Office

Je vis la poussière ocre au fond des casseroles,
Où les anciens brouets mijotèrent, symboles
Évanouis dans l’air confiné du local.
Un spectre besogneux touille dans un bocal.

Panier percé

Dans un petit panier fait de feuilles d’automne
Une à une je mis des baies de sauvageonnes.
Ainsi longtemps j’allais par les sentes ombrées,
Jusqu’au bout de la nuit. Quête désespérée…

Du vrai

Que d’heures dans le flot des affres et des peines
À quérir des fragments de vérité, vue vaine !
Elle est spectrale, unique et court toujours pieds nus,
Farouche, forcenée, délicate, ingénue.

En bouton

Vers la belle féline un jour me suis penché
Déposer un baiser sur ses lèvres, accrocher
À ses cheveux de jais quelques boutons de rose…
Hélas dans son regard, je vis son âme close.

Fausse sortie

Non, je ne reste pas, il est temps que je rentre
Il y a du verglas ? (Tu as la peur au ventre…)
Alors je prendrais bien une tasse de thé.
Pour bavarder encore un peu à tes côtés.

Rebours

Jouanne la belle va dans son lit de fortune
Inonder de son ample geste les lagunes.
Assis, les pieds formant des sillons à rebours,
Je rêve du dedans. Le dehors est trop lourd.

Binaural

Tout autour la rondeur des notes me suspend
Dans l’éther dilaté qui va se dissipant.
Cette petite mort fait frissonner mon âme.
Encore un peu. Le son va déchirer la gamme.

Vaisseau de lin

La rouge aurore aux yeux fardés vainement point.
Les miens lourds d’un rêve évadé sont encor loin.
J’entends frissonner les feuilles des ormes rouges
À moins que ce ne soit le bruit des draps qui bougent…

Chicane

Mille excuses, lui dis-je, étant peu convaincant,
À celui qui proteste à mes mots coruscants.
Si ma prose vous gêne, ailleurs je vous invite
À lâcher votre fiel. Heureux celui qui tweete.

Photo d’antan

Assise, elle contemple éperdument les nues
Qui filent dans le ciel. Le lieu m’est inconnu,
La photo montre un orme aux branches incertaines.
Elle, sur le gazon, peut-être, souveraine ?

Lullaby

Les nombres swinguent méchamment, dans cette suite
Et j’entends la chanson, comme une belle truite
Au milieu du courant. Les accords sont frappants.
C’est à cette guirlande que je me suspends…

Mots fléchés

 Dans les grilles des mots qui se croisent, codés,
J’embarque en navigant sur les flots légendés,
Déjouant l’aléa des conflits sémantiques
Et tuant peu à peu la blancheur entropique.

Matrice

Je creuse densément dans la terre matrice,
En quête de savoir et de secrets indices.
Au fond seule la vie, dans cet ici-bas, sourd
Lentement. J’ai ce temps. Le monde est tout autour.

Sous un nuage

C’est le gros temps qui court en nuages de plomb.
Je pense à mon amour parti pour un trop long
Séjour dans un pays pailleté de soleil,
Tandis que je blêmis sous la lune, pareil…

Au bas mot

Le désir m’assassine à n’être point comblé.
Le plaisir s’accumule en dunes ensablées.
La joie surgit parfois comme une source fraîche
Et la vanité court, sans rien qui ne l’empêche…

Trop tôt

On le voyait partir au soir, faire sa nuit
De travail à l’usine et tout ce qui s’ensuit.
Sournoise, elle faucha sa vie, vile camarde,
Et son âme s’en fut. Dieu près de Lui le garde.

Châle

Mets ton châle serré sur tes épaules nues,
Le vent de la contrée dans les cous s’insinue.
Je t’enlacerais bien, mais ta peine s’étire
À l’écart de ceux qui de si près vont et virent.

Château

Au château de la butte, au milieu des marais,
Vit un gars solitaire, au destin sans regret.
Vous pouvez y aller sans risque. On le surnomme
Abel. Il n’y a pas plus doux que ce bonhomme.

Tapis

Mon tapis de yoga s’est épris d’Aladin,
Rêvant de survoler de merveilleux jardins,
Je le sens bien qu’il peine à me considérer,
Mais fidèle il m’appuie de sa mousse serrée.

Bolide

Le bolide surgit souvent dans le brouillard,
Sanglant comme une aurore, à côté des radars.
Si tu le croises un jour, sache que sonne l’heure.
Où la vraie vie te somme : ou tu passes ou tu meures…

Panique

L’attaque de panique enfla, mais je fus quitte
Au fond pour un cœur qui cognait un peu trop vite.
Et quand dans le salon, tu fis un entrechat,
Je ronronnai léger, si près d’où tu guinchas.

Refoulé

Je vais, les muscles allongés, les nerfs en boule,
Au rythme de ma vanité, je me refoule.
Encore un jour de fleurs épanouies, fanées…
Je fais de ton regard trop mon âme damnée.

La pluie

La pluie ne lâche rien, s’infiltre dans la terre
Et ruisselle au-dessus, brune de sa colère.
Au-delà les nuages roulent de gros yeux.
Penaud, l’homme, entre l’eau et la terre, au milieu.

Couture

De serge ou de batiste, il cousait des habits,
Posé sur une chaise au fond de son gourbi.
Sa coupe était précise, son aiguille sûre,
Et même son suaire eut une fière allure.

Papillonne

Je n’ai jamais planté d’épingle dans le corps
D’un papillon transi, pour hausser le décor.
Je les préfère vifs, beaux sur une corolle
Ou posés sur ta jupe aux fleurs dont ils rafolent.

Croqueur de notes

Il est sorti trop tard notre croqueur de notes,
Avec une guitare folk, un peu vieillotte.
À la sauvette il a déballé ses chansons,
Mais la rue n’aime ici que les mauvais garçons…

Feuilles au vent

C’est le bal annuel des feuilles gaies et mortes
Aux couleurs de sérails, de noces, qui m’emporte.
Autour le vent mutin chuchote les amours
Des feuilles et du ciel. Un temps de troubadour.

Le vieux Léon

J’ai entendu cet air d’accordéon. La rue
Devant semble déserte et pourtant j’aurais cru…
Juste le vent qui traîne où passent les fantômes,
Un de ceux qui traînait déjà quand j’étais môme…

Chat de trottoir

Le chat s’est fait un lit de la chaude rigole
Au soleil. Il se vautre, attendant qu’on cajole
Un peu sa tête ronde. Au loin les martinets
Trissent dans le ciel bleu. C’est l’heure du minet.

Anagramme

Lorsque tel mot résonne, à genoux sur la natte,
Aussitôt j’entreprends la phase délicate
Où le jeu se complaît sans cesse à parcourir
Les mots. Enfin, prier… quand le je va périr.

Inéquation

Puis-je à ce point rêver des autres de moi-même,
Ombres enchevêtrées, tonitruantes, blêmes ?
Évanescente, au loin, ta silhouette se tient.
Le rythme de mon cœur n’est pas celui du tien.