Brève

La curieuse minute, où je fus sans boussole
Emporté dans l’azur puis dans une corolle
Avec la certitude d’être au cœur de sa
Beauté fragile, rouge, éphémère, passa.

Dans le doute

Dans le bois oublié gisent des ronds de pierre
Et des lianes tordues s’enroulent, prolifèrent
En une parodie d’idolâtre passion
Je passe avec prudence, voire appréhension.

Nouveau jour

Le réveil. Je prends corps, le silence me cerne.
Un rituel obscur encore me gouverne.
Un pied touche le sol et puis l’autre le suit.
Je me lève, ce jour ne m’a pas éconduit…

Cariatide

Sur la place publique, à peine elle s’étire,
Océane blancheur de marbre, elle soupire,
Oubliant l’impossible charge soutenue.
Une larme de pluie frôle son bras menu.

Vives eaux

L’eau ridée, lisse, court vers le plus bas du monde,
Un jour, monte, vapeur, dans l’aube vagabonde,
Et, nuage, s’étire, s’enfle dans le ciel
Puis revient à la source, en un cycle éternel.

Atoll

L’atoll est dans ce rêve, aux confins du corail,
D’or et de bleu paré, comme un profond vitrail,
Et la lumière glisse au milieu des murènes,
Où je nage sans crainte, où vivent des sirènes.

Le bal des pendus

Je me suis appuyé contre la balustrade
En observant, dessous, la grande mascarade :
Un défilé de vains sourires entendus,
Comme une oscillation de cadavres pendus.

Secrétaire

Le secrétaire est lourd. Il contient des grimoires.
Un jeu dissimulé dans sa moulure noire
À la pression déclenche un mécanisme fin
Qui révèle un tiroir…et les livres enfin !

Dans le flot

Ma tête dodeline au gré des vaguelettes
Et je flotte en fixant les rieuses mouettes
Au-dessus, qui se jouent de l’espace et du vent.
Je rêve, si léger, de n’être que vivant.

Ça balance

La balance hésitait, comme si quelque masse
Invisible pesait dans l’éther, mais fugace.
Un anneau d’or gravé sur l’un des deux plateaux,
Sur l’autre, un peu jaunie, la dernière photo.

Bar

La coupe était restée sur le bord du comptoir,
Avec un peu de vin. Je fixais le miroir,
Certain de voir ainsi les fantômes timides.
Hélas, la salle était désespérément vide.

Nuit au musée

Dans le musée fermé, Jean poursuivait sa ronde
Et sa lampe fouillait là où l’obscur abonde.
Ainsi l’accompagnaient les ombres des statues,
Familières, dansant, tout aussi peu vêtues.

Tourbière

Combien de troncs enfouis dans l’antique tourbière
Attendaient leur retour dans l’azur des clairières ?
Ainsi quelques pensées remontaient en dansant.
Sphaignes et dionées… le bal des innocents.

Sur le talus

Elle attendait menue sur le bord de la route,
Inquiète et frémissant sous les premières gouttes.
Elle partait sans rien d’autre que son désir
D’une bonne fortune, une chance à saisir.

Girouette

Il a forgé le fer, la rouille l’a rongé,
Mais c’est une autre histoire et tout a bien changé.
La girouette fonctionne encore sur le toit.
Le forgeron est mort, mais nul ne s’apitoie.

Au dedans

Je ressens à l’entour le monde qui s’éveille,
Avec des soubresauts, dans des aubes vermeilles,
Et des chuchotis d’eau. La sève est un torrent
Qui gronde sous l’écorce et je suis au dedans.

Lac bleu

Le lac au bleu de cuivre étale sa splendeur,
De laiteuses vapeurs montant de la tiédeur.
Autour la nuit polaire étire sa morsure
Et je vais plus avant dans la profondeur sûre.

Art topiaire

J’élague mes pensées. J’ai l’énergie topiaire,
À vouloir maîtriser les mots, de ma rapière.
Et la forme triomphe, indocile, toujours,
Déroulant son récit selon son propre cours.

Elzévir

Tant de bonheur éclot dans le silence d’être
Auprès de qui l’on tient… J’écrivais une lettre
Et tu lisais Montaigne. Entrelacs d’encre noire,
Elzévir délié, quiétude. De mémoire.

Adonis

Face au blanc de céruse encor, candidement
Couché telle une chair livide sur l’amant,
L’immortelle se penche en versant une larme,
Auprès du rouge sang. La fusion fait le charme.

Rive du rêve

Rideaux, double-rideaux, je traverse les franges
Et découvre au-dehors un monde qui dérange,
Un soleil vert de rage, un ciel tout déchiré,
Les oiseaux sanglotant, leurs ailes déchirées.

Terres

Transi, j’ai toujours faim de terres nourricières
Irriguées de ces pluies vivantes, traversières.
Où l’eau coule je vais. Les arbres, les prairies
Sont un enchantement, quand le printemps fleurit.

Liste

Je suis homme de listes et femme à l’occasion
Par le biais lumineux de mêmes émotions.
Rien ne m’oblige tant que la durée subtile
Entre la pensée pleine et les mots inutiles.

Pris au piège

La maison s’abandonne en couloirs sans fenêtre,
Ornés de grand tableaux magnifiant les ancêtres,
Et pourtant, c’est l’obscur qui l’emporte, mouvant.
Je ne peux en sortir. Le sort est éprouvant.

Étrange

Étrange. Il était seul au milieu de la route,
Attentif au silence, ému, l’âme dissoute,
Espérant que se dresse l’Autre à l’horizon,
Mais rien n’était réel, hormis la déraison.

Ses pensées

Le cœur étonnamment serré devant la glace,
Elle oublie la psyché, même le temps qui passe.
Elle pense aux oiseaux qui migrent sans retour,
Elle pense aux amis. Elle pense aux amours.

Du bon sens

Le futur est déjà dans le rétroviseur,
Je croyais avancer, mais je recule. Erreur ?
Le paysage file et le temps se disloque.
À quoi bon se presser ? Du bon sens, je me moque.

Fragilité

Je ne maîtrise rien, c’est un sentiment fort.
Autour du tapis rode une essence de mort.
J’entends mon cœur brasser comme un sang qui jubile,
L’espace et moi jouons de concert. Immobiles.

Le raccourci

La ruelle se glisse au milieu des baraques.
Au soleil de midi, la tôle ondulée craque.
Ai-je le moindre espoir de te trouver ici ?
Tu es présente en moi, c’est un beau raccourci.

En rage

Tes mains se sont tendues vers un ciel gris d’orage
En quête d’un élan propre à dompter ta rage.
Au loin les éclairs blancs dans l’obscur fulguraient.
Ton cri sortit enfin, mais je n’étais pas prêt…

Mes hauts

La brume encore étreint les beautés du troupeau
De pierres. Je me hisse en tirant sans repos
Sur le guidon. Je tangue et rêve à perdre haleine.
Ombrées, soulanes se succèdent, souveraines.