Des notes

Les notes rebondissent sens dessus dessous
Griffant la mélodie. L’air, à ce point dissout,
Laisse autour un curieux sentiment d’amertume.
Il est temps de tracer mes portées à la plume.

Le grand bain

Les mosaïques bleues courent au fond de l’eau,
Lignes floues, parallèles, je suis dans le flot.
La piscine est déserte, j’ai fait l’ouverture.
Il faut que je surnage jusqu’à la rupture.

J’inspire

Le silence me tient dans ses ombres bleutées.
Les pensées se sont tues, dissoutes dans l’été.
J’inspire. Une trouée de ciel se glisse, pure,
Et la paix se propage où l’aurore s’azure.

Taire

Les mots ne sortent pas. Les mains s’agitent, vaines,
À vouloir exprimer cette profonde peine
Et ses yeux, ses yeux noirs qui sont des univers
Essaient de remonter le temps. Vie à l’envers…

Propres ailes

Non je ne volerai pas de mes propres ailes
Il me faut pour hisser mon corps, emprunter celles,
Angéliques, des fées vers qui je veux ce soir
Aller, sans transpirer le moindre désespoir.

Ton parfum

Ce parfum de cannelle et de jasmin mêlés
Me poursuit certains soirs en remontant l’allée,
Comme si tu errais dans des limbes voisines
Où es-tu ? Je ne sais. Ton parfum me taquine…

Karma yoga

Ai-je donc accompli tous les points de ma liste ?
Il me reste à cocher le plus idéaliste
« Rester indifférent au fruit de ses actions »
Là je crois qu’il faudra payer une caution…

Thé blanc

À l’ombre du banian, nous buvons le thé blanc,
Les macaques là-haut nous fixent, nonchalants.
La terre va son train dans le vide cosmique…
Ici le temps s’écoule en ondes concentriques.

Éoliennes

Les éoliennes fauchent, lentes, le ciel gris
Je longe la dernière haie, toute meurtrie :
L’épareuse a déchiqueté les branches fines.
La nature a des plaies… je roule et je m’obstine.

Pas le cœur

C’est dire que le cœur parfois se fait la malle
Il oublie tout du corps qui l’abrite et cavale
Aussi loin qu’il le peut. La cohabitation
Demande un peu de tact et de compréhension.

Assurance vie

Le pollen fécondait, transporté par la brise,
Une à une les fleurs de son entour, conquises.
Et pourtant la plupart du pollen périssait :
Abondance, gâchis ? La vie garantissait…

Doublement

Cette petite veine qui palpite au creux
De ton bras, c’est un brin ton cœur aventureux.
Je regarde le fond de tes yeux qui se troublent
Au fond des miens, tu vois la même étoile… double.

Maudit métal

Le train coupe la plaine comme un bistouri
La chair. Jamais le sol des rails ne se nourrit.
Je suis le vent, la pluie et l’orage qui gronde
Et maudis le métal qui mutile le monde.

Minuscule

Minuscule poussière au bord de mon œil droit,
Tu fais qu’en vain je peste et que je te guerroie
Sans jamais parvenir à te bouter ailleurs.
Tout finit en poussière, argué-je, larmoyeur.

Molène

Dans l’éboulis poussaient la molène câline
Et les orpins couchés. Passa l’heure de bruine.
Enfin le soleil vint luire lascivement
Sur la pente fragile où la rocaille ment.

Diffus

La texture du fond cosmologique m’a
Révélé sa nature et j’ai vu les amas
D’étoiles scintiller d’une étrange manière
En un velours cachant l’effective matière.

Extrait

Je sens l’air qui respire au dedans de ce corps,
En mon ciel intérieur, de mille oiseaux l’essor,
Les embruns pailletés qui jaillissent de l’onde
Et l’océan de vie dedans, dehors, abonde.

Dernier

J’ai suivi le cortège en traînant mes sandales
En bon dernier sur cette route féodale.
Au loin devant gisait quelque seigneur ancien.
La poussière montait. Je n’étais pas des siens.

Ces lettres

Je les ai rédigées, puis chiffonnées, jetées,
Ces lettres qui devaient, notes sur la portée
De nos amours meurtries, faire vibrer les cordes.
Voilà cette fumée, qui attire les hordes.

Battant

Battant mandibulaire, il mâchonne les heures
Au rythme compassé de l’austère demeure,
En baguettes de cuivre et de fer alternées,
Mesurant sans frémir, squelette jamais né…

Vitesse

La vitesse partout, même le vent s’en mêle,
Les sillons lumineux des phares me cisèlent,
Une telle fureur laisse mon corps recru.
Je me recroqueville et j’attends la décrue.

La béquille

La route m’a vaincu, ce soir, et je m’assieds
Sur le bord du talus, les muscles asphyxiés.
Mon vélo reste là, sur sa béquille, sage.
Encore un peu… l’air vif, j’ai le cœur à l’ouvrage.

En quête

Dans le fief des aïeux, je vais et vagabonde,
En quête de trésor dans des caves profondes :
Une montre à gousset, de singuliers flacons,
Des photos délavées, des parchemins abscons…

Ombres

Je regarde les ombres qui fuient lentement
La course du soleil. Je ne sais plus vraiment
Les règles impliquées dans cette sarabande
Au ralenti. Le temps qui passe est une offrande.

Le pique-nique

La couverture étouffe, épisodique, l’herbe
Où nous mangeons, heureux, des tartines superbes.
En laissant quelques miettes nourrir les fourmis.
Je te parle du ciel, mais tu t’es endormie.

L’être

Ai-je une fois de plus misé sur ta présence
Ici, pas seulement ton jeu des apparences ?
Or j’ai perdu. La vie ménage des détours.
Qu’importe, mes pensées ne comptent pas les jours…

Le passage

Il était rigolard, la tête ébouriffée,
Tout droit sorti, sans doute d’un conte de fées.
Quand le soleil frôla, sanglant, les toits de tôle,
Il me serra la main : « Voilà ton dernier rôle ».

Du cœur

Le muscle de mon cœur peine à se dilater,
Trop dur, sans doute à force de se contracter,
Qu’importe. Avec tendresse encore je l’écoute,
Aujourd’hui comme hier, sur l’implacable route.

Lemmings

Derrière les parois des immenses buildings
J’observe, moi, le freux, ces troupeaux de lemmings
Ineptes, agités, dans leur bulle de verre,
Inconscients d’être encore en leur état larvaire.

Le regard des fleurs

Rien n’échappe au regard des fleurs du bord des routes,
Où le bruissement doux de leur corolle ajoute
Un petit air frondeur aux longues randonnées,
Dans la touffeur de l’air et des rudes journées.