’a pas d’importance.

Le sens de la vie

Rien ne différencie la forme de la main,
Dans l’eau du mouvement, seul compte le chemin.
L’instant, de fait tenu, désemplit tout l’espace.
Une fleur de pêcher. La chute fait sa grâce.

L'éclat du désir

Le thé noir refroidit dans une tasse bleue,
Toi tu regardes au loin la tristesse qui pleut.
Je ne suis qu’un éclat tout au fond d’une tasse,
Un désir de toucher tes lèvres, quelle audace…

Le flot

Le banian déroulait ses racines câlines
Au pied de la cascade aux bulles cristallines.
Où tu te baignais libre, en riant de me voir
Empêtré dans le flot, quand je me laissais choir.

La patience du chat

Le chat dans sa patience infinie du chasseur
À l’affût, semble inerte devant cette fleur
Et soudain tout bascule quand le papillon
Se pose. Un coup de patte, vif comme un scorpion.

Beffroi

La tour sombre s’élève au milieu d’un désert
De roches violacées. Tout autour des geysers
Crachent une lave pourpre. Hagard et las je pousse
Encore un peu l’effort, trop de mots à mes trousses.

À demeure

Dans la maison d’Agnès, le plancher se soulève
En vagues endormies. Le bois n’a plus de sève.
Il y a tant de jours, il y a tant de nuits.
Seul un grain de poussière ici me désennuie.

Le maître archer

La corde vibre encor. La flèche file vite
Entre les arbres noirs. Tous, elle les évite.
Elle percute l’eau du bassin consacré.
Des cercles, puis plus rien. Le miroir se recrée.

Temple

Le temple s’élevait, paré d’ocre et de blanc,
Sur la colline aride où planaient les milans.
Plus je m’en rapprochais, plus il semblait immense,
Étonnamment conscient de ma désespérance.

Font

La source jaillissante encore me ravit,
Quand au milieu de la clairière je la vis,
Murmurant d’anciens noms dans sa langue nymphale,
Et mille oiseaux venaient en cette eau baptismale.

Chemin creux

Je suis arrivé là, près du taillis de chênes :
Un chemin creux courait dans l’ombre souveraine,
Abandonné, vestige, allégorie des fées.
Je l’ai suivi longtemps, comme un possible Orphée.

Rappel

Sous la peau, ma mémoire est une sentinelle,
Une caresse amie sur elle me rappelle
Une minute rare dans la nuit des temps.
Puis le tissu l’efface. Ainsi passe l’instant.