Émoi

Ta jupe m’ébahit, corolle vive et blanche,
Ipomée que l’on tient d’une main sur la hanche,
Et seul, évanoui, soûlé, j’ai ton parfum
Embué qui arbore une note de faim.

Noués

Je n’eus jour mien qui fut libre de ton présent
Ma vie menue cueillait tes fleurs, chemin faisant,
Puis, laissant nos vieux os, le destin se fit rude…
En vérité piquant nos moindres certitudes.

Outil

Mon dire a des laissées pour compte de poussières,
Empeignées joliment dans le battu de terre.
Il faut bien qu’un poème y soit au sol tracé,
Maniant ma frayeur au bout d’un bois cassé.

Nues de points

L’espace continue recèle quelques points
De singularité, mais porteurs et témoins,
Les reliant selon des équations fractales,
Entiers, d’étrange formes, nues fondamentales.

Éponge

Je regardais l’éponge absorber l’eau glacée
Qui lentement coulait du verre renversé.
Ce double mouvement me mettait mal à l’aise.
Encore l’entropie gagnait… Qu’à Dieu ne plaise !

Sur la mousse

Dans la forêt des loups, la clairière se fige
Au son du Maître-Chant que la Nature exige.
Il palpite et s’étend dans la brume du soir,
Sur la mousse moelleuse enfin, je vais m’asseoir.

Sapin

Nos corps sont décorés comme des arbres peints,
L’écorce de nos peaux tatouée. Le sapin
Ne sera du cercueil que les ultimes planches
Où gésir, un jour froid, dans la viscose blanche.

Leur liberté

Les oies n’ont de sauvage que leur liberté
De voler au-dessus des pays éreintés,
Le cou droit vers le Sud, où l’hiver est si tendre,
Alors que je regarde en bas, peine à revendre.

Sur la vague

La gargote éventrée dégorge sur la rue.
Les serveurs dépassés veulent gérer la crue,
Mais la foule se masse aux abords, l’air féroce.
Elle me tire, folle, autant qu’elle me drosse.

Le revers

De cet espace clos, je cherchai le revers,
Mais les plis inconnus de l’étrange univers
Parfois se liquéfiaient en cascades moirées,
Parfois se congelaient en lames acérées.

Dépôt-vente

Dans ce hangar immense où les objets s’entassent,
En vain, je déambule avec des pensées lasses,
Étonnamment cerné par des parfums ténus
D’amours mortes, de temps, de regrets mis à nu.

Alibi

La pierre a oublié qu’elle était minérale,
Elle s’épanouit, présence vertébrale,
Au milieu de l’estive où paissent les brebis.
J’y suis assi. Je vis. Mon plus bel alibi.

Tamis

Je divise le nombre en particules fines
Et le tamise encor, comme fleur de farine
À la recherche d’une singulière essence,
Hélas cet univers se vêt d’indifférence…

Du pouvoir

Tombèrent des feuillets du livre des Mystères
Et de ces manuscrits, je voulus tout vous taire
Afin de préserver le secret du savoir…
Mais il fut dévoré, par envie de pouvoir.

Aspiration

Les mondes ajourés firent passer les âmes
En cortège, au-dessus des succubes infâmes
Et des vagues de vent qui roulaient dans le noir.
Toutes furent broyées dans l’immense entonnoir.

L’anneau

Tu l’as perdu peut-être cet anneau de nous
Que j’aurais dû t’offrir, au sol, sur un genou.
Tu l’as caché sans doute au creux des riches heures…
Un reflet de cet or sur une larme pleure.

Mépris

Tu me fixes, blottie sous les tôles qui craquent,
Avec un regard dur. J’entre dans la baraque,
Et commande un repas. Je vois quelques éclairs
Au loin. Ceux de tes yeux me rentrent dans la chair.

À ta santé !

L’or indéterminé du silence m’endigue
À l’issue des paroles que tu me prodigues.
Est-ce un moment perdu ?  L’interstice fécond ?
Nos yeux se sont trouvés. Comme nos mains. Trinquons !

Coffret

C’est un petit coffret, sans doute de noyer,
Satiné, les bords vifs, joliment travaillé.
Qui recèle de vieux documents de famille,
Un peu comme un cerneau gisant dans sa coquille.

Halage

Immobile, l’eau verte du canal s’étend,
Répandant tout autour un silence inquiétant.
Je déambule au long du chemin de halage,
Où court l’amont, l’aval ? L’eau même est un mirage.

Zone de biens

L’entrepôt gris se tient au milieu d’une zone
Aussi grise que lui. Je ne vois qu’une faune :
Autour, dressés à mordre, en patrouille, deux chiens
Qui aboient dans un pathétique va-et-vient.

Moiteur

Un feutre sale occupe un coin du vieux bureau,
Le ventilo zonzonne et ce n’est pas de trop.
Lui s’est carapaté, sans doute dans la cave,
En quête de fraîcheur, d’alcool. Ô mort suave.

Coulée

L’ordinaire coulée des jours s’étale lente,
En unissant les eaux contraires, ruisselantes.
À côté, l’inconnu se distingue charmeur
Par ses lumières, ses ténèbres, ses rumeurs…

Tout est dit

Cela revient, les rires, les palpitations,
Quand les regards se croisent, l’élan des passions,
La beauté. Tout est dit. Le silence nous aime.
Un plein de vie, de mort, c’est du pareil au même.

En pluie

La prairie s’est courbée sous le vent qui froufroute
Une rainette au bord flûte un air. Une goutte
Effleure l’épillet d’un pâturin ténu.
La mélodie de l’eau touche le continu.

Tchernobyl

Un grillage imposant sépare les deux mondes.
Ici, c’est le désert, là le gibier abonde,
Ici les hommes crèvent, là pas un ne vit.
Le Paradis se forme où l’atome sévit.

Oniriques sous-bois

En rêve, je déplie des cartes et des plans,
Cherchant du bout des doigts les chemins les plus lents.
Je navigue dans des sous-bois hyperboliques,
Effleuré par les corps de bêtes fantastiques.

Colline

Je passe en bicyclette au pied de la colline
Étrange, singulière, avec sa tour en ruine.
À chaque tour de roue remonte le passé,
J’imagine les os, les armes entassées.

Où es-tu ?

Je parcourus les flots épars des mers de Chine,
En maraudeur, à bord de jonques assassines,
Une lune gibbeuse, immobile, saignait.
Je ne te vis jamais. Les requins ondoyaient…

Chavirement

Devant moi, les remous d’un bateau qui chavire
Accompagnent mon âme aux cales du navire
Où se tordent les flots dans les trois dimensions.
La quatrième joue le jeu de la scansion.

Aquarium

Le poisson rouge a des envies d’océan bleu,
Mais son bocal est horriblement frauduleux,
De par sa transparence et sa rondeur de globe…
Rien ne l’empêchera de finir claustrophobe.

Anthologique

C’est une anthologie, disait la couverture.
Au fil des pages ainsi je lisais l’écriture
Informe, éparpillée, sans consistance, imbue
De vaines prétentions… d’anthologie ? L’abus.

Sédimentation

L’esquif enseveli dans les boues du passé
Tant me dit les amours, les voyages lassés
Que la boue se durcit sous mes gestes fébriles…
Et plus rien ne sépare un continent d’une île.

Maître Chat

Juste fut le seul mot qui me vint à l’esprit
Quand le vieux Maître Chat tranquillement repris
Sa marche indifférente et légère vers moi.
La vie ne nous laissait que de simples émois.

Ombre et lame

Mon ombre s’est brisée sur le fil d’une lame,
À la fin de la danse, à la dernière gamme
Et je me suis tenu, debout, sans respirer,
Cherchant mon être, vain, fragile, déchiré.

Pensées de nuit

Les songes de ces nuits m’alourdissent les ailes,
Et me glacent le cœur. Je vois dans la ruelle
Un peu de temps mourir. Tes cheveux sont défaits.
J’aime ton souffle lent, et la cause et l’effet.

