L’infime

Le raisonnement tient, carré, le compte rond.
Les angles infinis du cercle tomberont.
Le mouvement perpétuel est à l’étude,
Où les liens tissent d’infimes similitudes…

Percluse

Mon âme est un amas de pierres abîmées,
D’une voûte percluse, un espace enfermé.
J’y viens parfois le soir couler des heures lentes
Et je la fuis quand viennent les bêtes hurlantes.

Nu-pieds

Les chaussures percées laissent passer le jour,
La pluie vient s’inviter puis repart à son tour,
Le vent coulis s’engouffre amenant sa folie
Rodant sur la peau nue pour un non pour un oui.

Équanime

La ballerine tient, sur ses chaussons pointus,
Dans un bel équilibre en quête de vertu,
L’éternité ne ment qu’à ceux qui la poursuivent
Et cet instant de grâce embrasse les deux rives.

Mollesse

Dans sa mollesse il a trouvé la juste pose,
Il a suivi la forme, la métamorphose,
Appuyé sur le mur comme un chat de chagrin,
Tanguant dans l’air glacial, épousant le terrain…

Lions de pierre

Les lions de pierre ont tu leur haine des humains
Qui passent devant eux en frottant de leur main
Leur crinière figée, dans le marbre de Caunes.
Ils haïssaient le prince ayant bâti le trône.

Ce bleu

Que l’encre bleue conduise aux gravures des anges,
Où l’aile se déploie, d’une élégance étrange
Et que les yeux lassés des bassesses des gens
Voient dans ce bleu la vie plus belle que l’argent.

Harissa

Du jour au lendemain, j’oubliai mon histoire
Et tout autour la vie ne fut qu’heure illusoire.
Enfin le temps lui-même, à son tour, s’effaça.
Je riais. La mémoire ? Un goût de harissa…

Déchirant

J’écoute le bruit sec des pages qu’on déchire
Une à une, empressées de jouer les martyres,
Insolentes, volant en petits bouts épars.
Toutes je les voudrais lire. Lâche, je pars…

Toujours

Du début à la fin, le temps me réitère
Avec force de joindre le corps à la terre
Et de ce lent mystère, il n’est pas de saison,
Seul un instant survit à la comparaison.

Bastingage

Peut-être est-ce un début, peut-être est-ce une fin,
Je regarde à la proue, mutique, les dauphins
Qui se jouent de la mer et du ciel. J’imagine
Être un oiseau pêcheur dans la brise marine.

Filaos

Bruissent les filaos sous le vent de la mer,
La mouette au-dessus poussant des cris amers.
Je marche et j’en oublie la raison qui me pousse :
Autour de mes pieds nus, la latérite rousse…

Miel et mie

J’aime le miel ambré de tilleul sur la mie
D’une tartine épaisse, avec quelques amis,
Quand les vapeurs du thé, suaves, se révèlent
Et qu’un silence étend nos âmes essentielles.

Dallage

J’avance en soulevant la poussière des dalles
Autour, l’obscurité, goulue, perfide, avale
Une à une les ombres froides des piliers.
Je rêve d’un vitrail, un jour ensoleillé.

Sous les arcades

Mon silence au dedans, ton sourire au-dehors,
Complices nous étions, dans l’instant, sans effort.
Le vent musait joyeux sous les arcades blondes
Et rien ne comptait plus que nos mains vagabondes.

Damier

Le damier s’éternise en cases noires, blanches
À l’horizon desquelles mille oiseaux se penchent,
Aux plumes bleues, moirées, le bec d’un rouge sang,
Fixant d’un œil glacé l’homme inintéressant.

Je prie

Les mains jointes, je prie dans l’église glacée,
Les échos ne sont plus des cantiques passés,
La lumière or et bleue du vitrail me sidère,
Un instant l’égo meurt à l’orée du mystère…

Flot

L’aurore vient toujours. Le fleuve. Rien ne change.
Les fruits de l’oranger sont toujours des oranges.
Et pourtant le flot court, le sang, la sève, l’eau.
Sur cette impermanence, je suis matelot.

Que d’eau

Du partage des eaux, la goutte n’a que faire
Elle suit sans faillir la voie qu’elle préfère,
Évaporée parfois, rejoignant les nuages,
Et retournant toujours à la terre sans âge.

La vie vue

C’était un flanc d’estive et je criais, ravi,
À la montagne, au ciel, que j’avais vu la vie !
Un épi de plantain, de ses roseurs câlines,
Acquiesçait, délicat, serré sur ma poitrine.

Bout de papier

Je me suis déchiré, de m’être déplié,
Plié au gré des jours, comme un bout de papier.
Qu’on fourre dans sa poche avec indifférence
Et qu’on ressort souvent, sans plus de prévenance.

En panne

On se tord, on est là, vautré dans le parnasse,
À suivre les pensées, les émotions filasses,
Espérant qu’une muse inquiète sème l’or
Des mots qu’elle a volés aux bardes déjà morts.

Silence poreux

Le silence est en couches fines, composite,
Il absorbe le souffle et les paroles dites.
Un regard lui suffit pour que l’amour perdu
Oublie qu’il n’a pas fait tout ce qu’il aurait dû.

Singulier retour

Paille, bois, chanvre, cire, une étrange cabane
Est sise au creux du val. Y demeure un chamane.
À l’entrée, quelques cloches tintent sous le vent.
Je me retrouve ici de plus en plus souvent.

Lait-menthe

Je sirote un lait-menthe au bistrot près du lac,
Il fait froid. Je n’ai pas ôté mon anorak.
Les gens assis autour ont la vue traversière.
Âme et gosiers sont secs. Boire me dépoussière.

Le son

Je n’ai pas entendu la cloche de l’église
Elle sonne pourtant, les voisins me le disent.
Où se cache le temps, quand la cloche se tait ?
Peu importe l’hiver, qui je suis, qui j’étais…

Enjeu

Tu pensais chaque jour comme un enjeu, ravi.
Partant, tu as gagné, tu as perdu. La vie…
L’eau du temps s’écoulait, fuyante, vagabonde
Et moi je n’y ai vu que la volée de l’onde.

Le temps du rêve

Il mit en son carquois ses flèches de couleur,
Attendit que la pluie s’épanche en mille pleurs
Puis décocha gaiement ses traits vers les nuages
Et le ciel aussitôt s’épanouit, volage.

Orée

Au bord de la clairière, un portique de chêne
Apparaît, démarquant les sphères souterraines…
Y aller, ignorant qui peut guider mes pas ?
Un geai file et me dit de naître… ou n’être pas.

Oscillatoire

L’ombre de l’escalier métallique s’agite
En suivant les rafales de vent. La tour gîte.
Un vertige abyssal me saisit. Je dévie
Vers l’ombre, le métal, la tour, le vent, la vie.

Nos mains

Je suis le beau tracé des veines de sa main,
Bleu delta sur sa peau fine de parchemin.
Nos mots sont effleurés, la mienne dans la sienne,
Étrange chuchotis tactile, voie sereine…