Du cimetière

La chair, le drap, le bois, la terre et le soleil
Au-dessus, vain mystère, un chêne en plein éveil,
Où cajole le geai. Nous sommes peu de chose.
Une branche craquette et les portes sont closes.

Zététique

La rage, dans ton pouls qui bat cette chamade,
Est une vague dure et, farouche naïade,
Envers et contre tout ce flot de déraison,
Tu pourfends les rumeurs, tu chasses les poisons.

Chant nival

Sous la pluie, l’homme entonne un vieux chant de berger.
La montagne lui rend l’écho pâle, enneigé.
Des ruisselets gaiement poursuivent la musique
Et les premiers agneaux bêlent. Panoramique.

Au soleil noir

Aller, dans le soleil noir des jours inconnus,
Dans ces prairies où traînent des lambeaux de nues,
Chercher mon âme sœur, tant la vie vaut la peine,
Est tout ce qui me tient. Rien d’autre qui ne mène.

Cité antique

Les briques sont rongées par l’harmattan des sables
Et le glapissement du vent inexorable
Attire les esprits qui dansent tout autour,
Puis le silence vient comme un épais velours.

Montjoie

À la montjoie branlante, encore un caillou laisse.
Un autre sera mis, puis un autre et se dresse
Ainsi près du sentier, après bien des années
Ce curieux monument, que nul n’a terminé…

Horizontalité

Je cherche à digérer l’espace horizontal
En vagues d’illusions, de lames de métal.
Le nous est dans le je, le paradoxe monte.
Au fond, toujours je perds. Je ne sais plus le compte.

Liège létal

Le liège sous les doigts, lisse et rêche, soyeux,
Ceint le manche galbé du poignard odieux
Qui jadis enleva, destination des armes,
Une vie. Je ne sais pourquoi cela me charme…

Les amoureux

Les voir se mignoter sur le banc de la gare,
Au cœur de la cohue, quand le train redémarre,
Avec ces deux regards empêchés d’être ailleurs
Que dans les yeux de l’autre, un instant de bonheur.

Livres inhumés

Ils sont abandonnés sur maintes étagères,
(Au peuple des écrans, le livre ne plaît guère)
Et croulant sous le poids, les belles librairies
S’enfoncent lentement dans le sol du mépris.

Plus léger

Les montgolfières-figues montent dans le bleu,
Et je suis allongé sur le gazon moelleux.
Moi aussi je m’élève au-dessus de la plaine,
Un instant plus léger que l’air. Le vent m’entraîne.

Phototropie

Les taches de lumière et d’ombre se côtoient
Sur le dallage usé du parvis, quand je dois
Pénétrer dans la nef de l’église massive
Aux vitraux dont l’azur céleste me captive.

Paupières

Je contemple la nuit sous mes paupières closes
Et la nuit se colore en vagues teintes roses.
Ici, rien d’étoilé ; la profondeur est nue.
L’espace se dilate et l’égo s’insinue.

Draps de lin

De ces draps blancs, j’ai conservé le souvenir
De la fraîcheur du lin, si lourd. J’ai pu tenir
Le bord du monde, ainsi. Je vais, de rêve en rêve
Et ces draps blancs, telles des voiles, me soulèvent.

De haut en bas

La sonnette se fend d’un carillon sonore.
La visiteuse est bleue de peur, car elle arbore
Un sourire crispé pour me parler d’En haut,
De grandes vérités. Je suis sable, elle eau…

Corbillard

Sous le feuillage vert avance lentement
Le corbillard violet que traîne une jument.
Derrière, un peu transie, la maigre foule trotte
En chuchotant des mots. Le temps des anecdotes.

Simplification

Depuis deux jours je ne lis plus les étiquettes,
Une légèreté d’être qui ne m’inquiète
Outre mesure, car les objets sont partis
Sur une autre planète.… et moi je ralentis.

Déphasage

C’était hier, c’était demain, je marchais vite
Et j’espérais ne rien trouver sinon la fuite,
Un peu trop tard, un peu trop tôt, mauvais tempo,
La vie passait, mais à côté… manque de pot.

Comptine

Douce, douce est la pluie, la chanson de ses gouttes
Avec la voix de la grenouille qui écoute !
Niche-toi bien au creux des bras de ta Maman,
Avec Papa tout près, petite, en t’endormant…

Rides d’eau

C’est la fraîcheur du soir, la pluie lave la lune
Et ravine la terre en longues rides brunes.
Et la terre voyage ainsi vers l’océan,
Vers les fonds abyssaux, l’obscur et le néant.

Vent debout

Des années que le vent souffle sur la bicoque.
Une bâche tendue, palpite, pâle loque,
Aux coups rageurs de l’air. Il reste, vieux hibou,
Taiseux, défi dans l’œil, à la porte, debout.

Distinction

Mon corps se fit la malle, ou du moins je le crus,
J’étais sur le carreau, je ne le sentais plus.
Mon âme paniquait, tournoyant dans la salle.
Enfin tout fusionna, l’espace, les étoiles…

Nébuleux

Détail révélateur, mon jour à la fenêtre
A des teintes plombées. Les ombres me pénètrent
Autant que les rayons. Le nuageux troupeau
Piétine ma lumière. Un grand manque de pot.

Machines

Je ne les compte plus, les machines qui tournent
Autour de moi, nuée parasite, et séjournent,
Esclaves déclarées, maîtresses sûrement.
Ma nature est malade ontologiquement.

Lilas

Le mois de mai joli fleure bon le lilas.
Je marche dans la rue, nez au vent, cherchant la
Grappe blanche ou rosée qui dans l’instant parfume
Et me fait oublier mes pieds sur le bitume…

Balade forestière

De buissons en buissons, j’ai longé les pantières
Aux humbles graminées, près des laies forestières.
Au fil du temps, la marche a modéré l’envie.
Je me laisse émouvoir par les grives mauvis.

Connaissance

Le plaisir est secret, la connaissance vive
En filons argentés dans des cryptes déclives.
Il faut trouver le guide et la lampe assortis.
Nul ne sait qui revient de ceux qui sont partis.

Athanor

Alchimique, le four est un monstre gourmand
Qui prend long temps de chauffe et de tiédissement.
J’ouvre la porte enfin, sors les scories. Sentence.
Hélas pas la moindre once d’or. Je recommence.

Pensées des mots

En vrac sur le bureau, les notules s’entassent
Et je vois la nuée des mots qui me dépasse.
Il me reste à cueillir les délicates fleurs
Des pensées que les mots caressent, butineurs.

Sur le pont

Je voulais vous bercer, mais la mer s’en chargeait,
Sur ce transatlantique à tout petit budget.
Nous nous trouvions sur la passerelle, à nous taire,
À regarder le ciel, à deviner la terre.

Chèvrefeuille

Le chèvrefeuille grimpe avec exubérance
Enroulant son tuteur dans une folle danse,
Il cherche à embrasser le soleil tout là-haut,
Mais jamais ne l’atteint. Le chèvrefeuille est beau.