Minute

Chaque minute inachevée de cette histoire
Est une pièce vide, étendue probatoire,
Où les portes sont plus nombreuses que les murs.
Faut-il s’y arrêter, tremblant sur ses fémurs ?

Ruche

Je doute par instant de la réalité
Du soi, que je confronte à la ruche agitée,
Mystérieusement solidaire, céleste
Où tant d’ailes dans l’air, battent, fines, modestes.

Bruyante

La ville grince trop, les cris vrillent ma tête,
Il me faut découvrir une cache secrète,
Acoustiquement saine, au fond de la maison.
Le silence s’accroche au fil de ma raison.

Feu sans fumée

Douze en noir, bras dessus, bras dessous, font la ronde
Et la soie des chemises, des pulls, surabonde.
Au centre un feu de bois brasille sans fumée.
Le treizième, au-dehors, s’applique à les nommer.

La passante

La montée chromatique assure son élan
Dans la limpidité d’un ciel azur et lent.
Rien n’y pourrait laisser en cet instant de trace
Et la note s’étire et la musique passe…

Par essence

La besace de cuir, la tunique de laine,
Il marche en s’appuyant sur son bâton de frêne
Et s’arrête parfois pour contempler le ciel
Ou la terre, selon. Rien n’est plus essentiel.

Nuage d’ailes

Une nuée d’oiseaux tourne autour du vieux chêne,
Et se hisse au-delà quand le vent les entraîne
En un vol somptueux, vibrant d’ailes bleutées,
Tandis que je me noie dans l’aube ensanglantée.

Désir de rose

Le rosier blanc s’échappe et fleurit dans la transe.
Écloses, mille fleurs disent l’exubérance
Infinie de la vie, la beauté du plaisir
Qui succède candide aux boutons du désir.

Croix de bois

Mille croix alignées, sous la blancheur des brumes,
Et toi qui marches lente, imprégnée d’amertume,
À contre-allée, tandis qu’immobile, debout,
Je déchiffre les noms mitraillés dans la boue.

Sur scène

Elle est seule sur scène, esquivant la lumière
À pas pressés. Les mots qu’elle crie la repèrent.
Alors le projecteur la rattrape soudain,
L’ornant d’un éclat roux. Sortie côté jardin…

Magasin

J’erre dans les allées du magasin désert,
Essayant de penser qu’ici rien ne me sert.
Au fil des pas perdus, mon corps se désagrège
En mille flocons noirs, de suie plutôt que neige.

Proie

Nous n’irons plus au bois, la meute chasse fort,
Babines retroussées de l’un à l’autre bord.
La bêtise m’épuise et la sagesse ruse,
Où donc se réfugier sur cette terre abstruse ?

Saveur amère

J’opère en qualité de novice devin
Regroupant devant moi les constantes en vain,
Cherchant dans la patience une saveur amère…
Eh non, le temps n’a pas de route linéaire.

Rimaille

La métrique m’étrique et la rime m’arrime
Aussi loin que je parte, aussi fort que je trime.
Un rien pourrait briser lesdits arrangements,
Mais si je récalcitre, alors… c’est que je mens.

Artifice

J’allume trop de mèches, le feu d’artifice
Est prêt à s’élancer dans le ciel. Qu’il se hisse
Ou pas, de tout là-haut, les étoiles lassées
Scintillent dans le noir des gestes insensés…

Très bas

Contre la terre encor, je me colle, attentive
Et des cailloux retors poignent l’oreille-rive.
À cette heure je sens tout le poids d’ici-bas.
Le sol gronde et mon cœur mimétiquement bat.

Déni

Je suis dans le déni d’être, à cette heure indue,
Passant délibéré d’une voie sans issue.
Je colle mon visage à la grande verrière :
Au-delà l’univers élargit ses frontières…

Tous les matins

D’ombrelle matinale, au bord du quai tu passes.
Assis sur un vieux banc, jamais je ne me lasse,
Où tu vas je ne sais, je laisse le destin
Tisser ses fils. La vie renaît tous les matins.

Malévolence

La pierre brute donne à cette salle un air
Si froid que la buée condense et que mes nerfs
Se tendent. J’imagine autant d’ombres qui dansent
Autour de moi, surgies, malévoles substances…

Pierres sèches

Le soleil a tiédi le mur de pierres sèches
Et te voilà posée tout contre, avec tes mèches
Étrangement collées par la sueur du soir.
Je ressens ta détresse et ne sais que m’asseoir.

Ophélia

Les pétales tombés des fleurs de camélia
Parent la peau blêmie de la belle Ophélia
D’un rouge palpitant. La peur dans ses yeux ronge
Un peu leur bel azur, abîme des mensonges…

Foin

Que de cordons de foin s’alignant sur la pente,
Écrasés de soleil ! Trop de parfums me hantent !
Une brise de mai véhicule l’odeur
Et les plaintes sucrées de l’ultime verdeur.

Lancinant silence

L’horrible jardin pâle avec ses eaux croupies
Convoque les esprits mutiques sans répit.
Je ne sais ni ne crois. Ces ombres me cajolent.
Où suis-je ? Crie le geai, quand mes jambes flageolent…

Mots dits

Elle germe, se hisse, épanouie… s’étiole.
Elle se perd, s’éreinte, et vaine, la parole
À la fin n’a de sens que si l’âme est tenue.
Sans racine elle n’est qu’un discours convenu.

Route des abeilles

Je parcourais léger la route des abeilles
Où tant de phacélies n’avaient pas leur pareille.
Ô cette ivresse des butineuses dorées !
L’air débordait de joie, j’en ai ri puis pleuré.

Surplomb

Aux pierres du chemin poussées sur le talus,
Je devinais la force qu’il avait fallu
Pour que le gel délite ainsi le front de pierre.
Et même en plein été, la roche est meurtrière.

Liquidation

Tout fut laissé ce jour sur le bord de la route,
Oublié tout ce qui journellement s’ajoute…
Elle s’endimancha de mille fleurs des champs,
La pluie lava le reste des mauvais penchants.

Bas flots

L’eau me mène à bas flots, m’échoue sur d’autres rives,
Aussi las qu’un saumon dans son onde native.
Où que j’aille l’éclat du jour éparpillé
Me ramène à la vie des êtres oubliés.

L’air du temps

Suis-je si loin d’hier, dans cette pente rude,
À respirer cet air léger de l’altitude ?
Également se donne, fluide, le temps.
Je m’accroche au vélo pour preuve de l’instant.

Ronrons

Aux égards inouïs que singulièrement
Vous eûtes à ma peine, j’estimai le men-
Songe… étais-je à ce point mort que vous persistâtes
À ronronner, vaillant, tout près de moi, sans hâte…

Nos mots

Autant que la distance inattendue se pare,
Entre elle et moi, d’ondes sauvages qui m’effarent,
Irraisonnés nos mots tissent d’étranges fils,
Autour, le temps de quelques battements de cils…