Tellurique

J’écoute sous mes pas, le sol qui doucement
Gémit sous les poisons le tuant lentement.
La vie, seule la vie sans cesse l’accompagne
Et tente de guérir ma terre, ma campagne.

Croquis

À grands coups de crayons, elle croque la vie
Qui se déroule autour d’elle, toujours ravie,
Comme si l’anodin des passants éphémères
Inondait sa vision d’un afflux de mystères…

Traînées de lumière

Le paysage est déchiré, multicolore,
À la fenêtre du taxi. Je rêve encore.
Ici la ville saigne de feux incessants.
Je vois trop d’artifice… et si peu de passants.

Ru

Le ruisselet roucoule entre mousse et galets,
J’y passe, lent, saisi par le moindre filet
D’eau fraîche sur la peau. Le temps se désagrège
En mille particules. Passant, je m’allège.

Du rail

Nous n’eûmes que le temps d’une sobre accolade,
Il déboulait déjà, le train, sous les arcades
Art déco de la gare, avec un bruit d’enfer.
J’avais dans le gosier un vilain goût de fer.

Inextricable

L’enquête se poursuit. L’énigme est forestière :
Il y a dans ce bois d’irrésolus mystères.
Au pas de mon humeur, les singularités
Se révèlent parfois. J’en suis désorienté.

Sous-sol

L’escalier m’a conduit au-delà de la cave
En d’étranges sous-sols, au salpêtre qui bave
Et j’y erre en suivant le pinceau du fanal.
Au loin deux yeux s’éclairent. Ce n’est pas banal.

Reflets urbains

Je ne vois que les pieds qui foulent le trottoir
Dans un sens ou dans l’autre, avec effet miroir.
La ville a des reflets. La vérité se cache.
Où l’aquarelle perd se déchaîne la gouache.

Cerf-volant

C’est un cerf-volant dont l’ossature en rotin,
La voilure de soie sont d’un âge certain.
Le fil de lin ciré sous le vent se déroule
Et les yeux de ses ailes regardent la foule…

De cœur

Dans la brume argentée des nuits de pleine lune,
Indécis je m’égare aux confins des lagunes,
En quête d’un amour échoué sur le bord.
Faut-il chercher dedans ? Faut-il chercher dehors ?

Chapelet

J’entre dans la chapelle fraîche de Marie.
Dehors le soleil brut écrase la prairie.
Je sors mon chapelet sous la nef minérale
Et je récite, pauvre, en écho des cigales.

Presse-papier

Orbites vides, front luisant, le crâne siège
Insolemment sur un monceau de florilèges.
À côté, noir, un flacon d’encre reste ouvert
Pour que je puisse à tout moment poser des vers…

Prétention

Nous les gardiens du fort croyions venir à bout
(Nous n’étions que roseaux, pas même des bambous)
Des esprits maraudeurs qui corrompaient les âmes.
Hélas, ils mirent bas les murs, les oriflammes…

Memento

Angelina Corail a des mèches trop blanches
Et sa robe fleurie, serrée contre ses hanches,
Aujourd’hui comme hier, volette doucement.
Demain, penser à lui tourner ce compliment.

Grappes

Aux poutres de la salle, accrochées sur des fils,
Des grappes de raisin pendent jusqu’en avril,
Aux grains flétris, gardant l’essence de la terre
Et du ciel, enrobant les suaves mystères.

Partage

Des masques inconnus décorent les vitraux,
Tandis que Carmina Burana sonne trop.
Je vole déchiré sur des brumes lascives.
Entre vous et moi court le monstre qui salive…

Clavecin

Cet air de clavecin par-delà la cloison
Révèle une présence dans cette maison
Pourtant inhabitée. Il est, sous une toile
Blanche, délaissé. L’intime se dévoile…

Ange ou démon

Aux lointains, surgissant d’un mauvais rêve, l’ange
Ou peut-être démon, s’écrase dans la fange,
Où ses ailes salies ne peuvent plus voler.
Sont-ils finis les temps de l’ange auréolé ?

L’auberge

C’était un paradis de souffles et de chairs,
Pas un masque en ce lieu, la vie à découvert,
Une auberge aux relents d’embruns et de cervoise.
On y poussait parfois quelques chansons galloises.

Levain

La vigueur se tapit dans les recoins de l’être,
Et la volonté blême assiste sans renaître.
Encore un peu tout finirait dans l’éther vain,
Mais la musique afflue : la pâte a son levain.

À dire

Tout est dit ? Je veux croire à la neuve parole
Épanouie dans l’aube blanche des corolles
Et je cueille l’azur au-dessus des corbeaux.
La nature m’entoure et l’univers est beau.

Mine de rien

 Je goûte les parfums qui montent de la terre,
Après la pluie, de tous mes sens et, littéraire,
Impunément j’affecte à chacun le bon mot…
Je tombe ainsi dans les infinitésimaux…

Hibiscus

Mimée depuis l’hiver, la farouche apparence
Aux assauts de la brise étonne et se balance,
À moi l’humain disert, une à une les fleurs
Bleues de l’hibiscus donnent un soupçon de bonheur.

Chien errant

Ce chien n’est à personne. Il va sur les chemins,
Cherchant quelque pitance aux portes des humains,
Depuis tant de saisons, sans vieillir, c’est étrange.
Un peu de ses yeux dit qu’il a frôlé les anges.

Chausse-trape

Le temps que m’ont duré mes sandales de cuir
M’a conduit dans ces bois d’où l’on ne peut s’enfuir.
Le sortilège niche dans ces hêtres rouges
Et rien n’en peut sortir sinon l’ombre qui bouge.

À voiles

Le bateau se balance à quelques encablures.
L’équipage est en train d’étendre la voilure.
À l’horizon le ciel a des reflets sanglants.
Sous la brise jolie, la nef prend son élan.

Comme il faut

Tu as souri, dans ce désordre qui t’éclaire,
Avec les yeux. Jamais, tu ne cherches à leur plaire.
Autour les gens s’affichent. Tout est un peu faux.
Tu regardes ce moment juste comme il faut.

Ballet

La souplesse est donnée comme un air de musique…
Ensemble nous voguons dans un ballet magique
Où les étoiles font des sauts mystérieux,
Mais quelle est donc ma place entre toi et les cieux ?

Immobilité

L’alose est immobile au milieu du courant,
Défiant les vives eaux sans effort apparent.
Dans le flot des pensées, sur la rive, j’oppose
Ainsi, pareillement, la force de l’alose.

Tour de verre

La paroi de cristal s’envole vers le ciel,
Donnant même aux oiseaux des vertiges mortels.
On y voit, reflétés, des nuages qui passent
Et le soir, les étoiles parfois prennent place.

Sfumato

La lumière envahit timidement l’espace
Et l’ombre un peu recule, effleurant la surface.
Entre les deux, frontière énigmatique, sans
Particularité. Sfumato renversant.