Fleuve

Elle se tient debout, tout en haut des murailles,
Avec sa robe bleue que la brise entrebâille,
À regarder le fleuve au loin, lame de plomb,
Qui ne craint pas le jour, ni plus court, ni plus long.

Semer

Ainsi tenir au creux de ses mains les semences
Attendues depuis tant de mois, quelle espérance !
Il regarde le ciel, la terre et sent la vie
Qui palpite partout. La Mère des envies.

Charpentière

Elle enfonce des clous dans les poutres, les planches,
Au marteau, sur les toits. Jamais elle ne flanche.
À l’heure où le soleil rase les cheminées,
Elle revient enfin sur terre, pour dîner.

Ombreuse

Elle est ombreuse la façon dont tu souris,
Toi qui navigues entre le vieux rose et le gris,
La ligne pourpre entre les gouffres de ta haine,
Entends les voix qui adoucissent toute peine.

Lance

Il s’est débarrassé de sa verte cuirasse,
Aspirant à la paix, vaincu de guerre lasse.
Où sa lance est plantée, dans le cercle alentour,
Se lève la beauté de l’herbe au petit jour.

Froid et chaud

Le froid maraude encore entre les rochers gris
Cherchant à terrasser les êtres rabougris
Qui rampent terrifiés sous la vieille litière.
Au plus profond du sol la chaleur est entière.

Fardeau

La table hexagonale a des couleurs changeantes
Autour des gens s’assoient, la caste dirigeante,
Élaborant la trame vaine des pouvoirs.
Un fardeau sans mesure aux humbles va échoir.

Postiches

Dans tes cheveux cachés, des vanités postiches
Au fil desquels, dorées, mille étoiles m’aguichent.
Un peu de notre amour dans le vertige ondoie…
Que sais-je de l’espoir ? Juste, croisons nos doigts.

Entre les murs

Pèlerin silencieux, dans l’air évanoui,
Je franchis le portail, puis des chants inouïs
Résonnent. Je m’élève entre les pierres blondes
Et je suis entraîné par les célestes ondes.

Incarnat

Ancelin parle bas, les morts pourraient entendre,
Ici, dans la maison, tout a parfum de cendres.
Il récite les mots que jamais livre n’a
Contenu. La parole est d’un rouge incarnat.

Désaveu

La porte se referme et les pavés sont froids,
Je remets mon chapeau d’un geste maladroit.
La nuit porte conseil, mais qui porte ma peine ?
Un cœur désemparé… les secondes s’égrènent.

Andaman

Des îles Andaman, je reçus cette lettre
Où tu disais vouloir t’épanouir, puis être.
Écriture tremblante, à moins que ce ne soit
Mes mains qui la tenaient, cette lettre de toi.

Ailes d’ange

Anonyme sculpteur qui tutoyais les anges,
As-tu laissé pour moi ces deux ailes étranges
Au flanc d’un chapiteau, sculptées si finement ?
Mon âme n’en peut mais, la pierre, belle, ment.

Jane B.

J’aurais dit : volontiers ! près des vagues marines,
À l’heure où vos regards se perdent dans la bruine,
Noyés, où votre voix, si joliment teintée,
Enfin m’aurait offert une tasse de thé…

Touffeur

L’été s’étire comme un chat roux qui ronronne
Et son soleil – feu bat la campagne et claironne,
À l’intérieur je suis lové, les volets clos,
Cherchant la fraîcheur des dalles, du ventilo…

Branle

La musique a jailli d’une corde tendue
Sur une caisse noire et d’un archet tordu
Que le barde manie comme l’oiseau ses ailes.
À l’entour, joliment, dansent les damoiselles.

Drones

Les drones papillons avancent en nuée
Si dense que la vue en est atténuée.
Un éclair va soudain suffire à les détruire.
Ainsi passe la vie. De quoi mourir de rire.

Diapause

Le vacarme a cessé. Le silence est musique.
Encore un peu, je marche en zone égocentrique.
Il me faudra du temps pour éclore en dedans.
La vie me joue des tours : suis-je blé ou chiendent ?

Une île

C’est une île et pourtant sa terre est infinie.
Je l’ai tant parcourue que mes yeux sont ternis,
Sous les soleils ardents des livres de sagesse.
Ai-je trop cheminé dans cet état d’ivresse ?

Minimal

J’ai senti dans ce déplacement minimal
Une lenteur liquide, un fluide animal,
Loin de l’agitation de l’âme quotidienne.
Une porte s’ouvrait, que j’allais faire mienne.

Transgression

L’éclosion programmée des gènes anciens presse,
Un réarrangement qui possible transgresse
Odieusement le cours de la beauté du Temps.
Cependant l’entropie, revancharde, s’étend.

Petits

Tout semblait rétrécir, ces dernières secondes
Autour de moi, le temps ralentissait la ronde,
Autant d’atomes froids se formant en légion.
C’était au cœur que tous, infimes, nous changions.

Stase

L’ombre va, passe, oublie les lettres empilées
Dans un panier gisant sur le couloir dallé.
La poussière envahit jusqu’aux moindres rainures.
Un siècle au moins que la maison vide perdure…

Détours

Rien n’était impossible et le chemin courrait
Dans le creux de la lande. Amoureux, j’effleurais
Parfois ta jupe longue au détour d’une pierre.
Un ruisselet joueur s’efforçait de nous plaire.

Permission de sortie

Le temps semble arrêté, les oiseaux se sont tus.
L’avalanche de mots des écrans, rebattue
Se dissout dans l’éther. Sans écouter, j’avance
Et me retrouve au bord de ma propre souffrance.

Laine et frissons

Tu tires sur ton pull, Andalouse frileuse,
Appelant le soleil aux ondes généreuses
À venir repousser le froid qui s’insinue.
Bientôt l’orbe est caché de tes épaules nues.

Veines blues

Ta main s’est posée là, veines bleues, veines torses,
À côté de mon bras, comme une belle écorce,
À dire sans un mot les câlines pensées,
Braise encor sous la cendre épaisse du passé.

La vieille usine

Sur le site, les briques des murs se disjoignent.
Errant parmi ces ruines, pensif, je m’éloigne
Et vois tous les fantômes bâtir ce palais
De l’industrie tandis que les maîtres beuglaient…

Touches

Le clavier ce jour-là fuyait ses propres règles
Avait-on jamais vu des touches plus espiègles ?
Autonomes, mes doigts maraudèrent, zélés,
Pour donner quelque sens aux glyphes emmêlés.

Sur le carreau

Ne pas bouger me tue, courir me désespère
Et compter les carreaux qui sous mes pas se terrent
Alimente sans fin mon imagination,
Les secrets enfouis sortent des dimensions.

Poursuite

La cave immense émet une lueur verdâtre.
Étrangement me suivent des pas opiniâtres
Et je sais que bientôt, ils vont me rattraper.
Le cauchemar me point, mais je vais m’échapper.