À Calliope

L’inspiration me point comme un sable abrasif,
Mes doigts frappent sans fin le clavier obsessif,
Affichant sur l’écran des glyphes péremptoires.
Offrirai-je à Calliope un blanc propitiatoire ?

Tréfonds

Quand tu descends pieds nus l’escalier des mystères,
Allant silencieuse au tréfonds de la terre,
Il me vient à l’idée d’accompagner tes pas,
Mais la lumière en haut fait que je ne peux pas.

Officine

J’entre dans l’officine aux relents d’encaustique,
Épaisse est la poussière et l’ombre fantastique.
Aurais-je dû franchir cette porte vitrée ?
L’averse m’a contraint. Le temps n’est pas entré.

Source des rêves

C’est la maison des rêves avec son jardin clos,
J’y vais toutes les nuits voir les anges falots.
La vasque gargouillante au centre me fascine :
Y coule une encre noire à la chimère encline.

Au volant

L’habitacle a des airs de film en noir et blanc,
C’est la nuit. Tu conduis, deux mains sur le volant.
De tes lèvres j’entends les plus belles histoires
Et la route défile, ouvrant des territoires…

Haut pèlerin

Je me suis mis pieds nus sur la table rocheuse,
À côté des statues, des ruines somptueuses
Et le froid de la pierre engourdissait ma chair.
Le faucon pèlerin, très haut, huissait dans l’air…

Infini

En son huit allongé, l’infini se dilate
Et ronronne sous l’œil du matou télépathe.
Assis sur le fauteuil, je tourne lentement
La page aux glyphes noirs. Et si l’infini ment ?

Entre temps

Je déchire le temps comme un rayon les brumes,
Et le ciel de mon rêve étonnamment s’allume,
Une réalité tout autre se fait jour.
Sur une aile je vire au souffle de l’amour.

Ancre

Passés les jours, les jours, lourds maillons d’une chaîne,
Et je suis l’ancre, au bout, si loin de la carène,
À chercher le fond noir, aveugle, invétéré
Le soleil m’abandonne à ma quête, ferré…

Escapade

Derrière la baie bleue, la ville se pavane
Opulente et diaprée. Depuis la tour je plane,
En pensée, sous l’éclat des vitres enfiévrées.
De la foule en folie je me suis délivré…

Tristesse

L’encre violette est bue par le papier buvard.
Reste sur la missive un message blafard.
Je ne récrirai pas les paroles. Je cesse
Et m’envole en pensées. Féconde est la tristesse.

Sans effet

J’ôte mes vêtements, les tiens ferme dans l’eau
De la Neste qui roule et les vois de noirauds
Passer à l’écru tendre, et vifs comme des truites
Au gré du flot danser. Je frissonne et médite.

Si vite

Tout là-bas, j’aperçois, brumeuse, la vallée
Je lance mon vélo dans le dénivelé.
Bientôt corps et esprit ne sont qu’une seconde,
Infiniment lovée dans l’espace qui gronde…

De fait

J’oscille au bord d’un rêve et d’un fauteuil grenat,
Le chat de mon voisin vise un assassinat.
Le rouge-queue s’inquiète, un nuage se glisse
Et mes pensées s’ébrouent. La scène était factice…

Le portrait

Le bois contre le feu, la pierre contre l’eau,
Pas un qui ne soit peint dans l’ombre du tableau.
Le centre est occupé par un visage étrange
Où les yeux sont brouillés par les larmes des anges.

Lézarde

J’observe la lézarde sur le mur depuis
Mille ans peut-être, moi, figuier déchu, sans fruits.
Si je croîs dans l’azur, mes racines s’étendent
Entre les pierres mues par la terre friande.

Que reste-t-il ?

Celui que vous tenez pour image n’est plus :
Il s’est évaporé dans quelques pages lues.
L’individu se perd, étant celui qui passe.
Il ne reste qu’un souffle et vos lèvres l’embrassent…

Pompons

Au pré, c’est le matin, je cueille les pompons
De trèfle, un peu rêveur, en fixant ton jupon.
Le nectar des petites fleurs au goût suave
Aussitôt me susurre qu’il faut être brave…

La vaporeuse

Je cours après la brume, inconstante volute
Au-dessus des pavés contre lesquels je butte.
Ô vous vapeur informe, à la beauté des fées.
Suis-je votre Eurydice, êtes-vous mon Orphée ?

Guerrier

En ce clos vit la ronce et vous y sommeillez
Sans frayeur, au caveau. Vous fûtes le guerrier
Des heures de l’an mil, de sanglantes batailles
Où l’estoc vous perdit, vous qui étiez de taille.

Lagune

Intimement ici la terre et l’eau se mêlent
Le ciel aussi s’étend, caressant de son aile
L’étendue verte et bleue. L’étang tranquille dort.
Mais le soleil aussi vient avec ses rais d’or.

Télécommunication

L’écart est minimal entre douleur et joie
Sur ce visage peint qui se veut calme et froid.
La communication se fait donc à distance.
Impossible d’aimer le jeu de cette danse…

Chiralité

La vrille végétale explore l’air autour
Cherchant quelques brins rudes ou poser son velours.
Que la lenteur s’égrène au fil des heures tendres !
Ah, la tige est trouvée, la vrille peut se pendre.

Encagé

Dans la volière, pris au grillage de brume,
Éperdu, pantelant, je m’arrache des plumes
Espérant que le vent les conduise au-delà,
Mais les chiens de l’enfer poursuivent celles-là.

Océanes

Sur mes jambes lassées, la mer monte et descend,
De minérale humeur, je suis sable dansant.
La musique de l’eau lave mon âme frêle,
Au ciel les goélands rêvent de leurs deux ailes…

Cyclope

Le beffroi monte haut, sa brique est rouge sang.
La plus haute lucarne est un œil oppressant,
Celui d’un monstrueux cyclope sans paupière
Observant sans pitié l’humaine fourmilière.

Sagesse du balai

Il balaye la cour de l’université
Depuis vingt ans déjà. Son temps n’est pas compté.
Il refuse toujours le vil souffleur de feuilles
Et son balai le pousse aussi loin que Dieu veuille.

L’arbre

L’arbre de ses pensées tortueux, bas, s’étire
En un ciel gris et bleu. Du meilleur ou du pire,
Il ne sait décider. Faut-il une occasion ?
Sa richesse majeure est son indécision.

De terre

J’avance en ignorant cet appel de la terre,
Incessant, comme un flux de force élémentaire.
Aux abords de la ville, où règne le béton,
Tout s’en va du réel, il reste le piéton…

Rêve de Noël

Ce marché de Noël a des reflets étranges.
Aux lueurs des chandelles flottent des archanges.
Une crèche vivante au fond semble nimbée
D’une lueur qui joue sur les pâtres courbés.

Généalogie

La généalogie que le griot déroule
Est une procession qui fait toute une foule.
Assis le public bat de ses mains chaque nom :
L’histoire se construit de ses moindres chaînons.