Mouette

L’océan me contraint. Bien trop forte est sa houle
Et n’étant pas marin, je ne sais si je roule
Ou tangue, mais je sens la vague au bord du cœur.
Une mouette rit… maudit oiseau moqueur !

Pierre d’envie

J’ai laissé mon envie fuir au bord du chemin,
Simple galet posé sur le tertre commun,
Je regardais les cieux. Déjà montait la lune
À l’œil cyclopéen, présence inopportune.

Près du canal

Lentement le canal promène son eau lisse
Et, fantôme, je vais pareillement. Je glisse,
Acoquinant la brume à mon suaire blanc,
Seul un chat se regimbe, à me voir, en feulant.

De la fierté

Je vous sais bouillonnant, matamore de cœur,
Tout à fait convaincu de n’être qu’un vainqueur,
À vous voir piétiner le corps de ces mauviettes…
Et j’en suis ! Croyez-moi… c’est bien d’être une miette.

Tintement

La clochette à l’entrée de la librairie sonne
Et vous apparaissez, féerique personne,
En quête d’un volume à la tranche dorée.
Je vous suis pas à pas. Vous me désemparez.

Triade

Quand nos mains se posaient sur l’écorce du chêne,
Nos bras tenus serrés faisaient comme une chaîne
Affectueuse, émue. Nous, triade d’instinct
Créée, parlions d’amour. Improbable destin.

Moleskine

J’ai rouvert le carnet couvert de moleskine
À la dernière page. Une écriture fine
Un peu passée, raconte une histoire de fées.
Je crois avoir perçu des plaintes étouffées.

Météore

Étonnamment j’ai fui la mince pellicule
Entourant la planète et dans le ciel je brûle,
Au milieu de la nuit, météore à l’envers.
Qu’importe, la beauté m’emplit de bleu et vert.

Embarquement

La barque au bordé bleu tirait sur ses amarres.
Et la lune montait entre deux vagues rares.
Alors, j’y suis monté, je l’ai désentravée.
De son sillage pur, je me suis abreuvé.

Mots effacés

Rien ne reste des mots, le temps les a gommés,
Du cahier de brouillon… faut-il les exhumer ?
Mais la page a jauni, d’anciens parfums s’exhalent
Et soudain, sur ma main, tombe un carmin pétale.

Autre terre

Je suis de l’autre terre et l’éther nous sépare,
Étouffant densément tout ce qui désempare,
Et je t’aime malgré la distance infinie,
L’intrication me blesse… au-delà du déni.

Le retour

Le chevalier du Temple a rehaussé les pierres
À nouveau le donjon s’élance, tour guerrière.
À son sommet la croix pattée de gueules tient
La position d’antan. Juste la haine. Rien.

Illusoire continu

L’horloge avait des crans, comme autant de blessures.
Et la trotteuse allait, indifférente et sûre
Au-dessus, progression feinte du continu,
Tandis que je faisais, moi, le décompte nu.

Pleins et déliés

Des pleins et déliés, j’ai suivi les courbures,
Espérant que ma main garderait la cambrure
Et mon corps au-delà serait au diapason,
Mais mon âme rétive eut tort plus que raison.

Dauphin

Je m’épuise à vouloir me garder sous le vent,
La voile faseyant, d’un autre cap rêvant.
Soudain (vois l’ironie), le dauphin me houspille.
Et je ris, moi, bateau, du mat jusqu’à la quille.

Après le vent

Le vent soulève la poussière et la beauté
Du monde s’enténèbre un peu, désenchantée,
Mais toujours la poussière lentement retombe
Et j’aperçois, dans l’azur, blanche, la colombe.

Sans poche

Je n’ai pas une poche et j’en suis fort marri
(Seuls dit-on les linceuls, ou mettons les saris
N’en ont pas), où cacher toute mon existence ?
Peut-être ma tenue n’est qu’une poche immense…

Nuage

Je sens que le nuage est enclin à me nuire,
Avec son ventre noir dont les flancs se déchirent.
Alors, têtu, je roule, en faisant le dos rond.
Puis des gouttes s’écrasent, frappant le goudron.

Brebis

Je ne suis pas tout seul sur la sente pentue
Quelques brebis s’en vont à l’herbe que veux-tu.
Le soleil à l’air frais joliment s’harmonise.
Un peu pastour alors, je fredonne à ma guise.

Seconde peau

C’est l’heure de vêtir le costume qui sied :
Toujours séduire au mieux le flot des créanciers.
Le corps est habillé, l’âme en tenue pareille.
Il faut s’empuantir au-delà les oreilles…

Écrans

Les abats-jour de soie, les pupitres d’ébène
En ligne dans la salle incitent à la peine.
Ici mille étudiants travaillent sans repos…
Le rêve se corrompt. Trop d’écrans. Pas de pot.

Salle de lecture

De la salle longtemps, j’ai fixé les carreaux,
Mosaïque-serpent, qui se tord, et ses crocs
Guettant les battements de cœur et le silence :
Une seule morsure et fi des connaissances…

Fontaines

Je pérégrine ainsi de fontaine en fontaine
Essayant maintes eaux, courant la prétentaine,
Et le jaillissement limpide me ravit
Toujours. Le mien reflet dans ces eaux n’est que vie.

Index

La connaissance tue, l’ignorance mutile.
Ainsi je vais errant dans les allées subtiles,
Oubliées, des anciens ouvrages à l’Index.
L’amadou doit-il être proche du silex ?

Pâquerettes

J’avais entrelacé de frêles pâquerettes
En un collier joli, pour te conter fleurette.
À ton cou, la parure fut de bon aloi.
C’est à partir de riens que l’amour se déploie.

Île-égo

Systématiquement, les cordes de l’espace,
Obscures, sont tendues, tandis que le temps passe.
Île au centre du monde, ainsi chacun se croit.
Qu’échafaude l’égo ? Cet irréel endroit…

Sanxay

L’illusion se nourrit des bribes de mémoire
Et les ruines pourvoient, comme les vieux grimoires,
Aux phantasmes humains. Je foule les pavés
D’un temple qui n’est plus. Rien n’est désentravé.

Incertitude

J’attire les regards de par ma singulière
Aptitude à tenir l’incertitude entière.
Fleurissent les questions (les mots ne suivent pas).
L’itinéraire est fait de tant de petits pas.

Qui s’élance

Ma foi telle un terreau fourmille de senteurs
De vie, de mort, au pied de la juste hauteur.
L’ombre de la forêt par-dessus qui s’élance
A eu raison de moi. Nous sommes cette danse.

Voyante

La foire se termine et les manèges crissent.
Un à un les flonflons de la nuit se détissent.
Il reste la voyante avec son regard blanc
Qui est là pour guider le dernier des chalands.

Tricolore

Silence blanc, cri rouge ou bleu chuchotement,
Les couleurs se défont dans un flux désarmant.
Les violons montent haut dans un ciel circulaire
Et la joie rebondit comme un écho solaire.