Journal de bord

Je trouve au pied du lit, caché sous le plancher,
Un vieux journal de bord, couverture arrachée.
L’écriture, formée de lettres insolites,
Est obscure… le rêve soudain se délite.

À semer

Il tient à son sachet de graines comme un père
À ses enfants. Des gens lui ont volé sa terre.
Il reviendra le temps des semis, l’espérance
En son cœur se blottit. Tout est dans les semences.

Armagnac

Nous causions sur l’Histoire et ses torrentueux
Débordements sans gloire. Où étaient donc les preux ?
L’Histoire bégayait dans de vils culs-de-sac.
Puis vint le digestif, l’esprit de l’armagnac.

Trotte-menu

Parfois, j’entends des bruits, la gent trotte-menu
Sans doute qui maraude et ronge et s’insinue
Dans les chemins étroits qui courent au grenier.
Jadis s’y entassaient des sacs de blé meunier…

Bergère

Elle chante cette ode vieille sur l’estive,
Et les brebis sans barguigner toujours la suivent.
Où sa houlette passe, elle va sans frayeur
De la pointe du jour aux dernières lueurs.

Amère journée

Une journée de fer, qui dégorge de rouille,
On se bat pour des riens qui s’entassent, qui grouillent.
On se perd. Tout salit l’humaine condition.
Pas d’issue pour l’instant, hors l’amère potion…

De la nature

Près du lac aux couleurs de cuivre, opalescent,
Je me suis arrêté. Pas le moindre passant.
Le silence habité de la nature ajoute
Une autre dimension. Je suis tout à l’écoute.

Humus

J’ai quitté le goudron pour prendre cette sente
Ombreuse, forestière, aux courbes inspirantes,
Où les feuilles déjà tapissent les abords :
Des fragrances d’humus à réveiller les morts…

Templier

Dans sa cotte de maille, en sa crasse confit,
Le sieur de Bellestran relève le défi
D’aller au Nom de Dieu tuer les hérétiques.
Il n’a rien d’un saint homme et tout d’un fanatique.

Au guet

De la joie, du désir, je perçois les parfums,
Qui se mêlent parfois aux affres de la faim.
Des épines des roses au vénéneux muguet,
La joie est au-delà. Mon âme fait le guet.

De sable

Le désert semble las de porter mes errances,
Alors je file doux, tout à mon indigence.
Ici le temps s’écoule en sable, grain par grain,
Je m’y confonds, sans gloire, au pas du pérégrin.

La clé des songes

Le flou des lettres lues poétise mon heure
Et les mots accomplis très doucement m’effleurent.
Aux frissons des pensées qui naissent, je m’en vais
Vers le jardin secret que jadis tu rêvais.

Lantenée

L’habile Lantenée siffle comme un oiseau.
De ces vives mains, elle tresse des roseaux
Si serrés qu’elle sait en faire une pirogue.
Où va sur le lagon Lantenée quand elle vogue ?

Asphalte

Sur l’asphalte la pluie fait des marques grotesques,
Un serpent chimérique, une noire arabesque
Et de ce plomb fondu naissent des ombres bleues
De vapeur, s’enroulant autour des corps frileux.

Felix

Le chat fixe l’azur : l’alouette grisolle.
Il caquette en retour, à terre, et se désole.
Encore un peu de ciel, puis il trottine vers
Sa gamelle, élégant dans son brin d’univers.

Lumières

Le reflet des lumières glisse sur la vitre
Et ma pensée dérive en sautant des chapitres
Illusoires du temps qui régit mon destin,
Mais la vitre est aussi d’un réel incertain…

Arbre

Les lignes sont brisées, la nature s’épanche
En un bal enjoué de feuilles et de branches,
Et toutes les petites créatures sont,
Dans ce frémissement, belles à l’unisson.

Sans issue

Le plancher sent la cire et la voûte est gothique.
Avec circonspection, j’ouvre la porte unique
Et progresse hésitant vers un homme aux yeux noirs.
Me laissera-t-il vivre au-delà du manoir ?

Tout se passe

L’ombre sur les barreaux fait des torsades noires
Et mes mains accrocheuses quêtent des pourboires,
Un brin de ciel gris-bleu, des parcelles d’azur.
Je suis dans la prison. J’étais. Rien n’est moins sûr.

Raisin sec

Elle avale distraite un raisin de Corinthe.
En elle l’élégance est une pose feinte.
Ainsi l’après-midi s’écoule et rien n’est vrai,
Seul peut-être subsiste son désintérêt.

Muratore

Il partait de bonne heure en mobylette bleue,
En chargeant sa remorque, et ses bras musculeux
Laissaient courir leurs veines comme un estuaire.
Ébahi, j’observais son vaste savoir-faire.

Imagine

Quand les serpents sinuent, sur les rives des pages,
Au noir de l’encre, alors, s’ajoutent des images
Aux illusions si vraies que la vérité plie.
L’espace se dilate et l’être se remplit.

Intention

« Essayer de crier plus que les martinets
Dans un azur d’été » : j’avais, dans un carnet,
Noté cette intention, dans un élan futile…
Un peu comme la vie ? Les mots sont inutiles.

Fleurs passées

L’herbier que délicatement je feuilletais
Me révélait des fleurs que le temps maltraitait :
Des blancs jaunis, des bleus passés, des rouges sombres,
Ainsi toujours le temps consolidait les ombres.

Double vue

Dans un cristal de quartz, en regardant la rue,
Les passants étaient doubles, résultat couru.
L’enivrement promet, c’est entendu, des troubles,
Or l’optique aussi bien assure la vue double !

Jardin de minuit

Mon jardin de minuit se love sous la lune,
On n’y accède pas sans réciter les runes
Et ses allées bordées de topiaires ailées
Sans cesse me fourvoient. Rien ne m’est révélé.

Bracelet-montre

Le remontoir fonctionne encor sur cette montre
Et j’entends le tic-tac en m’appuyant tout contre.
Elle donne au poignet la sensation d’avoir
Une porte d’entrée sur un monde miroir.

Soirée cubaine

Tu as la peau tannée des noires cigarières,
Une main se balance d’avant, en arrière
Et l’autre sur tes hanches donne le tempo…
À cet instant joli le lève mon chapeau.

Fard

Les yeux perdus sous tes paupières violettes
Embrassent l’univers étroit de la guinguette.
Au-dehors la nuit poisse, encrassée de brouillard.
Je caresse en douceur le velours du billard.

L’eau qui court

L’eau n’est jamais très loin de lui, quand il médite,
Assis sur un petit coussin, l’heure gratuite.
Elle emporte le flot des pensées impromptues.
Lui, minéral, s’émeut de n’être qu’un fétu.