Du temps

Vite, vite le temps me file entre les doigts !
Je pensais être à jour, l’horloge me rudoie.
À peine survenue, la pensée se délite,
Et vive la lenteur ! Je la réhabilite…

Blanche et noire

J’entendis de nouveaux ces vibrations blessées
Du cœur de ma nuit blanche, où de noires pensées
Râclaient le sable fin de mes ultimes plages.
Alors je mis mes mains sur mes tempes, de rage.

Le haut temple

Le temple se devine à peine dans la brume,
Il est si haut perché, d’un étrange volume,
Attirant des nuées de corbeaux, de vautours,
Que j’hésite à gravir la pente qui l’entoure.

Sous l’écran

Derrière la lumière plate de l’écran
J’ai ressenti les ombres noires affleurant,
D’autres mondes encore, au-delà des mensonges,
Une noirceur de soie qui doucement me ronge.

Vent d’hiver

J’aurai le temps, disait l’hiver, à la forêt.
Les hêtres rouges se ployaient sous le vent frais.
Les feuilles mortes tourniquaient, vaines, sans cesse.
Et j’étais là, dans le trou noir de ma détresse.

Le pont

Les lumières faisaient une courbe languide
Au-dessus du pont noir qui enjambait les rides
Ondées de l’estuaire au bord duquel j’étais.
La sirène du port, rude, me violentait…

Coup de dé

Je l’ai joué au dé, suis-je ou ne suis-je pas,
Mais le hasard veillait, vieillard à petits pas,
Sa bouche monstrueuse ouverte sur le vide…
Ici la malemort n’avait pas une ride.

Oiseau des villes

Je me suis envolé, passant d’un gratte-ciel
À l’autre, oiseau perdu dans le flot artériel.
Curieux comme une pie, lent comme une cigogne,
Au ras des baies vitrées, jamais je ne me cogne.

Caverne

La caverne est scellée depuis plus de mille ans
Sur ses parois, gravés, les symboles de clans
Depuis longtemps perdus. Quand j’éteins ma lumière,
Apparaissent les traits d’une antique guerrière.

Muse hic et nunc

J’avance pied à pied dans le sable des mots,
Que la vague entropique ôte pianissimo.
Le port est encor loin, je suis à bout de souffle.
Où gît le verbe ad hoc ? Ma muse se camoufle…

Onde humaine

L’origine inconnue de mon sang me ravit,
Mes ancêtres d’ailleurs se pressent à l’envi.
Comme une ondée rieuse ma lignée ruisselle
Et glisse lentement vers l’onde universelle.

Au-delà du mur

Le mur à l’ombre du lilas montre une brèche
En silence, je la franchis, rien ne l’empêche
Un bois de hêtres noirs immense m’engloutit
La brèche a disparu. Je l’avais pressenti.

Idées

Sur le papier, des mots couchés, rien ne se dresse,
Un défilé de caractères qui se pressent,
Et les idées pareillement sont bâillonnées,
De la passion, les idées n’ont rien à donner…

Moulin

J’entasse des galets, je taille des bambous
Pour mon petit moulin, les deux pieds dans la boue.
Je creuse la rigole et le courant l’entraîne.
À dix ans, la vie va. J’ai l’humeur souveraine.

Abyssin

L’abyssin s’est dressé, les oreilles tendues,
Dehors, silencieux, marche un individu,
Sur le seuil il se tient, sans sonner, c’est étrange.
Personne ne se doute ici que c’est un ange…

Lapin

Sur mon fauteuil en skaï, je tripote un sous-verre
Où l’on voit la mention d’une marque de bière.
Au mur, un grand miroir agrandit le bistrot.
Non, tu ne viendras pas. Ton couvert est en trop.

Chevauchée

Mon rêve commença par un sourd grondement
Qui ébranlait les murs, puis des rugissements
D’une horde insensée de bêtes chimériques.
Ailé griffon, tes yeux renvoyaient la panique…

Clairière

C’était le premier feu qu’il allumait ce soir,
Pas un souffle de vent. Tout près, un arrosoir.
Il s’était assis, las, dans la vaste clairière,
Au loin l’engoulevent criait, voix singulière…

Aux portes

Il est posté devant le porche, noir piéton,
Avec une mallette aux fermoirs en laiton.
Entrera-t-il dans le cénacle des sciences ?
Il tire sur la chaîne. Il attend son audience.

Usine

L’usine à ciel ouvert laisse aux coussins neigeux
Le temps de se vautrer sur le ciment fangeux.
Les machines rouillées parfois dans le vent grognent,
Et des fantômes bleus sur d’anciens rivets cognent.

Prière buissonnière

Au prêche du vicaire, il était insensible,
Il regardait la nef au-delà du visible.
À travers les vitraux, des nappes de rayons
Accompagnaient son âme à grands coups de crayons.

Chasse au trésor

La carte du trésor est une mappemonde
Il suffit de trouver les points qui correspondent,
Explorer, voyager, fouiller, chercher le fil…
Saisir enfin que tout n’est qu’un poisson d’avril.

Interne

Maudite est la prison qui jamais ne m’enferme,
Et qui me suit partout, caché sous l’épiderme,
Un pôle de raison qui tord la vérité :
Je ne suis pas réduit à cette volonté.

Tapie

La lumière tapie près de ta chevelure
Éclaire ton visage et sa jolie courbure.
Un thé pour deux nous sert de paravent chinois.
Dans ses volutes d’ambre, et tes yeux, je me noie.

Maïs

Dans les champs de maïs courent les sangliers
Avant que la machine avale tout grillés
Les épis qui chuchotent au vent. La plaine est folle.
Au-dessus, dans le ciel, les oiseaux farandolent…

Saint-Malo

Le soleil se reflète sur l’embarcadère
En vagues sinuant comme des laminaires
Et tu te tiens, pieds nus, juste au-dessus de l’eau,
Limpide et ruisselante au port de Saint-Malo.

Dans la cave

La porte de la cave était fermée à clé.
Je l’ouvris sans un bruit, puis descendis, troublé,
Mal éclairé par une lampe de fortune.
Elle rodait encor, cette vieille rancune.

Jolie planète

Comment, tu ne sais pas ? La terre s’est fendue
De rire quand l’humain, rogue, s’est prétendu
Son maître incontesté. Le sourire est de mise,
Au moins. Être à l’affût : j’attends d’autres sottises…

Épaule

Je parvins à la nuit près de ton arbre creux.
Tu avais installé un hamac amoureux
D’où ton épaule nue, sous la lune si pâle,
Apparaissait parfois, belle comme un pétale.

Mouche

La mouche sentinelle accroche le soleil
De ses ailes diaphanes, palpes en éveil.
Elle s’envolera bien avant que je touche
Un tant soit peu son corps aux réflexes farouches…

Lettre

C’est fou comme un sanglot manque de retenues.
Ce jour-là, j’étais seul, un sentiment connu,
Mais ce qui l’était moins, c’était ta vraie détresse
Et ta lettre bavait sous mes larmes, sans cesse…