Genoux

J’avais, de tes genoux, des souvenirs sucrés
De farandoles folles, de cauris nacrés,
Les frégates criaient ivres de coquillages
Et je te poursuivais, poisson dans ton sillage.

Arboricole

Le singe a des frissons dans cette nuit sanguine,
Il tremble en s’agrippant, retroussant ses babines,
Encore suspendu dans le manguier géant.
Les braconniers sont là, pourvoyeurs de néant.

Idées vagues

S’allongent les idées puis vidées se retirent,
En vagues océanes (tant de choses à dire) ;
Épuisé je m’étends sur le sable des mots,
Je me perds dans les interstices minimaux.

Aurifère

L’eau file sur les pierres, en lame transparente
Où, pieds nus, tu te tiens, tu cries et tu inventes
À ta manière l’or qui jadis était là…
Mais non, la moindre goutte est d’un plus bel éclat !

Éclose

Tu t’agites et tu geins dans cette geôle aride,
Alors que les années te burinent de rides.
Une fleur lentement, sur la muraille, éclot.
Elle n’est pas encor peinte sur ton tableau.

Débord

J’entends le flot terreux qui dévale la pente
En gros bouillons cruels, mordant la terre aimante.
En bas, le ruisselet devient ruisseau, rivière,
Il déborde, il s’épand, dans sa hâte ordurière.

Asphodèle

J’ai vissé l’appareil photo sur le trépied,
Patientant tout le jour s’il le faut, pour épier
Ce fugace moment du pollen qui s’évade
En nuages dorés : l’asphodèle parade.

Sang dessus dessous

Un ascenseur qui monte, un autre qui descend,
Je suis devant la porte à me tourner les sangs.
Tu es sans doute là, tel un oiseau en cage…
Et moi sur le palier qui ne sais, qui enrage !

En salle

Le velours cramoisi des fauteuils se fait tendre
Et dans l’un d’eux je tombe comme un tas de cendres,
À peine brasillant sous le feu de l’écran.
Le film a des longueurs : la mort au plus offrant.

Heures

La peine et le plaisir, pareillement, pieds nus,
Sur l’asphalte glacé d’une ville inconnue,
S’entremêlent sans fin. Je poursuis mon errance
Et fuis devant ces heures, leur inélégance.

Geste et rime

Ce poème était lu dans la langue des signes
Y compris cet instant du retour à la ligne
Où la rime filait en d’autres dimensions.
Tes mains jouaient dans l’air… si belle traduction !

Nos touches

De ce piano faut-il qu’elles soient blanches, noires
Et qu’ainsi je choisisse ou l’ébène ou l’ivoire ?
Un air prend la mesure et donne le tempo,
Nous conduit à danser ma peau contre ta peau.

Chasselas

Je les revois pendus, les chasselas flétris
Près de la cheminée, juste sous le lambris,
Qui rougeoyaient au feu, les grumes palpitantes,
Et l’hiver s’écoulait dans une valse lente…

Ma lande

Je n’oublie jamais rien, les heures, les secondes
Autant de graminées dans ma lande profonde,
Herbes vertes parfois, souvent jaunies, de froid,
De sécheresse. Au loin, le vent du désarroi.

Faim du marché

Le marché se termine et le sol est humide,
Il y a des trognons de chou, des cageots vides.
Un chien furète autour, un homme aussi, de faim…
Le nanti se raidit, de ne regarder, feint…

Le clos

La conversation file et s’estompe dans l’air,
Je me suis réfugié dans un espace cher,
Ce clos délimité par les os de mon crâne.
Au milieu de ce vain débat, seul, faire l’âne.

D’un roman

Peut-être est-il sorti des pages d’un roman,
Vapeur d’encre, volute, en fuite, impatiemment.
Je le vois sans son ombre, inerte, dans la foule
À ses pieds, noir ou gris, le goudron se déroule.

Charbon de bois

Un bout de bois brûlé suffit à mon esquisse,
Et la montagne au fond, pour dire où tu te hisses.
Ici l’air est cruel, le froid me rend si gourd.
Ta silhouette l’exalte : ai-je d’autres recours ?

Sable saint

Le ksar de Chinguetti se dresse avant la transe
Et l’Adrar tout autour est entré dans la danse
Infime et monstrueuse du sable et du vent.
Le sage psalmodie le Livre Saint, devant.

Nuage de mots

Le nuage de mots glissait nonchalamment
Dans l’azur des pensées pures, sous l’œil gourmand
Des émotions tapies. De ma plume, le verbe
À peine né, fringuant, se trémoussait dans l’herbe.

Ego

La conscience s’effile et tranche dans l’égo,
Tel un rasoir d’Occam au bord du distinguo,
Puis c’est un océan qui gronde et qui s’épanche
En noyant le dit « je » dans une écume blanche.

Dais de pluie

La pluie bat la campane et la toiture aussi,
Les flics-flacs font chorus et j’attends l’éclaircie,
Mais ce soir le plein ciel annonce le déluge.
Ai-je besoin d’un toit, d’un abri, d’un refuge ?

Temples

Les temples, enfouis dans les gangues de boue,
Noyés au fond des lacs, sous des tertres tabous,
Cachés sous des ronciers, dont les épines crissent,
Engloutis dans le sable, aujourd’hui, ressurgissent.

Petit peuple

Les petits animaux se sont mis en chemin,
Au fil des haies, des bois, pour presser les humains
D’abandonner la voie de mort dont ils raffolent.
Les petits animaux ne sont pas malévoles.

Édition

Le jour déjà pointait quand la presse se tut.
Les feuillets sentaient l’encre. À la cuisine tu
M’avait fait infuser cet Earl Grey vert que j’aime.
Un instant nos regards furent un seul poème…

De soi

À force de courir, je me suis rattrapé,
Mais cet autre moi-même était un rescapé
De myriades d’égos perdus dans l’apparence.
Un sentiment poisseux d’être devenu rance…

Sous le fléau

Ma Némésis revient, foule sans foi ni loi,
Qui bouscule ma route. À tout instant, je ploie
Sous la charge et la haine. Une petite place
Est tout ce que je veux, dans ce monde vorace.

Submersion

La côte est submergée, l’aube la redessine
Et les gens l’ont quittée, fuyant dans les collines.
Un monde disparaît tandis qu’un autre point.
Comme l’estran je suis entre deux eaux, témoin.

Terre d’abandon

Vue sur un lac gelé, moelleux de l’édredon…
Je me hisse avec grâce en terre d’abandon.
L’existence m’a fait l’offrande d’un sourire :
Il ne faut pas gâcher l’occasion de l’écrire.

Le banjo de Jo

C’est le banjo de Jo derrière qui ricane,
Y approcher malgré la fumée des gitanes
Est un défi mouvant. Le drôle se défend,
Mais quand je suis devant, d’un sourire il se fend.

En beauté

Je suis intimidé par la beauté du monde,
Elle me rend meilleur un peu chaque seconde,
Un océan de peur se vide dans l’azur.
Mon souffle court, la vie, la mort, rien de plus sûr.

Démarche

Un fleuve de goudron coule entre les trottoirs,
Que mes pas longent, lents, de sonnette en heurtoir,
Interrogeant sans fin les mines suspicieuses,
En quêtes d’autres âmes, vieilles, silencieuses.

Rive ou dérive

Une feuille de chêne un jour tomba dans l’eau,
Sa sœur finit au sol… était-ce un triste lot,
De ne point voyager ? Qui d’elles deux perdure ?
Insectes ou poissons du débat n’avaient cure…

Prakriti

Ma volonté se tord, comme un plasma béant,
Dans les anneaux serrés d’un tokamak géant,
Cherchant la plus infime singularité,
Tel un grillon l’instant d’un silence d’été.

