Tunnel

La lueur céladon des néons cacochymes
Offre à la peau des tons de cadavres ultimes
Et le tunnel plus loin toujours pousse mes pas.
Me conduit-il à la lumière du trépas ?

Pyramide

Je n’ai pas peur de la pyramide tronquée,
Sa forme inachevée me laisse interloqué.
Je cherche la partie manquante sur la Terre,
Once de vérité perdue dans le mystère…

Infusion florale

Tu mis la fleur dans l’eau chaude de la théière,
Une fleur rabougrie, sèche comme une pierre
Et la voilà qui lentement s’épanouit
Révélant sa beauté dans l’espace, inouïe.

Penderie

Chemises alignées, cravates trop tendues,
Le placard effrayant des vêtements pendus
Me semble receler quelque trouble passage.
Un monde est au-delà…me manque le courage.

Blancheur

La blancheur de la chambre appelle le silence.
Ici tout est noyé, pas la moindre nuance.
Artificielle, l’aube elle-même se fond.
Seule injure au décor : le drap comme un chiffon.

Soupe

C’est l’heure de la soupe et le soleil décline.
Au rythme des lampées, tu me fixes, féline,
Une serviette à fleurs posée sur les genoux…
Un autre soleil brille à l’intérieur de nous.

Las

La fatigue me point comme un faix sur l’échine,
Ainsi moulu le corps fait bien triste farine…
À moins que vos deux mains, boulangère, ne soient
À même d’en faire un pain bis, qui ne déçoit.

Baisser de rideau

À la fin de la pièce, il sortit son mouchoir
Essuyant une larme, en passant, dans le noir.
Le rideau caressait romantique la scène ;
Un peu plus tard, la rue, les effluves malsaines…

Sur le zinc

Modestie de comptoir, l’homme refuse un verre
Offert par le pilier du bar qui persévère
Et ne s’offusque pas de sa sobriété.
D’ailleurs, dans ce bistrot, que pourrait-on fêter ?

Labyrinthique

La pièce se transforme en un grand labyrinthe
Aux murs épais flanqués de vasques qui suintent.
Errant dans les couloirs, un livre sous le bras
(« Topologie du rien »), je rêve d’être un rat…

Plus profond

Ce fut un moment rare où gestes et pensées
Semblaient se dérouler sur leur propre lancée
Tandis que plus profond, ma nature première
Allait, muse ingénue, de sources en clairières.

Chuchotements

Le vent me cache encor certains chuchotements.
Peut-être que je sais, peut-être que je mens.
Suis-je donc à courir, goulu, la prétentaine
Alors que la poussière est là, par monts et plaines ?

Pas dansés

Les pierres du chemin ne sont pas disposées
Au hasard. Je m’avance et mes pas sont dansés.
La couche d’air au sol brille comme une lame.
À moi revient le fil, au temps revient la trame.

Film

Je suis au beau milieu d’un film en noir et blanc,
Oiseau dans le décor, infime goéland
Dans un fond de ciel gris. Le pinceau de lumière
Attire mon regard. J’ai le vol téméraire.

Fil d’Ariane

L’Ariane roule au pas dans la ville souillée,
Ma tête peu à peu, sur la vitre appuyée,
Dodeline. Le temps s’éloigne de mon âme.
Un feu rouge. Un feu vert. Le néant me réclame.

Le temps voulu

César de Bonnavant fut toujours à la traîne
Et son ample manteau se soulevait à peine.
Il mourut d’un carreau d’arbalète pesant…
« Lente vie, brève mort », lit-on sur son gisant.

Avette

Ici, là-bas, tout près de mon inexistence,
Un peuple chaleureux de pensées se balance.
Une joie m’envahit d’être pour tout cela,
Petite abeille, avette au milieu des lilas.

Panorama

Tu as cette voussure à la courbe de l’âge,
Et je t’aide à gravir la pente. Tu soulages
Alors ton dos usé sur le plus proche banc.
Le fleuve se déroule, au loin, comme un ruban.

L’eau qui bout

La bouilloire caquette sur la cuisinière
À bois, puis elle siffle. Il faut dans la théière
Aussitôt verser l’eau. L’ambre du thé s’y noie.
Nous buvons la chaleur du monde qui tournoie.

De suite

Je vole au ras des flots de nombres, mer subtile,
Infiniment bercé par les vagues mobiles,
En quête d’éléments singuliers ou retors.
La suite m’apparaît, belle dans le décor.

Histoire de comptoir

Un air à peine susurré de jazz un soir,
Me laisse coi devant un bock pris au comptoir.
Tu traînes aussi ta nostalgie, je le suppose
À ton regard un peu battu d’ange morose.

Ma source

Des fissures du sol jaillit une eau limpide,
Étincelante, gaie, chuchotante, candide.
Elle file légère en ruisselets frangés
Vers le lac. C’est ma source et rien n’y peut changer.

Mots croisés

C’est la grille des mots qui tient lieu de sésame.
Impatient je remplis le curieux cryptogramme
Et la marqueterie dévoile un long tiroir.
À l’intérieur, tapis, un dé blanc, un dé noir.

Tôles

Sur le sol graveleux, les voitures sont lasses.
Elles gisent sans ordre, ailleurs elles s’entassent.
Un vent mauvais se tord entre les vieux châssis.
Pas d’issue. Devant moi, un vieillard est assis.

Beyrède

Je ne sais qu’avancer, sur cette route étroite,
Aux virages serrés, aux pentes scélérates,
Et la fraîcheur ténue, soudaine, me ravit,
De l’ombre d’un feuillu. J’inspire et je revis.

Notre étoffe

C’était une matière soyeuse au toucher,
Quelque étoffe de robe à jours endimanchés,
Que tu sortis, vêtue comme un troublant symbole
À nos amours passés… moi brise, toi corolle.

Agoraphobie

À petits pas, je marche, tel un funambule,
Et les pierres se ruent, les passants me bousculent.
Un bruit de carnaval me blesse au plus profond.
Je n’en peux plus. Je fuis. Dans l’ombre je me fonds.

Art culinaire

Les bûches vivement chauffent la cuisinière,
Et tel un athanor, le four est la prière.
Ici, les parfums courent plus que les encens.
Les recettes s’enfuient, qu’on fasse avec ou sans…