Joies et peines

Salon feutré, soupirs, lueurs bleues caressantes,
Il est temps d’émerger, l’heure est par trop absente.
Une à une les joies s’ouvrent comme des fleurs,
Mais les peines aussi, je pense à ta pâleur.

Patience dans le vert

Il m’a fallu tenir des heures, pour la voir,
Cette verte couleur, faite pour m’émouvoir,
Des feuilles au-dessus qui jouent dans la lumière…
À cet instant, je sens ma poésie première.

Pli de guerre

Sous mes doigts le papier fendille et se craquelle :
Une encre pâle aux mots penchés, bleus, lisses, qu’elle
A tracé dans l’attente immense du retour
De l’homme de sa vie… mais revint-il un jour ?

Tango de nuit

Elles tremblent mes mains devant la page blanche
Et le fait de ne pas les mettre sur tes hanches.
En sourdine j’entends le phrasé d’un tango…
De la nuit tu surgis, féroce virago.

Après la joie

Longtemps après la joie, la route se perdait
Dans les champs, dans les bois, les sentes et les haies.
Mes pieds suivaient d’instinct l’équilibre éphémère
Et ma tête gardait des ridules amères.

Collatéral

De laine le tapis, de chêne le lambris
Se repaissaient tous deux de ces mots dits, débris
Flottants, épars, sortis d’une bouche farouche…
Et moi j’étais victime de cette escarmouche.

C’est la question

La question de l’enfant fissurait l’Univers.
Lassé, je répondais en égrenant des vers.
Peut-être les saisirait-il comme des ailes ?
L’alouette au-dessus grisollait avec zèle…

Informe

La multitude peine à former une foule
Et le chaos maraude autour comme une goule,
Il siphonne la masse, y injecte la peur.
Je vole un peu plus loin, paresseuse vapeur.

Mots à la ronde

Les poètes blottis, tels des pigeons, roucoulent,
Attendant que l’auteur sur le tapis déroule
Un chapelet de mots sortis de son giron.
Le poète s’en fout. La phrase tourne en rond.

Cordelettes

À l’entrée le rideau de cordelettes pend,
Qui palpite et chuchote à la merci du vent,
C’est qu’il y a longtemps que la porte est ouverte
Et que les esprits vont dans la maison déserte…

Matin d’octobre

C’est un matin d’octobre avec des fleurs fanées,
Des feuilles envolées tels les jours, les années,
Qui vont en sarabande au gré du vent d’automne,
Où mon esprit confus, semblable, tourbillonne.

L’infini, de près

C’est certain, je pourrais tutoyer l’infini,
Traverser une étoile, effleurer le génie,
Dans la candeur du ciel, effilocher mon âme…
Or ici, près de vous, je suis heureux, ma Dame.

Sous la voûte

Des volutes de son s’envolent vers la voûte
Et l’encens au-dessous peine à suivre la route.
Immobile je prie dans l’ombre d’un pilier,
Tu es là, quelque part. Je n’ai pas oublié.

Focal

Tu n’es qu’un point focal dans une brume grise,
Immobile joyau, qui scintille et s’irise,
Avec tout le velours qui t’entoure, je perds
Le fil de mes pensées au fond de tes yeux verts.

Cellule

Le ciel a des pâleurs de mort. Il est si bas,
Derrière la lucarne, observé du grabat
Qui me tient lieu de couche. Homme je suis encore :
Il me faut oublier le béton que j’abhorre…

Minuscules vies

J’explore l’exigu dans son fractal abîme
Et me perds dans ses plis, ses raccourcis sublimes,
Espérant que le ciel rende grâce à cet art
Des minuscules vies. Il n’est jamais trop tard.

Espace ou liberté

Je suis dans cette geôle où les parois reculent
Énigmatiquement. Comment cette cellule
Ainsi peut s’agrandir ? Pourtant la liberté
N’existe qu’au-delà… c’est l’infinie portée.

Quelques crayons

Les crayons de couleur de sa main hésitante
Esquissent la silhouette aperçue dans la pente,
Un peu plus haut, ténue. Sa main sur le papier
Caresse…Il va venir. Il va le faire à pied.

Engrenage

Tout s’enchaîne à mesure, ainsi vont les rouages,
Aux dents étroitement liées de roues en cage.
Au milieu, par hasard, je me suis engrené,
Pour une renaissance, à peine étais-je né…

Mauve

La montagne se plonge avec délectation
Dans les eaux bleues du lac, étrange sensation.
J’attends que le soleil fasse du bleu ce mauve
Où j’irai me noyer…  à moins que l’eau ne sauve.

Banlieue

Un boulevard désert, une voiture en flammes
Et moi qui déambule aux confins de Paname,
À vouloir démêler le mensonge du vrai.
Du non vouloir je n’ai jamais été si près…

Dévisagé

Le portrait sur le mur me dévisage, coi.
Gêné, je déambule et ne sais pas pourquoi,
L’artiste a mis de lui dans l’huile de la toile
Et de moi, qu’ai-je mis ? Rien qui ne me dévoile…

Étoiles curieuses

La toiture a des jours, il faudrait dire nuits,
Des étoiles curieuses passent par ces huis,
Clignant de l’œil au vu de nos corps de fatigue,
Entraînées dans l’ailleurs éternel de leur gigue.

Objectivement

J’hésite. Les objets tout autour se déplacent
Et je suis l’un d’entre eux : quel tour de passe-passe !
Un joueur inconnu s’en prend à l’univers.
Rien n’est comme prévu. Le ciel est trop ouvert.

Bois vif

Dans les verts, dans les ors, ça courrait, c’était dit,
Ça chuchotait l’espoir sur les rameaux brandis,
Troncs, vivantes ramées, mille peuples de feuilles
Aimant te recueillir et que tu les recueilles…

Poussière des stèles

Dans les ruines de pierre aux stèles effondrées,
Je déambule lourd sur l’antique cendrée,
Cherchant âme qui vive encore en cette terre…
Hélas dans le vent gris ne danse que poussière.

Le non portrait

Mon coffret de peinture est resté sur la table,
Ouvert, tubes en vrac, palette misérable
Et moi, prostré devant la beauté non saisie,
Qui pleure d’impuissance en cette heure transie.

Mercure

Au jardin je revins, un soir de pleine lune
Où la lueur d’argent, de mercure, opportune
Embellissait le teint des statues de l’allée,
Ce teint livide qui ne peut être égalé.

La pente

C’est le silence gris de l’aube des hauteurs,
Qui glisse sur les flancs de pierre avec lenteur.
Plus bas, je trime dur à bicyclette et danse,
En louvoyant, têtu, sur cette route dense.

Lent vélo

Il fredonnait son air en pédalant mollo
Sur cette départementale au bord de l’eau,
Venait le sentiment d’avoir le temps de vivre,
Ainsi, le temps coulait, rien qu’il n’aille poursuivre…

Entre ciel et terre

Nous marchons lentement sur le tapis de sphaignes
Et la terre et le ciel de tendresse nous baignent.
Au bord de l’étang vert frigotte un fier pinson.
Nous avons l’enthousiasme fou des Robinson.