Vain reflet

Il polit le granit de la pierre tombale,
Au point qu’elle arbora le fini de l’opale
Et qu’il vit son visage, sans qu’il l’eût souhaité,
La nuit vint, les étoiles, seules, reflétées…

La note

Dans la cave un piano fut laissé trop longtemps
Sans jouer, sans sonner… le métal se détend.
Un jour la belle ouvrit la porte et la lumière,
Une note jaillit, seule, claire et première…

Exergue

En exergue, le texte averti le lecteur
Qu’il sera pris au piège par le narrateur
« Dans une boucle noire où les mots s’entrelacent. »
Est-il déjà trop tard ? Suis-je pris dans la nasse ?

À l’arme

J’avais le cœur serré, dans les vaisseaux, le sang
Filant à la dérive, altéré, dépassant
Les rivages battus, colorant jusqu’aux larmes,
Au comble du chagrin, mon corps prenait les armes…

L’homme du manoir

Les pans de son manteau, comme des spectres noirs
Avaient des soubresauts derrière le manoir,
Tandis que le cinglait la pluie, de ses rafales,
Et sa haine jouait sa marche triomphale.

Clé des champs

J’ai dû la laisser quelque part, la clé des champs,
Dans le séjour, dans le couloir, en débauchant.
De la trouver j’ai bon espoir, je n’ai de cesse !
Encore une heure sans la voir… mais le temps presse !

Rengaine

Je suis bien dans ma scie, ma rengaine paresse,
Elle siffle en silence et ressasse sans cesse,
Un petit air de rien qui ronronne ravi,
Je dodeline lent dans ce flot. Je revis.

Crinières

Elles sont érodées, les crinières des lions,
Sculptées dans le grès rouge, presque vermillon,
Notai-je en gravissant les vingt marches du temple,
Alors ? L’esprit se tait ! Il faut que je contemple…

Léthé

Je n’ai pas prolongé le compte de mes nuits
Qu’elles passent ainsi, dans le plus fade ennui !
L’eau lasse du Léthé, noire et lente, s’écoule
Où je trempe mes mains, sous le flot qui s’enroule.

Loin

J’ai des velléités de routes inconnues,
De folles escalades faites à mains nues,
De voiles de soie bleue qui doucement faseyent,
À l’horizon perdu, de sampans qui sommeillent…

La valise

La valise est ouverte au bord de la piscine,
(Une porte d’entrée sur une vie badine)
Où est passé l’humain ? Peut-être a-t-il franchi
Le portail, au-delà du fond bleu défraîchi ?

Île

L’île est née ce matin, surgie de l’insondable,
Et moi, vague oubliée, qui vient frôler le sable,
En goûtant la noirceur des basaltes, je tue
Mon désir d’être, au fil de la plage pentue.

Lierre

À quelques millimètres près, j’ai vu la forme singulière
Émerger de la fine pierre, entre la sculpture et le lierre.
Ainsi l’arcane dévoilé d’un sourire longtemps déchu,
Réenchanta cette clairière au grand dam du lierre crochu.

Guerre

J’entends le son cruel des grands tambours de guerre,
Et les peuples s’en vont dans la rage grégaire,
Oubliant ce qui fait leur part d’humanité,
Faut-il donc se noyer dans cette indignité ?

Tout passe

À trois pas de côté, j’ai chu dans la rigole,
Un flot noir y courrait comme une farandole,
Les horreurs de la ville étaient noyées dedans.
L’ivresse a du mérite… on n’est pas regardant.

Bastringue

La mélodie sortait d’un vil piano bastringue,
Avec un chat posé, comme un paquet de fringues
Au-dessus du clavier. La pianiste jouait,
Le matou miaulait comme s’il la rabrouait…

Cartes sur table

L’espace est envahi de mots inconsistants,
Qui se déposent, pleins de leur poison latent,
Je vais quitter la place inique, irrespirable,
À force de ne pas mettre cartes sur table.

Ombre chaude

Du lierre et du tilleul, les corps entrelacés
Dans une étreinte lente aux frôlements lassés,
Je n’ai vu que l’instant, dans l’ombre verte et chaude,
Où, frêle, tu lanças ta robe, un peu faraude.

Holà, là-haut !

Que nos âmes tannées retrouvent la souplesse
Aux vents qui décoiffaient nos années de jeunesse,
Au sourire retors de la Mort je réponds :
« Holà, tout doucement, quant à passer le pont ! »

En descente

La route file sous mes roues, comme une chute,
À toute allure, et seul le vent tente une lutte,
Aux freins je confie mon destin, juste un clin d’œil
À la montagne minérale sans orgueil !

Présente ligne

Jamais je n’ai tracé de ma plume une droite
À l’encre noire intense, et cependant étroite,
Isolant simplement deux zones du papier.
Avant, après : la ligne m’a fait perdre pied.

Dernière neige

La neige s’est cachée dans l’ombre d’un rocher,
Là-haut, juste au-dessus des estives, tachée
Par les effritements des aplombs de granite.
Au-dessous, dans la neste, insouciante, une truite…

Au plus profond

La chaleur à l’assaut des murs est insistante.
Elle est passe-muraille, invinciblement lente
Et je suis obligé d’aller au plus profond
D’une crypte sans âge où jamais rien ne fond.

La routine

Combien grande est la force au cœur de la routine,
Alliée fidèle par tous temps, bénédictine,
Elle me guide silencieuse, à chaque pas,
Moi qui n’ai pas le choix, de naître ou n’être pas.

De ce ciel

Combien de temps faut-il rester devant ce ciel
Pour être plein de sa beauté, son bleu pastel ?
L’égo résiste à se vider pour laisser place
À cette immensité ténue. Rien ne le lasse.

Ostéopathe

L’ostéopathe a pris le temps d’examiner,
De toucher, de sentir les tensions concernées.
Par la voie de ses mains, ma peine s’est défaite.
Encore un peu, la vie s’est remise à la fête.

Vieille planche

Je caresse les fibres du bois dans l’instant
Cette planche de chêne a plus de cinquante ans,
Je devine la scie, la cicatrice brute…
En forêt, n’oublie pas le moment de sa chute.

Noire tasse

La tasse en porcelaine de Limoges, noire
A des airs de bayou, de lune, vibratoires.
Au fond le café stagne avec sérénité.
Je veux pas troubler ce temps de vacuité.

Les petits sabots

J’ai bien affûté cette gouge de Grand-père,
Avec laquelle il fit des choses singulières,
Ainsi ces deux sabots qu’il laissait au-dehors
Aux lutins ! Disait-il… Je le revois encor…

Pleine peine

Je ne peux oublier les jours de pleine peine,
Quand même le bonheur s’enfuit à perdre haleine,
Et qu’on ne comprend rien au passage du temps.
Pourquoi ces souvenirs sont aussi persistants ?

Étiquettes

De la cave au grenier, dans la maison d’été,
Toutes les choses sont dûment étiquetées.
Chaque phrase est écrite avec un trait de plume,
Une histoire éclatée dans les objets… posthume.

Vain tissu

Ma lassitude ? Un chat, tapis dans un coin d’ombre,
Attendant que je baisse un peu ma garde et sombre,
Un félin qui déchire méthodiquement,
Le tissu de ma vie, ce vain lamé qui ment.

Assourdissant silence

J’eusse voulu briller dans l’art de l’oraison,
Ma logique est rétive à cette inclinaison,
Mais j’escomptais de l’heure pleine de silence,
Hélas un bataillon d’idées toujours s’y lance.

Équipées

Aux miennes équipées, je n’ai donné de nom,
(Le temps se chargera de les bannir ou non)
Mais dedans maintes gens valent qu’on se souvienne…
Au fil des ans je prie pour que mon encre tienne.

Chambre bleue

La chambre est bleue comme une lagune océane,
Et la femme alitée, sous son masque diaphane,
Imagine nager dans l’eau des profondeurs.
Pour elle je ne suis qu’un poisson maraudeur.

Exultation

Le cœur s’emballe et l’oxygène se répand,
Le corps exulte sans une once de dopant.
Sous le soleil ravi la bicyclette file
Et j’y suis accordé, dans ce temps immobile.

Vol d’aubade

Le monde s’harmonise autour d’une fenêtre
Ouverte. Je vais m’éveiller et puis renaître.
Une aubade s’envole avec un martinet,
Vite il me faut noter cela dans un carnet.

