Des choix

J’ai quitté le concert des heures abstenues,
Préférant dans l’instant les cartes aux menus.
Si rien ne peut changer le cours de l’existence,
Au moins se satisfaire un peu de la nuance.

Torrent

J’aime l’eau du torrent qui glisse entre mes doigts
Sans jamais se lasser, jouant, comme il se doit,
Des refrains chuchotés sur des bourdons qui grondent.
Ainsi la vie m’étreint qui palpite à la ronde…

Chiens jaunes

C’est un jour à laisser aux chiens jaunes des dunes,
En meute, poursuivant quelques proies de fortune.
Il est temps de laisser aussi le sable enfouir
Les traces de nos pas… Le désert va guérir.

Banjo

J’ai encor le banjo qui dort dans son étui,
La flûte traversière, à côté, qui s’ennuie,
Deux violons vermoulus dont les cordes s’enroulent
Et la musique enfuie, les rêves qui s’écroulent.

Haute lisse

C’est un tapis de haute lisse où tu t’allonges,
Étirant ton corps sans malice ni mensonge,
Un peu comme une ombre glissante et qui s’étend.
La minute est assourdissante à qui l’entend…

Question

Ne faut-il pas se dire et se dire sans cesse
Et s’écrire toujours pour ce que cela blesse
Au regard de la forme encore inachevée,
Mourir à soi pour voir une aube se lever ?

Chanson d’adieu

Cette chanson pâlie, je vous la dédicace,
Accompagnée d’un bon joueur de contrebasse…
Sa mélodie vous dit tout ce que j’avais tu.
Nous ne fûmes jamais ni à toi ni à tu.

Ivresse

Nous fûmes dans l’estaminet, de vilains drôles
Hissant les ballons, avinés, près des épaules,
Oscillant sous l’onde du bar, tout en gueulant
Des mots de poètes flambards, de vers branlants…

La rose et toi

La rose avait le teint neigeux des aubes douces,
À ton oreille, fleur éclairant la frimousse
Et tu ris, pimentant l’air même d’un éclat,
D’une joie ciselée pas ces pétales-là.

Cache

Le silence étonnant de l’orée me sidère.
Un geai soudain cacarde et brise le mystère.
Il est temps de rentrer. La faune se tapit.
L’espérance des êtres va de mal en pis.

Dernier bus

Le vert glauque des bus montre les passagers
Livides, quand la nuit finit par tout ronger.
J’observe ainsi les corps dans les artères grises
Absorber la torpeur des âmes trop soumises.

Le faune du parc

Le parc a des secrets de verdure et de rite,
Aucun des promeneurs de fait ne le mérite
Et le faune reclus dans son dernier bosquet
Casse la nuit venue clôtures et piquets.

Ruisselet

Ton rouge à lèvres dégouline en noir et blanc
Du fait des larmes qui creusent des sillons lents.
Je suis dans ton émoi l’eau salée qui dérive :
Après la peine, la fureur… mais je m’esquive.

Ballerine

Devant le vieux saxophoniste, elle est venue
Danser sur le trottoir de la grise avenue,
Faire des entrechats, céleste ballerine
Et le saxo jouait Summertime de Gershwin…

Oliveraie

L’oliveraie nimbée de brume opalescente
Entrait dans le soleil de l’aube. Indifférente,
Assise près d’un tronc noueux, tu transperçais
Mon âme frissonnante. À qui donc tu pensais ?

Pages floues

Une simple minute un jour et tout vacille,
Un trou dans le tissu du temps qui me rhabille
Et je vois mille vaguelettes qui refluent…
Ce sont les pages floues des ouvrages non lus.

Bivouac

Elle soupire assez, la forêt qui s’endort
(Le bruissement du vent)… j’en longe les abords,
Je m’assois contre un arbre, empli de somnolence
Et me love confiant dans les fougères denses.

Le roc et moi

Fatigué je m’appuie sur le rocher moussu,
Tiède encor du soleil qui a chauffé dessus.
Je me laisse bercer par sa voix minérale,
Y découvrant le corps de tant de cathédrales…

Œuvre au rouge

J’avance enveloppé dans une cape rouge
Au fond d’une ruelle au pavage qui bouge.
Énorme, la fureur, élixir ou poison,
Me gouverne. Le sort dépasse la raison.

L’éveil

À tous ceux qui pâlots vont au jardin public,
Le nez sur leur écran pour inonder de clics
Les lieux de vanité, le ciel lance des charmes,
Une senteur, un chant, la chaleur d’une larme…

Sur terre

Elle n’est jamais loin, la terre universelle,
À laisser la rosée monter comme étincelle
Au milieu des labours. Plus tard le parfum gras
De l’humus se répand. Le sol n’est pas ingrat…

Un rideau

Il suffit d’un rideau tiré pour que je sente
Un peu d’intimité, dans cette humble soupente.
Au-dehors la cité gronde avec prétention.
Nous cessons d’y penser, tout à nos émotions.

Entre un mur

Cette maison n’a qu’un seul mur qui fait le tour
De nos biens et nos corps lassés, de nos atours.
Au centre grogne un poêle noir, vaine fournaise,
Et nous blottis en rond, chacun sur une chaise.

À noter

Je ne suis pas d’un lieu (les lieux n’existent pas).
La conscience elle-seule est sentier de mes pas.
Du coup, ne pas chercher le moindre itinéraire,
Il n’aurait pas de sens : se hâter sans horaire.

Le bosquet noir

Je suis du bosquet noir, à l’humus angoissant,
Ma maison se dérobe au regard des passants,
Enchevêtrée qu’elle est dans un taillis de ronces.
Aux poseurs de questions, je n’ai pas de réponse.

Minutes

Nous eûmes des moments, minutes fugitives,
Où la joie s’épanchait dans nos vertes estives.
Allongés, nous suivions les nuages dodus.
Nous nous tenions la main, nous étions suspendus.

Migraine

La migraine se tord, hargneuse sous ma peau,
Serpents d’énergie rouge en sauvage troupeau,
Puis mon âme, volute, élégamment s’élève
Où la douleur se perd… dans le pays des rêves.

Nautonier

Le brouillard engloutit la proue comme la poupe
Et la barque dérive au fil de l’eau, chaloupe
Au gré des vagues mues par d’étranges courants.
J’y suis debout, sans fin, navigateur errant.

Bal masqué

Le ruban de poussière est chaud sous nos pieds nus,
(Seras-tu la plus belle au bal des inconnus ?)
Nous avançons tous deux sur la rive des rêves
Et la musique vient… Dieu, que la vie est brève !

Symboles

Chacune des bougies vacille dans le noir
Autour de la statue, qui semble se mouvoir.
Tout est dit dans ce lieu. Les siècles s’accumulent.
Seules comptent pour moi les lettres minuscules.

D’être

Telle est celle qui vêt le tissu de lumière
Et ses mailles de nuit, dans l’aube singulière,
Où le temps n’est qu’un leurre. Est-ce d’un rêve ancien ?
Je ne sais. Mon bonheur d’être n’est pas le sien…