Swing

Un air de dixieland, un soir à Bâton-Rouge,
Inonde le trottoir, il faut que je me bouge,
Il y a trop de monde et je suis en retard.
Ce n’est pas tous les jours que je fixe un rencard.

Bévue

J’ai fait tomber le verre à vos pieds. Mille excuses.
Il est à craindre que vos bas sentent la Suze.
Attention de ne pas cogner contre le bord
De la table, votre minois… allons dehors ?

Inertie

D’où que vienne le vent, je sens la résistance.
Impossible d’user de ma pauvre influence,
Or je ne suis pas chêne, encore moins roseau.
Si je devais choisir, j’aurais été oiseau.

Chêne

Embrassons-nous, lui dis-je (à mon pote le Chêne),
Il m’a toujours guéri de tous les pathogènes.
Aujourd’hui, comme hier, je suis son obligé.
De parler, il ne m’a jamais découragé.

Au réveil

Le cloaque fumant des sanies de l’aurore,
Au fond de mon cerveau, ne m’est pas indolore.
Il faut que je me purge radicalement.
Le monde est merveilleux, le monde toujours ment.

Jour ambré

L’ambre est atténué, de la lumière chaude,
En cet automne vif, à peine je maraude
Ici ou là, que tout vit, se métamorphose.
Il me faut traverser, aller vers autre chose.

Sur la place

Le goudron s’est fondu tout autour des pavés,
La vitre du bar luit. Non, je n’ai pas rêvé.
Je devine au-delà celle qui fut ma vouivre.
Il est temps de rentrer, je dois être un peu ivre.

Salle d’attente

Les fauteuils de skaï bleu s’alignent dans le hall.
Un match à la télé fait un zoom sur le goal.
Je dérive et me perds. Le football me déprime.
Enfin je suis requis… question de millésime.

Le photographe

Le photographe a bien préparé le moment,
Le vieil hindou ferme les yeux, si désarmant.
À coups de flash, les clichés sont pris. Le vieux cille.
Et dit : « Tous ces instants de vie que tu gaspilles ! »

Mains jointes

Toujours nous nous posions sur un banc dans le clos,
Près des roses trémières rouges, des bouleaux.
Nous nous prenions la main après quelques silences,
Ainsi se trahissait notre douce attirance…

Chalumeau

Le chalumeau vorace embrase le métal.
Le changement de phase est tout autour brutal.
Il va falloir souder l’âme dans la seconde,
Intimes, les métaux, dans la chaleur, se fondent.

Chargé

La remorque est trop lourde, je peine à tirer,
La pente se dessine et je vais transpirer.
Inexorablement s’intensifie la gêne,
À tout prix respirer… les secondes s’égrènent.

Concomitance

J’ai eu cette vision des hommes du passé,
Présents sur mon chemin, la silhouette effacée,
Près de maisons spectrales, à présent détruites.
Suis-je aussi pour ces gens un fantôme ? J’hésite.

Anguilles

Ce lac est comme une île au milieu de ma terre,
Et ses anguilles, qui n’ont rien de sédentaire,
Envisagent souvent de rejoindre l’étang,
Les mares, les cours d’eau, les puits (de temps en temps).

Poussière comique

De ce chemin pierreux, qui compte la poussière ?
Une vieille fourmi, que le temps indiffère,
À ma question, s’est mise sur le dos, pliée
De rire, ses six pattes dans l’air conviées.

Amer aimé

Sur la lice des jours, poussent des fleurs amères.
Elles sont les jalons d’un vieil itinéraire,
Et rien d’autre ne pousse à côté. Je n’y vais
Qu’en espérant la source où tant je m’abreuvais…

Secret

Le tiroir à secret garde tous ses mystères
Est-il ouvert, fermé ? Nul n’a fait l’inventaire.
Un fin compartiment, au fond, se dissimule…
Les rêves sont parfois l’espace qui bascule.

Rien

De la beauté du monde avec ses océans,
Ses montagnes dans l’aube et ses mille torrents,
Sa vie multipliée, dès le précambrien,
Sa profusion d’humains… je ne retiendrai rien.

Reg

Le reg étale loin ses pierres craquelées,
Peut-être qu’un chemin se faufile, étranglé
Par quelques rochers durs, redoutes solitaires.
Entre deux, je ne peux que marcher et me taire.

Archives

Des notes de cristal résonnent dans le fond
De la bibliothèque où nous philosophons.
Cette musique vient de l’entrée des archives,
Un fantôme se cache-t-il dans la coursive ?

Mal de tête

La douleur roule sous la peau comme un camion.
Je relis Keats et je pense au sort d’Endymion.
La lune est pleine. Y courent quelques fins nuages.
Un maraudeur sous mon crâne a bien trop de rage…

Remise

Les épaisses poussières ont le feutre léger,
Taquinées par des rais de lumière frangée,
Sur le plancher grinçant de la vieille remise,
Avec lenteur je marche, au sein des heures grises…

Dualité

L’équilibre a ceci d’inquiétant qu’il ne dure,
Au risque de tomber sinon, qu’à la mesure
Exacte d’oublier notre dualité :
Comment saisir l’insoutenable vérité ?

L’évasion

La laie vire et se perd, dans le bosquet des Chaux,
Tu l’as prise, poussée par l’effroi du cachot.
Les aiguilles de pin blessent tes pieds fragiles,
Audacieuse, tu fuis molosses et vigiles…

Dans la malle

Cela fait trop longtemps que cette malle est close,
Or des cartons dessus s’accumulent, c’est chose
Ardue de parvenir au couvercle enfoui.
En rêve… encore d’autres ! Espoir évanoui.

Dérapage

J’ai regardé de près la neige et ses flocons.
Les cristaux se jouent d’elle et le jeu est fécond.
Je suis couché dessus, la lumière entre en scène :
Un camion de pompier, son phare et la sirène…

Siège

Il s’assied sur le banc de cette meurtrière,
Arbalète tendue, la posture guerrière.
À l’horizon, poussière et cris de l’ennemi
Présagent la fureur. Le vieux soldat blêmit.

Horloge

Le balancier, fer et laiton, bat la mesure,
Avec toujours la retenue de la césure.
Il me réveille ou me rendort selon son gré.
Mon cœur l’envie, de battre ainsi, jamais serré…

La Porte

Il me tend une main tordue comme un vieil if.
Je la serre en cherchant dans ses yeux noirs et vifs
La raison qui le pousse à agir de la sorte,
Alors je comprends qu’il est Gardien de la Porte.

Flaque

Pas un souffle de vent. La flaque d’eau s’étale
En reflétant le ciel aux couleurs minérales :
Améthyste, rubis, jaspe, fer, gris de plomb…
Je loue le Ciel lové dans cet espace oblong.