Officier civil

Avec son encre noire et sa plume d’acier,
Ses registres ouverts, tel un vil créancier,
Il paraphait, gourmand, les décès, les naissances…
Au mariage il donnait, malgré tout, préséance.

Antidote

Rien ne la distinguait du reste des passants
Son petit air frondeur, peut-être, ou agaçant.
Je fis le premier pas, lui demandait de l’aide,
À la déréliction me trouver un remède…

Autour du vide

Souplement, la raison s’enroule autour du vide
Et serre lentement cette colonne aride
Au cœur de la pensée. Quand la tension prend fin,
L’idée s’épanouit, l’envol d’un séraphin.

Si le silence

C’est le profond silence autour qui me ranime,
Où mes sens aiguisés traquent la plus infime
Altération du temps, comme si l’univers
Avait manigancé quelque piège à mes vers.

Coupons

Des coupons de tissu s’entassent sur les tables,
Et je vais, effleurant des touchers délectables,
Imaginant les corps dansant sous ces étoffes,
Ainsi ma vie ce soir fait de soyeuses strophes.

Vieux violon

Un brin de mélodie remonte à la surface,
En contemplant la table d’harmonie, sa grâce…
Et pourtant le violon, son chevalet brisé,
Reste muet, rêvant d’être enfin révisé.

Au pré

Dans la prairie, le soir, la brise est erratique,
Elle passe furtive, effleurant les colchiques,
Entraînant leur parfum subtil de mort, de vie…
Plus haut, les pâturins et houlques sont ravis.

Titi

Il galopait comme un cheval sous les embruns,
Tout à son rêve, sa vision, son jeu sans frein,
Six ou sept ans, les jambes telles des baguettes,
Il galopait, les yeux rieurs, l’âme en goguette.

Jade

L’anneau de jade balançait infiniment
Son galbe vert sous le velours du firmament.
La chaîne d’or qui l’entravait menait sa ronde
À la mesure rigoureuse de ce monde.

Mangroves

Les mangroves, dit-on, pensent si joliment,
Vibrant de leur feuillage, aux îles Andaman,
De cette grâce singulière, végétale,
Et leurs pensées vous frôlent comme des pétales.

Cavernicole

Au fond de la caverne, inquiet, j’attendis seul,
Espérant que le jour dévore mon linceul,
L’air et le feu jouait une danse éternelle.
Le clair-obscur ambiant la rendait sensuelle.

Casse-croûte

J’aurais voulu qu’ici, à l’aise nous posions
Nos sacs à dos remplis de quelques provisions,
Juste pour ce repas, cet instant, cette route,
Assis seuls tous les deux, le temps d’un casse-croûte.

Épée de feu

Le maître cisela dans sa folie les signes
Avec tant de furie que s’embrasaient les lignes :
Ainsi l’épée brûlait porteur comme assaillant.
Seule la paix contint le glaive trop vaillant.

Moisson

C’est partout la moisson. Les monstres de métal
Crachent leur fumée noire, en un élan brutal.
J’ai la vision ténue des moissons à l’ancienne
Où les faucheurs chantaient… que cet âge revienne !

Plagiat

L’oiseau vivait en cage et le pianiste osa
L’air qu’il pépiait jadis dans le vieux mimosa.
L’oiseau furieux cassa les barreaux de sa cage
Et s’envola toujours plus haut, vers les nuages.

Archives noires

J’ai dû vivre six jours dans les archives noires,
Où ma loupiote était si pâle et l’écritoire
Un singulier refuge au milieu de l’oubli.
Soudain vinrent les noms. La peur s’évanouit.

Pouce

J’ai tant répété la prière, éparpillée
Dans le vent céleste ou mauvais ! Le sablier
N’en a pas moins continué sa coulée douce,
Et nul ne sait le dernier grain qui tombe… Pouce !

Rose lande

La lande est rose de bruyère et les genets
N’osent encor s’épanouir. Sur mon carnet,
Je note les vers oubliés, puis je dessine
Ému, les formes, la beauté, d’un bout de mine.

Séduction

Vers le ponton j’avance et les rides sur l’eau
Viennent déjà lécher les antiques pilots.
Tu attends, pieds ballants, esquissant un sourire…
Et le temps coule aussi, nul ne peut le séduire.

Danse de soie

J’ai tenu dans mes mains la soie Kanchipuram
Et ses couleurs chantaient dans la cour de l’ashram,
Puis je t’ai vu danser, sur un râga antique,
Avec ton sari bleu… souvenir féerique.

Emprise du désert

La montagne est aride et la poussière grise,
Interminablement, je marche sous l’emprise
Épaisse du désert. Se perdre est ma pensée.
De tous les grains de sable, un seul à ramasser.

Esseulée

Elle s’est abîmée dans la contemplation
De son ballon de rouge, un soir de réveillon.
Dans un bar, être seule attise l’amertume.
Autour les gens braillaient, répugnante coutume…

Muse vénale

Je ne vais certes pas à cette heure conquise
Hisser un piédestal qu’aussitôt tu détruises
Ô muse décharnée, qui jettes dans le vent
Mauvais tes avis vains, vantant ce qui se vend !

Rude amour

C’est notre rude amour qui s’use sur la terre
À s’écarter un peu de l’égo sédentaire
Et donner à l’éclat du nous quelque grandeur,
Pour échapper un temps à nos propres hideurs.

Jasmin

Tu as l’aplomb, j’ai le vertige, au bord du gouffre
Il faut se taire ou bien parler ? Qui de nous souffre ?
Une fleur blanche de jasmin finit dans l’eau,
Les rides rondes tout autour, comme un sanglot.

Dans l’arbre

Je suis grimpé dans l’arbre au cœur des frondaisons,
Dans les creux défilait la ligne d’horizon,
La lumière jouait avec les tendres feuilles.
Essoufflé, j’attendais que l’univers me veuille…

Un vent de liberté

C’était une balade à vélo sans histoire
Et les gens attendaient l’heure libératoire.
En sortant de la ville, une alouette vint
Chanter son espérance, effleurant le divin…

Gens de gare

Les uns sont arrivés, les autres sont partis,
La gare est une scène aux plans désassortis.
Je regarde les pieds de la foule qui trotte
Et j’en oublie le temps… qui sans arrêt grignote.

La clairière

Ils se sont retrouvés, sans qu’un mot ne soit dit,
Sous la voûte feuillue de la sylve, à midi.
Ils portent tout du roi, le sceptre, la couronne
Et le trône et l’épée. La clairière claironne.

D’outre-temps

La péniche a troué la brume du canal,
Son étrave éclairée par l’ultime fanal.
Le chemin de halage est aussi dans la brume
Et je vois les silhouettes des chevaux posthumes.

Noir velours

Sur le velours obscur, je posai lentement
Les rubis, émeraude, saphir et diamant,
Cherchant sous la beauté singulière des pierres,
Un infini peuplé de vies intermédiaires.

La boîte

J’ouvris sans me presser la boîte métallique
Où gisaient des photos noir et blanc, des reliques.
Impossible d’y voir une chronologie.
La mort jalonne mal le passé ressurgi.

Du lit de l’âme

J’ai ouvert doucement les yeux, fixant les poutres
Au-dessus de mon lit. Mon âme est passée outre.
À l’opposé, la terre, singulière, est là.
Je me déchire un temps, puis songe… au matelas.

Nef sauvage

La brume sur le lac sournoisement s’étale,
Imitant le charroi lourd de la cathédrale.
Ici pas de travée, pas d’autel, pas d’écho.
Silence et profondeur font les ors cléricaux.

La feuille de l’ange

L’ange a laissé la tasse blanche se teinter
De la lente agonie d’une feuille de thé.
Que l’amertume ou non des larmes se propage,
Il ne reste plus rien… qu’un mot sur une page ?

Eurythmique

Un geste, une pensée, l’un et l’autre s’enchaînent,
Et, la musique aidant, s’évapore la haine.
Alors la danse naît, coule, s’épanouit…
Se libérer ainsi de ce qui est enfoui.

