Soupir

Mauvaise est la raison qui méprise l’amour,
Qui arrache un à un, les prenant à rebours,
Les sentiments ténus des êtres qui s’accordent,
Et la raison se fout de la miséricorde.

Casino

Quand la roulette attend son tour, au casino
De la rue Dienne, on entend l’air d’un vieux phono,
Qui chuinte Milord, en attendant la banque.
Et moi, je suis transi, sur le trottoir, en manque.

Écu

Le bouclier fut déterré d’un sol de Flandres.
Il était rond, tout bosselé, la salamandre
En creux, dorée, sur champ semé
De mille flammes. Le squelette ? Désarmé…

Néguentropie

Je suis, bras étendus, porté par la mesure,
Incertain de l’issue, tant l’espace est blessure,
Ou trous blancs et trous noirs jaillissent au hasard.
Je tisse tant de liens sans en maîtriser l’art.

Dictionnaire

Mon dictionnaire et moi, nous faisons bon ménage,
Il m’offre ses trésors, je lui tourne les pages,
Aucune ne se froisse, au contact de mes mains.
Je le range amoureusement jusqu’à demain.

Harpale

Elle trotte le soir, petites pattes rousses,
À côté des coins noirs, pour déguerpir en douce.
Elle rêve de grains qu’elle cherche à la nuit,
Puis le jour se repose en de sombres réduits…

Le relieur

L’ouvrage est terminé, reste la couverture
Où je veux me blottir pour finir l’aventure.
Hélas le relieur est parti dans le Gard
Pour rejoindre sa tombe, à bord d’un corbillard…

La forêt floue

 Il hésitait à mettre encore ses lunettes,
Il avait devant lui cette forêt parfaite
Et la voir un peu floue était une façon
De garder ses secrets à l’ombre des buissons…

Bateaux à l’encre

Que l’encre est fraîche et le sang chaud ! Dit le papier
Blanc qui m’observe avec son air de jour férié.
J’y écris des mots surannés, petits navires
Un peu fantômes, un peu blafards, qui tournevirent.

Méandres

Voluptueusement, la rivière se perd
En méandres rêveurs, lentement, vers la mer,
Au pied des monts gonflés de vaine suffisance
Et mon âme à son tour se perd en sa présence.

Symétrie

La symétrie te hante, et tes mains sont gantées.
Tous les oiseaux te font le coup de la beauté,
Leurs ailes déployées parfaitement synchrones…
De cette qualité, rêves-tu d’être l’aune ?

Liesse

Étonnamment le temps des horloges s’arrête
En cette salle immense où librement vous êtes,
Ivre de poésie, à lire Mallarmé…
La liesse est d’eau vive, au point de vous aimer.

L’oubli

Juste est le mouvement qui ne tient qu’à lui-même,
Où l’intention se noie dans le geste qui sème.
Immobile, j’observe avec fascination
Ce danseur oublieux… de lui, de sa passion.

L’arbre des pensées

Sous l’arbre des pensées bourgeonnant dans le ciel,
Je dors, les yeux lavés. Plus rien n’est essentiel.
La chaleur est épaisse et l’heure malhabile.
Une infinie lenteur me pousse vers des îles…

Naufrageurs

Le ressac est violent, les rochers assassins,
Je pense aux feux, jadis, des naufrageurs de Sein
Qui déchiraient les os, la chair et les membrures.
Dans le reflux, je sens bien d’autres meurtrissures.

De cet hiver

Je me souviens du bleu, du blanc de cet hiver
Qui fait de la touffeur actuelle un envers,
Quand la parure froide assiégeait la cuisine
Et que nous nous serrions dans des poses câlines…

Papier désert

L’encre déposée là, sur le papier de sable,
Échoue en taches bleues, signes méconnaissables.
Absorbé, tel le sang dans l’arène embrasée,
Le sens file très bas, dans sa tombe creusée.

Petits bruits

À petits bruits, c’est l’ordinaire qui chemine :
Un sifflement de la bouilloire, la machine
À laver qui chuinte, un chuchotis de vent,
Les martinets qui trissent… je me sens vivant.

Baptême de l’air

Je compte les secondes et mon souffle s’éteint,
Puis l’inspiration lente envahit le matin.
Le souffle épanoui telle une mer étale
Est l’image du ciel. Puis l’haleine s’exhale.

Curvimètre

Avec mon curvimètre en laiton patiné,
Je suis fidèlement la route où j’ai peiné.
Le papier crisse un peu, la carte n’est pas neuve.
On y voit des chevrons en triple qui m’émeuvent.

Oncet

Le bleu du lac d’Oncet ravive mes espoirs.
L’air ténu me susurre un flot de bon vouloir,
Le chemin dégradé fait que mes roues patinent,
Aux Laquets parviendrai-je avant l’heure assassine ?

Nos rives

Les jours de bonne mine où tous deux nous avons
L’insouciance badine, éveillés nous rêvons
De dentelles de pierre ou de fleurs en cascade
Au bord d’une rivière, en quête de naïades…

Essayage

L’indigo te séduit, le vert tendre est cruel…
Les corsages brandis, tu simules un duel…
L’horloge du Beffroi sonne les douze coups,
Tu éclates de rire et te pends à mon cou.

Guerre

Une carte est posée sur la table d’ébène
Et du soldat penché dessus coule la haine.
Est-ce du sang qui sourd des zones de papier ?
Son plaisir est d’y voir les morts, les estropiés.

Le nombre

Sous le dôme abbatial, le novice s’agite,
Il dénombre les dalles bleues de terre cuite,
Et toujours il obtient un nombre différent.
« Cherche la vérité », lui dit le Révérend.

Aérogare

La foule s’organise aléatoirement,
Le paradoxe tient à cet agencement.
L’individu se meut comme une particule
Et l’onde naît de la masse qui déambule.

L’île aux oiseaux

Fin de non-recevoir, un mot resté en l’air
Retombe lourdement. C’est le jour, der des der.
Les mots sont si souvent des oiseaux qu’on mutile…
Parviendront-ils un jour à regagner leur île ?

Ma bicyclette et moi

Le pinceau de mon phare éclaire le tunnel
De verdure où je roule, hors de tout rationnel.
Les ombres dansent trop, mes repères s’en vont.
Ma bicyclette et moi sans doute nous rêvons.

Nos silences

Nous avons cultivé tous deux quelques silences
Habités de mêmes images, de nuances,
Où nous allons rêveurs, main dans la main,
Sans nous soucier jamais du lendemain…

Le grand Chant

J’ai cru que les oiseaux riaient, quelle illusion !
Ce sont les plus sérieux qui soient, par compassion,
Toujours un oiseau chante, à tout instant, sur Terre,
Ainsi tiennent la Vie, le Temps, tous les Mystères…

Couper court

Avec un bout de tuile rouge trouvé là,
Où la lumière tombe sur la pergola,
Elle, qui pense tout le temps qu’elle s’en veut
D’être trop en deçà, se coupe les cheveux.