L’éveil du bois

Les collines d’ici verdissent doucement,
Quand s’ouvrent les bourgeons. Fini le bois dormant.
La princesse s’éveille et sa robe légère
Effleure les buissons, les crosses des fougères.

Petite reine

Tout me semblait trop lourd, dans cette randonnée,
Les nuages, le temps, le vélo, la journée.
Je pédalais sans joie. La route faisait peine…
Un jour de sombre hommage à ma petite reine.

Instant

L’instant, comme toujours, sournoisement m’échappe.
Une goutte de pluie sans ambage me frappe
Et me ramène ainsi dans le droit fil du temps.
La goutte s’évapore et l’âme va chantant.

Sans désir

J’ai fait mes pages d’écriture, sans désir,
Laissant la plume ainsi, d’elle-même choisir.
Les mots se sont écrits, courbes noires, filantes
Et le sens a jailli des lignes hésitantes.

Balsamines

Dans son étroite cour poussent des balsamines,
Elle y va tous les jours caresser les fleurs fines.
Un matin, des fruits mûrs, vient le crépitement.
L’été sourit aux jours qui passent doucement.

Plafond d’encens

La fumée de l’encens en volutes s’élève
Et son cheminement près du plafond s’achève
En un doux mais infranchissable matelas,
Mon âme non plus ne peut aller au-delà.

Graines édéniques

J’ai vu des hommes à pied, en marche vers l’ailleurs
Leurs yeux brillant d’espoir, oubliant les horreurs,
Ils semaient autour d’eux des graines édéniques
Et la terre pleurait des cendres volcaniques.

Immense désert

Le désert est immense et rouge comme un four.
Je m’y traîne, perdu, dans le sable alentour,
À l’affût des lenteurs, des soubresauts du sable.
Où le vent porte haut, l’espoir est désirable.

Beauté

Au fond de moi j’entends la pulsation secrète
Étonnamment battue, sur la ligne de crête
Entre l’imaginaire et la réalité,
De ce qui pourrait bien définir la beauté.

Air

Le soleil perce les volets, flux assassin.
Prostré, je reste sur le sol, dans l’air malsain,
N’osant qu’à peine respirer, tant les poussières
Autour volettent, particules meurtrières…

Pierre à pierre

Une à une je mis, sur le bord du sentier,
Les pierres qui chantaient, en signe d’amitié
Pour les êtres subtils qui traînaient à la ronde.
J’étais en ce temps-là une âme vagabonde.

Peur d’aimer

C’était la peur d’aimer, d’instiller du hasard
Dans la trame des jours, comme un coup de poignard.
Puis tout s’est éclairci. La trame était factice
Et ton soleil brillait sur l’eau de l’étang, lisse.

Lac d’Auber

Le lac aux fines ondes, teint de bleu, de vert,
Offrait à tes pieds nus l’heur d’un bel univers
Où les courants portaient des caresses sublimes,
Alors tu t’y baignas, sous le regard des cimes.

Nom

Mon nom n’est pas gravé sur la pierre des stèles,
Il n’a qu’une validité circonstancielle
Or sa trace se perd dans les méandres lourds
De dossiers vains… et une ou deux lettres d’amour.

Bordage

Il rabotait ses planches avec délicatesse,
Et son bordage lui valait très bonne presse.
Un jour il eut fini sa nef de dix-huit toises
Et partit loin des ports avec sa villageoise.

Cinq ans

J’ai cinq ans, le fantôme erre dans le couloir,
Comme une ombre létale, étrange, noir sur noir,
Me mettant au défi de bouger. « Rien ne presse »
Entends-je au fond de moi, flétrissante caresse…

Forêt

Dans ce bain de beau froid, la forêt se réveille.
Où je me suis perdu, les hêtres m’émerveillent.
Au fur et à mesure de mon abandon,
Le silence se peuple et je reçois les dons.

Antre

Au flanc de la falaise un antre se devine
À peine, un vert rideau de lierre le confine.
Au pied, je tends le cou, le mystère m’étreint.
Que va donc révéler cet abri souterrain ?

Le bas chemin

Faut-il que je m’élève ou bien que je m’abîme ?
Un milan dans le ciel me juge si infime…
Alors j’avance, las, sur les chemins pierrés,
Rêvant des jours heureux… mais j’ai le cœur serré.

Tissu

Ironique tissu, qui se plie mais ne rompt,
Dont la maille si fine épouse ton giron
Comme un brin de rosée, sur un frêle pétale,
Au fil de son velours, exquisément s’étale.

Sentimental

Je croyais que les sentiments vivaient leur vie
Dans un espace où je n’avais aucune envie
D’aller. Mais non, ils sont dans l’air que je respire
Aussi réels que ton parfum pour me séduire…

D'amour

C’était un ancien conte qui parlait d’amour,
Et le vieux allumait les regards tout autour,
Au fur et à mesure qu’avançait l’intrigue.
Il nous fit oublier jusqu’à notre fatigue…

Machine

Sur la plaque de zinc, les rouages rouillés
Me défient en silence : ai-je bien tout fouillé ?
C’est d’une absence infime dont je me rends compte.
Il faut forger la pièce, ensuite je remonte…

Varappe

La paroi de grès rouge a des fissures larges
Où s’agrippent mes mains, sous l’effet de la charge.
Au fond, le torrent gronde et m’observe, goulu.
Que fais-je ainsi perché ? Je ne l’ai pas voulu.

Banshee

J’y voyais la moiteur des jungles cryptogames,
Au bord, une banshee dont le cri perçait l’âme
Et des lucioles bleues qui montaient vers la nuit
Puis le rêve laissait, après l’envol, l’ennui.

Venvole

Au-dessus des cités, je vole, tourne, vire,
Ayant abandonné les voiles des navires,
Et la fuligineuse trace des vapeurs
Ronge mes ailes bleues. Ô Terre, que j’ai peur !

Semblance

Déjà l’ombre s’allonge et son corps émacié
Prolonge mon égo, si peu différencié,
Comme le mot, l’idée, si peu que la lumière
Apporte son secours. Quelle essence première ?

Alice au bois

Dans la sente du bois, jonchée de feuilles mortes,
Alice a dérapé, tombant par une porte
À peine ouverte qu’illico disparaissant.
D’Alice, nulle trace. Un sort évanescent.