Mal de bordure

Dedans l’alcôve douce, un peu geôle, un peu nid,
Dehors, tout l’univers, du vertige au déni…
Trop souvent je succombe à ce mal de bordure,
Empêtré que je suis à chercher ce qui dure…

Foulées félines

Pourquoi les pas feutrés des chats sont des mystères,
Arpentent-ils ainsi les lignes de la Terre
Afin de refermer les failles du Shéol ?
Ou est-ce un pas de danse avant le grand envol ?

Engluées

Oui, de vous, je suis las de ces rodomontades
Articulées autour des écrans, des façades,
Engluées dans la toile vaine des on-dit.
Puissiez-vous ranimer le bon sens engourdi !

Dans la jungle

Fasciné par les cris de la jungle, je reste,
Entre deux souffles courts, une bête modeste,
Apeurée, qui répond aux étranges désirs
Dont nul ne peut, vivant ici, se dessaisir.

Le fond du cœur

« Je n’irai nulle part si loin qu’au fond du cœur. »
Cet adage vieillot me serinait, moqueur,
Face à la vacuité de ma propre existence.
Et pourtant, vide et cœur forçaient la ressemblance…

Les signes

Je vis le brin de laine à la branche noué
Sur la sente secrète où j’aimais tant jouer.
Puis d’autres se laissèrent voir, comme une invite
À rejoindre moi seul les dryades proscrites.

Scellée

Je scelle la missive avec la cire chaude,
En y pressant la tête de mon émeraude,
Aux vert et sang mêlés vit l’éphémère instant.
Cette lettre est à toi que j’aime et j’aimais tant.

Taupes

Partout des galeries souterraines progressent
Irradiant de douleur la terre enchanteresse,
À la recherche vaine d’or et de diamants.
Les taupes vont soigner la terre, patiemment.

Pomme de terre

Minuscule est le fruit de la pomme de terre
Et rare, avec sa robe glauque et son mystère.
Il peut donner la vie tout autant que la mort,
La plante est ce qu’elle est, sans l’ombre d’un remords.

Cohorte

L’ancienne voie romaine a des pavés enfouis
Sous le bitume noir. Le temps s’évanouit.
J’imagine sans peine un autre paysage :
Une cohorte lasse avance, d’un autre âge.

Cailloux

Les cailloux me font mal sous mes semelles fines,
Il faut que je m’éloigne au plus tôt de ces ruines,
Elles rongent mon corps autant que ma raison.
Vision de l’avenir ? Serait-ce la maison ?

Le temps se plie

C’était avant, c’était après, comment saurais-je ?
Un an se plie comme un drapé de fine neige…
Et quand l’hiver trop longtemps dure, on oublie l’or
Du soleil chaud sur la peau crue puis l’on s’endort.

Obsidienne

Le thé de jade infuse et sa rondeur se moire.
À côté, menaçante, une obsidienne noire
Agrippe trop souvent la lueur de tes yeux.
Je verse… passe ainsi le moment périlleux.

Éperdu

Les instants vrais ou faux se cognent, se bousculent,
Offrant quelque délai dans mes choix ridicules.
L’alouette là-haut, vive, chante son dû,
Grisolant dans l’azur, son bonheur éperdu.

Les tiroirs

Les briques des hauts murs du labyrinthe sont
Des tiroirs à secret gravés d’un écusson,
Différent pour chacun. Le contenu se cache
Inviolé dans le creux… Que jamais nul ne sache.

D’une rive

Nous restâmes longtemps assis sur le rivage,
À regarder le flot de la rivière sage
Enchantant le silence, alors, pareillement
De la première étoile et du noir firmament.

Où va le souffle ?

Le travail peu à peu se fond dans l’univers
Quand l’intention s’efface ou se perd à travers…
Ma joie d’être s’emballe. Ô combien se dénude
Alors la vérité ! Mon souffle est gratitude.

Brun

Le vent s’est emparé d’un drapeau sans couleur
Flottant au bout d’un mat, dans un jardin sans fleur.
Puis il s’est acharné sur les tristes figures…
Au fond des yeux le brun semblait le seul augure.

Mots de sable

Il allait à la plage et du bout de sa canne
Écrivait quelques vers sur la rive océane,
Ainsi le flot montant aurait tout effacé
De son poème quand il serait repassé…

Errants

La folie s’était emparée de mes compères
À l’orée du taillis qui couvrait l’ossuaire.
Ils tenaient à la main leur téléphone-écran,
Ne devinant pas l’ombre insane des errants…

Entrée

Je lissai de la main ma chemise pouilleuse
Afin de lui donner une apparence heureuse
Et rentrai dans le hall aux parois décorées.
Le poison du mépris coulait dans l’air doré.

Visions

Quelques visions d’antan, dans les ombres me viennent,
Un sourire perdu, des reflets d’obsidienne,
Un foulard qui s’envole, triste, aux vents marauds.
Mon destin se complaît aux cartes du Tarot.

Fidèle

Un pied de myosotis sauvage est apparu,
Dans ce coin de jardin, cher à mes disparus.
Je suis resté longtemps, agenouillé dans l’herbe,
À chuchoter aux fleurs… cinq pétales superbes.

Fanal

Aux confins de l’espace lent de ma conscience,
Un fanal ancien tremblote et se balance,
Est-ce un signal d’alerte, une invite à venir ?
Je vais laisser le temps faire, me racornir.

Terreau

Le tissu qui se tend, fait d’ombre et de lumière,
Enveloppe, élégant, la grâce singulière
Où l’ordre du chaos, tangible, se nourrit.
Nous sommes le terreau d’un parterre fleuri.

Ruisseau

Je rêve d’un ruisseau dont l’eau fraîche babille,
Un jour de fin d’été, quand tu te déshabilles
En riant sous le dais des grands saules pleureurs.
Le vent se joue de nous. Volage est le bonheur.

Reflux

La chaleur de ma peau s’en va, fuite spectrale,
Au loin, vers la coupole de la cathédrale
Où les anges lassés laissent venir le flot
Sans ciller d’un duvet. Mon être est bien falot.

Pas léger

Le plancher de ma chambre est d’une platitude !
Impossible avec lui d’échanger. D’habitude,
Il grince quand je passe. Or, ce soir, pas un bruit,
Serais-je aussi léger qu’un fantôme à minuit ?

Ver

Le ver de terre dort, la taupe se désole,
Elle le repère au bruit qu’il fait quand il bricole
Et peint ses galeries de mucus enjoué.
Le vers de terre dort. C’est un être doué.

Indécise

La mine irrésolue, le geste qui s’étend,
Tu déroules ta vie, barque sur un étang,
Princesse au fil de l’eau, sans royaume, sans rames
Et, la laissant filer, les rides font le drame…

Milieu

Chemin faisant, la nuit levait l’armée des ombres,
Et je marchais recru, défait, la mine sombre,
Oubliant jusqu’au nom des routes et des lieux.
Je n’avais pas trouvé le chemin du milieu…

Vestibule

Je me retrouve seul dans l’étroit vestibule,
Au mur, le papier peint, dans ma frayeur, ondule,
Et ses lianes brunies cherchent à me saisir…
Au-delà de l’entrée se cache le plaisir.

Plongée

Ce monde a la rondeur subtile du néant,
Je m’y suis enfoncé comme dans l’océan,
Sans air, mais dans un temps singulier, immobile,
Les méduses sont là, palpitantes, fragiles.

Au détour

Je titubais, transi, dans la foule sans rênes,
Essayant d’éviter l’odieux chant des sirènes,
Et votre face pâle, au détour d’un pilier,
Fit que je restait coi, tandis que vous hurliez.

À la peine

Rue des pénitents gris, j’ai gravi, lent, les marches
En quête d’un navire singulier, d’une arche,
Élevant mon corps las, sans la moindre vigueur,
Hors des palpitations sauvages de mon cœur.

