Canson

Farouchement je joue des crayons de couleurs
Sur le papier Canson, cherchant la profondeur
Dans cet univers plat. La porte se dérobe.
Un joli papillon se pavane et me snobe.

Graviers

Je dois ranger, classer, aligner les graviers
Qui jonchent la terrasse, tout éparpillés.
Le temps ne compte pas, l’entropie seule compte.
La singularité, l’infini se confrontent…

Chaises

Le paillage est usé. Les chaises sont branlantes.
Aujourd’hui, paraît-il, seuls les spectres les hantent,
Un flot ténu de gens qui jadis vivaient là.
Je ne vais pas rester. Dans leurs yeux, nul éclat.

Fortuites

Fallait-il que j’écrive une vie de hasard
Et qu’aux mots je confie la chronique standard ?
Qu’importe, le temps gris s’effilochait si vite,
Émaillé tout au plus de rencontres fortuites…

Bouleaux

La forêt des bouleaux balance ses troncs blancs
Sous les rafales crues d’un orage accablant.
Des ruisselets sans fin se tortillent de rage
Et remplissent trop vite un immense barrage.

Oisillons

J’entends le pépiement des oisillons du nid…
Dans le cœur de janvier ? Sûrement tout le nie.
Est-ce une faille qui dans le temps s’est ouverte ?
À moins que ce ne soit ma raison qui déserte…

Plan d’eau

La neige doucement fond et forme des flaques
Elles reflètent le ciel et ses rubans de laque.
Incidemment, le soir, un flocon s’est perdu,
Deux, avec son reflet. L’univers est tordu.

Antichambre

Nous avions oublié très tôt de nous haïr,
Nos peaux s’étaient muées en baudriers de cuir.
Le marron de nos yeux virait au miel de l’ambre
Et la vie dessinait de la mort l’antichambre.

Le vol

Le vol des oies cendrées au-dessus des grands saules
A comprimé mon cœur. Les nuages me frôlent.
Tout se dilate au vent de l’espoir et frémit.
La seconde s’écoule et le soleil blêmit.

Poussières

De tes cheveux la boucle qu’autour de mes doigts
J’entoure avec ferveur n’est que folie de toi.
Nous ne sommes chacun qu’une part minuscule
Au sein de l’univers, poussières, particules…

Fées d’hiver

J’ai posé le vélo sur le bord de la route
Et je vais au-devant, dans la forêt qui goutte
Après la pluie. J’explore l’univers à pied.
C’est le temps de l’hiver, des fées ensommeillées.

Têtes coupées

Je n’offre plus de fleurs et les têtes coupées
Restent dans les baquets des fleuristes, dopées,
Je ne respire plus leurs fragrances atroces
Au cœur desquelles gît déjà la mort précoce.

Persane

Qu’elle n’ait pas de nom, qu’elle n’existe pas
(C’est un double mental qui me suit pas à pas,
Sombre égérie bavant des paroles insanes),
Elle n’en est pas moins ma déesse persane…

Dés

Les dés sur le velours cabriolent sans peine.
Indifférent, je suis la partie pathogène
Enchaînant les joueurs à des cubes d’effroi.
Je paie le tavernier et je quitte l’endroit.

Gouffre

Je suis bien peu sensible aux affres du vertige
Et ce soir, quand les ombres lentement se figent,
Le gouffre des remords s’est creusé devant moi,
J’ai bien failli tomber. Il n’est pas pire émoi.

Dévotions

Il faisait tous les soirs les mêmes dévotions
Devant la statuette en grès rouge de Sion.
Il allumait un cône d’encens. La volute
Oscillait puis filait droite, dans la minute…

Corps incertain

Le corps est incertain, même l’air est léger.
Un flot de sentiments s’échappe, dérangé
Par ce nouvel état de conscience qui tremble.
Avec peine le soi contraint se désassemble.

Silence d’estive

Se taire est de rigueur dans cette estive rare
Où les canches, les nards, les fétuques chamarrent
Avec une élégance fine ses rondeurs,
Un vautour dans l’azur plane, haut maraudeur.

Le haut manoir

Le portail est si haut qu’il se perd dans la nuit,
Je peux l’ouvrir sans peine et ne fais aucun bruit.
Sous mes pieds le dallage a des chaleurs d’alcôve,
Alors tu apparais dans un négligé mauve…

Ton aura

Tout près de sa peau brille une couche limite
Une aura frissonnante aux couleurs insolites,
Ouvrant subtilement des univers ténus,
Puis l’ampoule s’allume et je tombe des nues.

Destin d’estive

Au milieu de l’estive à pas fourbus je vais,
L’air ténu me dépouille et, de ce qui me vêt
Ne reste bientôt plus qu’un souffle de mystère
Où mon corps se disperse aux coins des quatre terres…

Escarbille

Rares sont les moments, devant l’âtre, à penser
Au chaos de nos vies, sur les flammes, versé.
Parfois une étincelle vient quand je tisonne,
Un peu comme une étoile filante et mignonne…

Souffle fractal

Le souffle est un torrent qui coule sans arrêt
Dans un sens et dans l’autre. Un vent dans la forêt…
Et feuille, je me perds en cette arborescence,
Une marche fractale en quête d’innocence.

Au vent

J’ai le désir du vent qui me pousse à voler
Mais je ne vole pas, mes ailes sont collées.
J’ai le désir du feu tout au fond de mon corps
Mais je ne brûle pas, trop d’eau dans le décor.

Avec le temps

Le sentiment d’aimer se dilue dans la brume
Avec le temps qui passe et les vies que nous eûmes.
Et pourtant les moments unis laissent passer
De belles escarbilles au-dessus du fossé.

Vienne

La Vienne s’entourait de brumes sentinelles,
Un martin-pêcheur bleu comme un ciel d’hirondelles
Attendait le fretin, perché sur un ponton.
Le soleil embrasait une fleur en bouton…

Prothèse

L’engrenage est épais, le métal implacable,
Il tourne sans arrêt. La vitesse est réglable
Et mon cœur en dedans croit que je vais l’ôter
Pour y mettre à la place un moteur mieux doté…

Dors

Tout dort ici sur Terre et le sommeil aussi,
Je sens battre le temps de la narcolepsie.
Plus loin dans l’univers, la matière s’étiole
Et fond vers un trou noir en forme de girolle.

La maison vide

La maison se délabre au fond de la prairie,
Depuis plus de vingt ans, déserte, endolorie.
La famille est partie. Plus de rires d’enfants,
Plus de bruits de machine. Un silence étouffant.

Algues

En un mouvement lent, les algues dansent, nagent
Au gré des masses d’eau que les courants propagent.
Elles effleurent à nu l’ambre de ses genoux
Quand elle marche émue dans cette onde entre nous…

Atours

Aussi légers que soient les volants de vos robes,
Impossible d’aller, quand l’amour se dérobe,
Au clos de vos atours. Les mots cachent la fin
Mais nos sens alertés taisent d’autres destins.