Secret désir

Dans le secret du clos, je laisse mes terreurs
Se dissiper dans l’air, sous le saule pleureur.
Assis sur le muret de pierre, je respire
Intensément les fleurs, autour, tant je désire…

Crime

J’ai tué le faiseur du monde apparenté
Qui trouvait toujours une porte sur l’été.
Je n’ose plus sortir, la rue me tend des pièges.
Ici l’hiver sévit, d’autres saisons m’assiègent.

Décalage

À composer des vers, je suis l’autre moi-même,
Encore en plein hiver, à cracher des poèmes
Aux épines durcies, qui blessent le gosier.
Pourquoi n’ai-je pas vu les fleurs de cerisier ?

L’autre couloir

C’est un soir où dans la maison je déambule,
Hésitant, d’une pièce à l’autre. La pendule
Archaïque se cale au tempo de mes pas,
Quand surgit un couloir que je ne connais pas…

Prier

La lumière diffuse à travers les rideaux
De la fenêtre ovale aux graciles vitraux.
Je reste agenouillé sur les carreaux de marbre,
Immobile et patient comme le cœur d’un arbre.

Voix en noir et blanc

Sur la photo en noir et blanc, je te devine,
À droite au bord du secrétaire, avec ta mine
Infiniment sérieuse et folâtre à la fois…
Me revient de très loin le velours de ta voix.

Poussiéreux

De traîner çà et là, la poussière s’amasse,
Au fer de mes chaussures, au creux de ma carcasse,
Une poussière d’or ou de suie qui se plaît
À étouffer ma vie, ses joies comme ses plaies…

Landes

Ses doigts, ses mains, son corps racontent des légendes
Elle danse pieds nus sur le sable des landes,
Au son du vent d’autan qui louvoie tout autour.
Est-elle une bergère ? Suis-je un troubadour ?

La sentinelle

La maison sentinelle a des planches pourries,
Elle cache tant de secrets sous les lambris,
Les souvenirs perdus de gens d’une autre époque.
Ultime locataire, ici, je soliloque.

Saphir

Un livre s’ouvre, un papillon déploie ses ailes,
Il écarte ses bras, maintenant tout près d’elle.
Aux yeux de l’un et l’autre, il y a des éclats
De saphir. Rien n’est dit. Le cœur est au-delà.

Vues croquées

Dans sa main, le crayon dessine une mouette,
Une jupe qui vole, un sourire, une tête
Avec toujours ce trait vif et déterminé.
Elle me voit soudain : je me sens crayonné…

Nez en l’air

Tu as le nez en l’air, épanouie sur l’herbe.
Un martinet s’élance en trissant sa superbe.
Auprès de toi, j’inspire un peu de ce bonheur,
Le plaisir se déploie dans un mode mineur.

Des oliviers

Du chant des oliviers, le mont Subasio bat
Comme un cœur, en hommage à François, le Très-bas.
Les feuilles argentées sous une menue brise
Enchantent les oiseaux. Que ce chant me conduise !

Gésir en paix

Des pas désordonnés résonnent sur les dalles,
Un millier de talons qui dans la cathédrale
Empêchent le gisant de séjourner en paix,
Les vivants pour les morts ont si peu de respect…

Jardins ouvriers

Sur le mail des lilas, je traîne de vieux rêves,
Il semble n’avoir pas changé (la vie est brève…)
Et je passe un à un les jardins ouvriers,
Leur terre noire, leur cabane ensommeillée.

Lingère

Elle n’avait blanchi que les draps du Manoir
Et ses mains en hiver rougissaient au lavoir,
À tremper le lin bis dans l’eau vive et mordante.
Elle mourut lingère et sans chapelle ardente.

Forge lame

Ils actionnent tous deux le grand soufflet de forge
Et les émanations du feu piquent la gorge
Et les yeux. Le charbon brasille puis s’enflamme.
Encore un peu. C’est l’heure. Ils y plongent la lame.

Les mots ne sont

J’ai la bouche cousue, les secrets se bousculent
Et le pressentiment de vérité me brûle.
Ou dire ou ne pas dire, au fond, les mots ne sont
Que de vaines idées. Si rare est le frisson.

Déchirure

Le tissu de mes rêves est bien trop élimé.
La déchirure gagne et j’ai mésestimé
La profondeur du temps, la noirceur des abîmes.
Entre les mondes j’erre et l’écart est infime.

Broussaille

La broussaille griffue m’empêche de marcher,
Je dois quitter mon corps, surtout ne pas flancher.
À l’aube grise et bleue, les arbres me chuchotent
Et me guident. Là-haut, j’ai l’âme qui grelotte.

Tours de roue

La route me déplace en tours de roue sans fin.
Je perds de ma substance et je ressens la faim
Qui monte avec la pente. Où l’air se fait plus rare,
Imperceptiblement, sans une once de gloire.

Estival

Ai-je à me délier des serments de l’aurore ?
Un long fil d’araignée que la lumière dore
A frémi : la réponse est claire, je ne puis.
L’été me pousse, c’est le jour après la nuit.

Point de croix

Sur la coiffeuse, un chat brodé me dévisage,
En noir et bleu, moustaches dans un paysage
Inachevé. Je m’y assois, tout à côté,
Passe le temps. Le chat ronronne, tout bleuté.

Déprise

Tu ne sais pas, me dis la vieille, tu te caches !
Est-il besoin, lui répondis-je, que je sache ?
En fond l’azur et le silence, un cri d’oiseau…
Nous soupirons, comme le vent dans les roseaux.

À fleur de branche

Aimée, le temps m’étire en branchettes menues
Que tu cueilles au printemps quand les fleurs sont venues.
Je vis encore un peu sous tes doigts qui me frôlent
Et finis en pétales blancs sur ton épaule.

Gros grain

L’orage gronde fort. On est tout à côté,
Sous la toile qui bat. Tu es épouvantée, l
Les éclairs font des ombres crues sur les nuages.
Auprès de toi j’essaie de feindre le courage…

Ans vains

Au fil du temps j’acquiers une allure de sage
En ce qu’elle confine à la folie de l’âge,
Inutile illusion, vaine sagacité…
J’abandonne aux grimauds le soin de me citer.

À fleur

J’ai perdu la petite fleur qui se lovait,
Coquette, dans le creux d’un livre de chevet.
Sur la page cent-quatre, une empreinte subsiste,
On y devine en creux quelques pétales tristes.

Ex nihilo

L’ayahuasca m’emporte et dilate les sphères
Où ma conscience émue veut désespérément faire.
Aussitôt le chaos s’installe et me détruit.
Rien… sinon l’espérance et des fleurs et des fruits.

Tao

Mon être est sous le ciel, tout d’essence florale,
À cette heure du jour où la pensée létale,
Évaporée, me laisse épuisé dans l’azur,
Âme fine, éthérée… mais je n’en suis pas sûr.