Foulard de soie

Ce foulard de soie bleue fluide comme une eau
Couvrait si joliment tes épaules quand nos
Mains le firent glisser, adorable cascade,
Et la caresse fit plus d’effet qu’une aubade…

Conditionnel

J’aurais pu, j’aurais dû, le conditionnel brûle
Un à un mes vaisseaux de paille ridicules.
Alors la mer immense et profonde m’étreint,
Les baleines perdues pleurent leur chant serein.

De papier

Ma maison de papier cahote, sur le sable,
En tous points tatouée de mille mots pendables,
Et j’y vis, dans l’oisive tranche de mon temps,
Derrière un éventail, cachant mon cœur battant.

Diapos

J’ai repassé tout un lot de diapositives
Et laissé ma mémoire aller à la dérive,
Interrogeant tous ces visages que j’aimais…
Pas un n’a répondu. Le silence. À jamais.

Béton

Le béton gris des murs aveugles me fascine
Et de plus près, de quelque façon, je devine
Un sens occulte à l’agencement de ses grains,
Me révélant, sans âme, tout ce que je crains…

Labour

Quand je traversais le labour, le sol me dit
Soudain de faire demi-tour. Abasourdi,
Je vis les sillons autrement : des plaies béantes
Éreintant ma terre crûment, pour quelque rente.

Sous le soleil

Sous les rais de soleil, je m’étale, docile,
Oubliant jusqu’à la seconde difficile
Où ton silence emplit l’été jusqu’à l’hiver,
Mais maintenant la vie renaît. J’écris des vers.

Rhizomes

Au pied du noir donjon, les rhizomes d’orties
Souterrainement font des entrées, des sorties
Sans craindre les moellons épais de roche altière.
La vie a toujours su comment percer la pierre.

Louange

Quand la louange vint, telle une résurgence
Après un chemin noir, un flot de transparence
Où les mots scintillaient comme des gouttes d’eau,
D’évidence la joie remplaça le fardeau.

Salle de garde

Les rideaux cachent mal la lumière blafarde
Insinuant des rais, dans la salle de garde
Où je suis allongé, d’avoir trop guerroyé.
Les armes sont ternies, la triste chair ployée.

Basse tension

Tout se tend, tout se tord sous les forces contraires
Avec cette impossible marche du mystère…
Exalté, dans le pré je m’élance pieds nus,
Le nez vers le zénith, bien au-delà des nues.

Antenne

L’antenne déployée singulièrement songe
À tout ce qu’elle émet, ces relents de mensonge
Et son métal essaie dans le vent de chanter
Ce que le ciel plus haut verse de vérité.

Outre-geôle

Y dorment plus de livres que de détenus,
Dans cette geôle noire où je suis parvenu.
Tant de pages amies me soufflent des sésames
Éparpillant les murs qui étouffent mon âme.

Peur de l’eau

C’est un jour de mousson, les averses crépitent,
Arrogantes, sur la toiture d’éverite.
Un livre s’est blotti sous un vieil abat-jour
De peur que l’eau ne vienne abîmer ses atours.

Flacon

Le flacon ne dit pas qu’amère est la liqueur
Qui coule goutte à goutte, en imprégnant le cœur,
Qu’il laisse au fond de soi le goût de la défaite
Et pousse tout autant vers l’ombre de la fête.

Songe noir

La traque bat son plein (suis-je chasseur ou proie ?)
La fin du jour me point, je suis vêtu d’effroi,
J’avance, pieds sanglants, des lames d’air me cinglent,
Ego me flagellant, dans un sarrau d’épingles…

Voie incertaine

J’avance, étonnamment, poursuivant tes brisées,
Vacillant, mais debout, sous le ciel écrasé,
Cherchant coûte que coûte à semer l’espérance
Afin d’aller, serein, tirer ma révérence.

Supplément d’âme

En roulant ce jour-là, l’entour prit consistance,
Et ce faisant, le monde entier fut dans la danse,
Oiseau, caillou, poussière, insecte, et l’air léger,
Tout était dans le vrai… mon âme en fut changée.

Do

Des notes enfilées comme des perles rares,
Il n’en faudrait garder, que peu, de sa guitare,
Ainsi cette dernière, un jour gris de fado,
Qui battait comme un cœur… on la disait un do.

Halte-là

C’était le terminus, le havre tant voulu,
Dans l’océan des jours, la planche de salut.
La fée qui me reçut brandit une baguette
Et me fit écureuil… je vis ses yeux noisette.

Les bouches du chemin

Bordé de soupiraux, le chemin me fascine.
Ils ont le bord étroit des bouches assassines.
En hiver, ils exhalent des airs pestilents,
Parfois un chat terreux s’en échappe en hurlant.

Filet

Je me sentais réseau, lignes et points mêlés,
Réparti dans l’espace-temps, comme étalé,
N’ayant pas de milieu, de symétrie, de centre,
Et la vie palpitait, suave, charnelle… entre.

Qui-vive

Je m’assois sur un banc, la pose silencieuse,
À contempler les gens, dans cette vue oiseuse,
Accrochés du regard aux funestes écrans…
La vie se manifeste ailleurs, c’est effarant.

Le chat du mur

Ce chat, libre, perché, me suit de son regard,
Je m’arrête, pensif, ayant quelques égards,
Histoire d’échanger des vérités premières,
Hélas, en « chat », je manque de vocabulaire.

Trahison

Ni vibration, ni temps, ni mouvement, ni forme,
Un espace où l’infime a dépassé l’énorme.
Ô ce manque de mots qui rudement m’afflige,
À ne pouvoir nommer ce que l’âme rédige !

Kaléidoscope

Le grillage coupait le monde en bouts égaux,
Des tessons lumineux comme des berlingots,
De gens, de chats, de bus, de ciel et de verdure,
Où je m’éparpillais en autant de brisures…

Par la main

Nous nous tenons la main (qui tient la main de l’autre ?)
Une infime portion de nous se fait apôtre
À dire, par la peau, des élans de confiance,
Un infime frisson du creux de ce silence.

Tic attaque

C’est le tic-tac qui dégénère après minuit,
La sarabande des secondes qui m’ennuie,
Les dévoreuses dents du temps. Je m’exaspère
À trouver l’air débarrassé de ses repères.

Mortelle

Sous le retrait boueux d’une porte cochère,
Aux abois, je me tus quand vous passâtes, fière,
En claquant, singuliers, vos talons de métal.
Les pavés renvoyaient un décompte létal.

Annales

Les registres de cuir sont rongés par les ans,
L’or des à-plats terni, parfois disparaissant
Sous la poussière floue qui tombe des arcades.
Une meute de noms s’y cache, en embuscade.

Déserteur

Incidemment posé sur une marguerite,
Un papillon contemple au soleil la susdite,
Et la tache solaire oblique avec lenteur.
Soudain le papillon s’envole… déserteur.

Jour rose

Rose est le jour qui rase, un frais matin d’hiver.
Les nuages sont bas, je les vois à l’envers,
Promesse de cristaux, tels des frissons de neige…
Ainsi l’aube m’enchâsse en un lent sortilège.

Pieds sur terre

La terre est en poussière et la cendre pareille
(empreintes de mes pas tant que le vent sommeille)
Au point que la richesse est pleine tout en bas.
J’y vais, nuque baissée… ne pas presser le pas.

Sous l'arbre

J’étais au pied de l’arbre et l’arbre s’étendait,
Mon émotion filait, tranquille, sous le dais
Rempli d’oiseaux cachés à l’humeur volubile.
La vie, la vie toujours, qui joyeuse jubile.

Derrière la porte

Le panier fut posé devant la porte close,
Il contenait des fruits, des légumes, des roses.
Autour, silencieux, tous les voisins guettaient.
L’espoir après mille ans, qu’elle s’ouvre, restait.

Pli bleu

J’ai couché ma pensée sur du papier avion,
Pour qu’elle soit légère, avec un bleu crayon.
Jamais avion ne vit ces paroles câlines,
Ni ma langue bleuie de tant lécher la mine…

Lueurs

Ton silence a l’obscur des fosses océanes,
Où lentement je plonge, en méduse diaphane…
Amoureux, je tressaille au rythme de ton cœur
Et bientôt tes pensées me caressent… lueurs.

