Jeu de fées

Il revenait toujours dans ce coin de forêt,
Parcourait les sentiers, tout ce qu’il adorait.
Les fées jouaient autour, sans jamais qu’il le sache,
Il s’en doutait pourtant, jouant à cache-cache…

Nos baisers

Nos baisers sont partis comme les hirondelles
Au pays mystérieux des souvenirs rebelles.
Ici, le temps se fige, où les gens suspicieux
Font de la terre humaine un printemps silencieux.

Douceurs

Il buvait cet anjou sans perdre le contrôle
Et savait que l’ivresse était le mauvais rôle.
Alors il tutoyait, méticuleux, ce vin,
Chuchotant au goulot ses espoirs angevins.

Jugement

Le discours est sérieux, les arbres se concertent
Et bruissent dans le vent, quand, sous les ramées vertes,
Assoupis, deux soldats rêvent de chars d’assaut.
La forêt doit sévir. Les hommes sont des sots.

Pensée

À l’effort que tu fais, même tes yeux se tendent
Et la pensée jaillit parfois, petite ou grande.
Avec soulagement, tu goûtes à ce plaisir
Que nul ne peut t’ôter : la beauté de saisir.

Mur de verre

C’était un mur de verre et j’étais d’un côté,
Toi, de l’autre, élégante, tu buvais un thé
Sous les arcades d’une ville singulière.
Ainsi j’étais fantôme, ombre de ta lumière.

Phases

Je suis eau, la fraîcheur qui coule sur les pentes
Invisible, irriguant les racines des menthes…
Impossible, je suis vapeur et glace aussi,
Je donne et je reçois. Le monde est mon récit.

Deux rives

Rien ne reste immobile et pourtant rien ne va
La description du monde est un tas de gravats.
L’entropie s’insinue dans les failles, furtive
Et je perds pied souvent, le corps entre deux rives…

Adour

Les galets de l’Adour sont comme des pâtons
Que le fleuve pétri de ses bras d’eau gloutons,
Puis généreux les donne aux barthes amoureuses,
Offrande à la beauté des courbes somptueuses.

Élan chtonien

Derrière la pelade verte et rabougrie,
La roche est immobile, aux strates assombries
Sinuant dans un ample frisson minéral,
Portée par un élan sans borne, colossal.

Clapot

Il regardait le golfe de Carpentarie
Debout, seul, sur l’épave échouée d’un ferry,
Le clapot de la mer racontait des histoires
Où les marins s’en vont sur des mers bleues ou noires.

Tu vis

Tu vis claquemuré, les ombres te sont douces,
Une comtoise au mur bat le temps sans secousse.
Il est deux heures et quart. Tu regardes tes mains
Qui racontent toujours la vie du lendemain…

Glu de l’aube

Ah, ce brouillard d’aube est gluant ! Les yeux me piquent
Et je déroule sous mes roues des gris magiques.
Encore un peu, le soleil pousse vers le haut
Les bêtes, paréidolies de ce troupeau.

Corps perdus

Les corps inachevés des nuages défilent
Emportant avec eux les rêves immobiles…
Où suis-je ? Nul ne sait, la relativité
Gouverne les élans dans l’horizon bleuté.

Richesse

Le fumoir est cossu : les boiseries d’ipé,
Les fauteuils de cuir mat, l’immense canapé,
Les cendriers d’argent, tout ici porte à croire
Enfin que la richesse n’a rien d’illusoire…

Bocaux de terre

Les terres sont classées par ordre alphabétique,
En bocaux, sur des étagères symétriques
Et l’homme siégeant là me fixe, l’œil méchant :
Je ne vais pas voler ses petits bouts de champ !

Clapots

Papier huilé, rayons de l’aube, ombres chinoises,
Autant de vies, de destinées, s’entre apprivoisent.
On entend les clapots du port. On boit cul sec,
Histoire d’entraîner son mal de vivre avec…

Aux solitaires

J’ai cru dans son regard deviner un péril
Où pour elle ou pour moi, c’est un peu puéril.
Alors j’ai pris sa main, partage élémentaire,
Afin d’être un peu deux… dans ces temps solitaires.

L’inconnu

C’est un moment secret, ni mouvement ni pause
Et mon corps se tient droit, dans l’inconnu des causes
À fonder sa raison sur l’au-delà du vain.
Je suis et ne suis pas, juste au bord du ravin.

Danse

Moi qui peux fuir à la vitesse de l’éclair
Quand on m’invite à danser, je ne suis pas fier,
Le plancher grince, un vent mauvais court sur la piste
Et mes pieds gourds se traînent, perdus, fatalistes.

Bleus thés

Nous débattions du goût des thés blancs, des thés bleus,
D’une commune envie d’être méticuleux
Dans l’emploi du vocable idéal, mais décrire
Aboutissait toujours à des éclats de rire…

À pierre fendre

Le froid mord et déchire et la pierre et le bois.
La chair frisonne tant que l’homme est aux abois.
C’est le grand champ de glace aux portes de la terre
Où rien ne lève, hormis les corps élémentaires.

Pont

Le pont franchit très haut le cours de la rivière,
Avec une seule arche entièrement de pierres,
Aux invisibles joints. Le savoir oublié
Flotte au-dessus de l’eau. J’ose m’y appuyer…

Au tertre

Sur le tertre où jamais un arbre n’a poussé,
Je suis allé porter mes idéaux lassés,
Déposer mes cahiers pleins de paroles vaines
Et laisser la nature faire, souveraine.

De l’amour

Tandis que vous tuez les gens sans état d’âme,
Une force s’épand, bien plus que vos infâmes
Engins de mort, jaillit, sans mesure, infinie,
Repoussant avec grâce votre tyrannie.

Plantes compagnes

C’est le rêve d’un groupe, humaine destinée,
De cultiver des fleurs avec des graminées.
La beauté vient parer la simple nourriture.
Ainsi s’épanouit le cœur. Belle aventure.

Colonnade

La colonnade en bois de cèdre fait le tour
De la villa. Je marche à pas comptés. Le jour
Décline quand je frappe à l’imposante porte.
Enfin je te revois. C’est trop tard. Peu importe.

Bar fantôme

Ce bar n’est pas répertorié, c’est par hasard
Qu’on y arrive. Un sortilège banlieusard
Semble agiter sa vieille enseigne. On peut y lire,
En caractères émaillés : « Demain, c’est pire ».

De plume

Le grain du secrétaire a raison de ma plume
Et je cherche agacé le sous-main, puis j’allume
À regret la lumière… et l’inspiration vient.
L’encre suit son parcours, juste au-delà du rien.

Déclamation

Je tiens à déclamer, sur ces planches de scène,
Un bataillon de vers que brillamment j’assène,
En espérant tenir en haleine les gens.
Mais la foule vénale en veut pour son argent…