Nuit féline

La nuit se fait panthère au milieu du décor,
Elle étale à plaisir la beauté de son corps
De ténèbres, lové sous l’éclat des étoiles…
Et j’arpente l’espace, englué dans sa toile.

Coupe d’or

Insolente corolle, un peu de ton éclat
Vint dorer ma peau blême, un teint que tu volas
Sans doute au dieu Soleil, qui se pare d’orange,
Ému par les soupirs, la musique des anges.

Sur le toit

Il beuglait sur le toit : « Qu’on me donne des ailes ! »
Espérant quelque intervention surnaturelle.
Un nuage au-dessus, sans rancune, passait.
Moi, gamin dans l’azur, sans fin, je rêvassais…

Grandeur

Le palais fut bâti de briquettes d’argile
Un jour, il fut rasé. La grandeur est fragile.
Et toujours la Nature, au bout du compte, vainc.
Je marche sans frayeur, et tous mes pas sont vains.

Neigeux

C’est la neige qui gagne, elle a couvert la terre
Et sa blancheur laiteuse, épaisse, délétère,
Abolit la distance entre le ciel et nous :
Cette poudreuse pousse à nous mettre à genoux.

Focus

Je fixe longuement cette paroi de livres,
Et cherche la distance idéale pour suivre
Expressément le fil qui les lie de facto.
Je focalise enfin : le même vibrato.

Marguerite

Autour de moi, plein de marguerites des prés,
Là-haut l’azur, passé l’aube, désempourpré,
Tout me pousse à cueillir ma joie, mes fleurs sauvages
En un bouquet que je t’offre sur un nuage.

Rouge sang

Sous ta peau le sang roule en larmes de carmin,
Son tempo me chamboule au charme de tes mains.
Que la vie se consume aussi lente que belle !
À décrire cela, tous les mots se rebellent…

Du tout

J’ai cherché les orées, les frontières, les bords,
Histoire de cerner le dedans du dehors,
Mais le monde est fractal au point qu’il m’en empêche.
Ô ces lignes brisées qui n’offrent nulle brèche !

Dans le tableau

Je restais fasciné, perdu dans le tableau,
Bientôt je vis surgir la pointe du pinceau,
Puis la main le tenant, main précise, farouche,
Enfin je vis le peintre esquissant des retouches…

Continu

L’espace est granulaire et je suis continu,
Seul le tempo fournit du sens à l’inconnu.
Je me laisse bercer par de vides eaux vives
Et bientôt je rejoins… ou l’une ou l’autre rive.

De juste

La musique a tout bu de tes paroles vraies,
Comment vais-je trier le bon grain de l’ivraie ?
Le monde est une vague qui sasse et ressasse,
Érodant tes mots-sable, effaçant toute trace.

Quelques cordes

Comment tes vieilles mains sur la guitare m’ont
Tiré des larmes bleues à l’insu des démons,
Tandis que je marchais dans de viles ruelles,
En jouant à la Vie comme un jeu de marelle ?

Roitelet

Je frémis sous les coups de la folie qui règne
Et mes yeux effarés plus que tout autres saignent
À ne savoir pourquoi le chaos se répand.
Quelque note d’espoir ? Ce roitelet pimpant…

Topo

Que la topologie des formes de son corps
Donne à l’espace autour des frissons, passe encor,
Mais de ses dimensions, qu’aucune conjecture
Ici n’aille tenter de donner la nature.

Deux côtés

Parfois de ce côté, les regards sont tendus
Comme des fines lames. Continent perdu.
De l’autre, les regards sont des mains qui s’enlacent,
Et de ce côté-là, l’amour jamais ne lasse…

Heure d’été

J’ai croisé hier le lapin blanc dans sa garenne,
Avec à ses trousses les soldats de la Reine.
« À mort celui qui ne veut pas tuer le temps ! »
« C’est déjà fait ! » crie le chapelier, repentant…

Scie

C’est fou ce qu’une scie s’accroche et me serine,
Agitant follement ses notes intestines
Alors que mon esprit cherche à danser ailleurs…
Le silence est venu comme s’ouvre une fleur.

Domicide

Les gravats du couloir partout me font obstacle.
L’imaginaire ment. Pas l’ombre d’un miracle.
Enfant, j’avais ici vécu quelques années,
Mais tout a dépéri. Les roses sont fanées.

Les sens

L’harmonie se révèle une seconde à moi,
Tous les sens étonnés s’abîment dans l’émoi.
Est-ce un alignement singulier de planètes ?
Ou l’âme est-elle en train de faire place nette ?

Chat rêveur

Le village est un chat qui ronronne rêveur
Sur un flanc de colline où les vergers en fleurs
Bourdonnent au soleil. L’espérance caresse
Infiniment la peau. Dans ce temps, rien ne presse.

Couleur de rue

Étrange cette rue qui soudain se colore,
Un éclat de soleil et le chat qui se dore ?
Le jaune généreux d’un forsythia fleuri ?
Non. Juste ton passage et tes yeux qui sourient.

Que fétus

De l’encre la plus noire, aux sombres jours, j’écris
Sur ce papier rugueux que jamais tu n’as pris,
Des mots amers, brûlants comme fétus de paille,
Éclats d’un sentiment qu’à peine né, tu railles…

Hache

Le bois laqué de l’étui dort sur le carreau.
Le soulevant, je vois la hache du bourreau.
Dans cette image, étrangement, la nuit s’achève
En parabole d’une vie qui trop est brève.

Ma guitare

J’ai poncé le grain fin du bois sans m’arrêter,
Passant de temps en temps ma paume impatientée,
La douceur entre nous se fait plus caressante.
Harmonique, la table soudain sonne et chante.

Tapis rouge

Un rouge de tapis, de pétale ou de sang ?
La différence est mince, au regard des passants.
Je change de trottoir et jauge les vitrines.
Au royaume de l’or, colère, je m’échine.

Roulotte

La roulotte cahote dans le chemin creux,
Le cheval s’ensauvage aux passages ombreux,
Tu ris quand les pinsons tout affolés frigottent
Et que tout près de toi je lutine et chuchote.

Le grand vent

Aurais-je dû tenir ce qu’efface le temps ?
Rien n’arrête jamais le feu de l’harmattan…
Le vertige me point, de ce que je m’accroche
Encore à tout cela. Je vais vider mes poches.

Subito

Le silence a des couleurs, des odeurs subtiles…
Il faudrait qu’il n’y ait pas de mots inutiles.
Encore un peu reviendra la muse Érato,
Si je mets à nu mes mots d’amour subito.

De briques

Sous la patine grise, elles furent rosées,
Les briques de la tour, ruines superposées.
Le vent s’amuse, fol, passant les ouvertures
Et remonte les cris des anciennes tortures.

Tout au long

Docile, le lacet suit un petit torrent
Qui glougloute joyeux. Je vais indifférent,
L’automatisme lent, l’inertie minérale,
Où l’ombre me précède, au souffle, je pédale.

Soleil noir

J’orbite sans frayeur autour d’un soleil noir,
Impossible navire au creux d’un entonnoir,
Je vole sans voler, l’éther me désagrège
Et je goûte au néant, le temps du sortilège.

Iceberg

Il navigue, montagne, au cœur glacé, gris-bleu,
Lentement, sans sillage, énorme, fabuleux,
Son cap est gouverné par la force océane,
Inexorablement… L’homme, étonné, ricane.

La vie, l’envie

À saisir au tournant, l’envie, l’envie de vivre,
Un sentiment commun qui fait que l’on s’enivre,
Au point de la risquer, la vie, pour la pousser
Au pied du mur enfin, la prier, l’enlacer…

La nuit

Je suis d’ombre et de vent, disait la nuit. Debout,
Je palpais les écorces et les trous de hiboux,
Mon âme voletait dans la ramée, fébrile,
Ainsi perdu, j’allais sur la mousse fragile.

Versicolore

Des poudres de couleur s’empilaient sur la table,
Autant que tu voulais, sur ta peau désirable…
Et soudain, je perdis le compte des couleurs,
Ton corps impressionniste en un bouquet de fleurs.

Masques

C’était un défilé d’énigmatiques masques
Et, gisant au-dessous, d’une pâleur fantasque,
Une armée de visages durs, traits repoussoirs,
Qui avançaient sans bruit, dans le déni du soir.

La fontaine

D’une bouche sculptée, l’eau coule à la fontaine
Et le bronze dégorge cette eau souterraine
Avec une musique douce chaque été,
Jamais ici les gouttes ne seront comptées.

Oolong

Au matin, la montagne dévêtit sa brume,
Encore somnolente, et de ses flancs nous eûmes
Un tel ravissement, dans les bleus et les verts,
Que les feuilles de thé nous firent des yeux pers.

Bois frisson

Dans ce coin de paradis, sous les feuilles mortes,
Les pervenches de mon cœur en hélice sortent,
Mille corolles d’azur poussent le frisson
D’un printemps qui se réveille au chant du pinson.

Forges

J’ai senti qu’il fallait ici bâtir les forges,
Au pied de la montagne, au creux de cette gorge
Où la neste ruait, près de tous ces beaux fûts
De chêne. Ainsi le fer se plierait sans refus.

Harassés

Dans la sente boueuse allait une roulotte,
Aux rênes se tenait une vieille falote
Enfouie sous l’amas de ses hardes rancies,
Tandis que les chevaux, las, demandaient merci.

Errantes lueurs

La clarté ne sied pas à mes rayons de livres.
Il me faut des recoins obscurs, que je m’enivre,
Impuissant, du mystère éparpillé des mots,
Sous l’éclat vacillant de mes yeux de grimaud.

Canada

Dans le panier de bois, j’ai mis les pommes grises.
À toute heure, je vais en croquer, à ma guise,
Imaginant les fleurs blanches épanouies,
Sous un bourdonnement d’abeilles inouï…

Mes pensées

Mes pensées sont parties, dispersées dans l’azur,
J’ai voulu les poursuivre et je n’étais pas sûr,
Ravi par la beauté de leur vol éphémère,
En dessous, moi, pesant, vérité douce-amère…

Lithops

De ces premières fois qui jalonnent la vie,
Je cherche le portail, dans un désert d’envie.
Une plante-caillou fait que mon cœur palpite
Une larme et la fleur s’épanouit, pépite !

L’entre-temps

Que le temps se dilate entre chaque seconde !
Un moment sans frayeur, en lisière des mondes,
Accompagne ma peine, au point que l’océan
Me ravit de son eau jusque dans mon néant.

L’air de n’être

La pente du chemin m’oblige à ralentir,
Les cailloux sont légions, pierres de repentir,
Mes pieds semblent si loin, même l’air me résiste…
Et je prise l’instant de douter que j’existe.

Fraise

Une fraise des bois vit cachée sous sa feuille,
Un peu rose, fragile, à l’abri de la cueille.
Un écureuil menu se faufile à côté,
La laisse encor mûrir… le plaisir va chanter.

Un temps

Ce n’est pas que j’attende autre chose du temps,
Qu’il passe, mais joyeux, mais à tambour battant,
Dans une écume blanche ou dorée, lumineuse,
Où je serai poisson dans l’onde qui se creuse.

Fragmentation

Je me suis assoupi. Soudain, j’entends la foule
Agressive qui piaille et me pique et m’écroule.
Impuissant, dans cette antichambre de l’enfer,
Mon esprit se fragmente autant qu’il a souffert.

Des couleurs

La couleur envahit les murs de l’hôpital.
L’espoir est sur les murs, cacher l’ordre létal.
Même les draps bleu ciel peignent d’azur la peine.
Ici, qu’un doux linceul dans sa blancheur me prenne.

Vieil or

Le cœur et la vertu, ces mots gravés au creux
D’un anneau de vieil or me firent valeureux,
Le temps qu’une fourmi traverse le passage…
Ensuite ? Rien de plus, je regagnais ma cage.

Paillettes

Quelques paillettes vives, folles s’entremêlent
À peine soulevées par une brise belle…
Assis sur le pavé, j’ai leur éclat dans l’œil
Et sur ma peau. Je suis proche d’un autre seuil.

Fine semence

L’idée, le sentiment sont choses passagères,
À peine ont-ils germé qu’ils deviennent fougères
Étouffant la levée de semis ténus, lents,
Donnant tout à l’amour, de leurs pétales blancs.

Amère ironie

D’ordinaire moqueur, un geai plaintif m’accueille
À l’orée du bois noir où gémissent les feuilles :
Il est mort son petit, sur la roche, posé,
Là où, de grive ou merle, il a tant d’œufs brisé…

Le fil des jours

Au fil gluant des jours, les événements collent,
Insectes attirés par le temps qui s’affole,
Et le fil lourdement, fini par retomber.
La terre, généreuse, est là pour absorber.

Air léger

L’air ténu me transporte au-delà de mon corps,
Comme  un scintillement… je fonds dans le décor.
Un coup de vent fera peut-être que je vole,
À moins que tout cela ne soit que des paroles…

Un chat et moi

Non, je n’ai pas le temps. La vie se décompose,
Une mise en facteurs (parenthèses moroses).
Un chat qui n’en sait rien me regarde, matois,
Puis disparaît, tandis que, vain, je m’apitoie…

Dernières fées

Je voyage de nuit sur les flancs des montagnes,
En suivant les chemins muletiers. J’accompagne,
Incertain, les dernières fées longeant les bois,
Nymphes désenchantées, sans espoir, aux abois.

Centrifuge

C’était le mouvement peut-être, qui m’avait
Collé contre la vitre, où les rails s’incurvaient.
L’un en face de l’autre, identiques nous fûmes,
Un instant pris entre le marteau et l’enclume.

L’eau sur la peau

La cascade lutine, avec ses mains liquides
Une roche ridée, minérale, impavide,
Et joyeuse tu cries, ta pudeur ingénue,
Souriante, sous l’eau, ravie d’être enfin nue.

Merle noir

Triste merle perché, tu flûtes sans espoir,
Cherchant ta belle où l’homme ne saurait la voir,
Dans l’outre-ciel ému de l’au-delà des ailes,
Encore tu gémis de tant te soucier d’elle…

Sédimentaire

Toujours, jamais, souvent, la vie qui se démène,
En ondes soulevant tous les ponts de la Seine,
Et l’océan, là-bas, dans l’horizon du bleu,
Sédimentant nos vies d’un flot méticuleux.

Mots écrins

Une source de fée, surgie dans la clairière ?
Au sein d’une forêt, quelque sente première ?
Avec ces mots choisis, tissés comme des brins,
Je donnais à ma joie de te voir, un écrin.

Vie en pente

Je vis cette descente où la conscience effleure,
En un instant plus grand que n’importe quelle heure,
Un sentiment de mort imminente, enchanté.
La pente dans ce sens ? La vie réorientée…

Désancré

Minime est le tourment de n’être pas ancré,
Dans ce lieu que le corps s’accapare, sacré.
L’icône dévoilée, la bougie qui tremblote,
Est-ce l’allégorie d’un avion sans pilote ?

Fleurir

Fut-il rendu, l’hommage, en déposant ces fleurs,
Sur la pierre tombale grise, ces couleurs ?
Je ne sais. Les graviers gémissaient sous les bottes.
Une bise glacée chassait les peurs dévotes.

Jonquille

De tes atours parée, mon imagination
Te fait reine du jour, de ta jaune intention
D’éclabousser le ciel, de tes belles corolles
Annonçant le printemps, prodigalité folle.

Stryges

Fermant les yeux, j’entends le piaillement des stryges,
Et mes pas incertains, sur le pavé, se figent
Au pied de la muraille immense du clocher.
Je dois me taire et fuir, les bêtes sont lâchées.

Sang amer

Tête masquée de cuir, mains revêtues d’acier,
La déesse Vengeance va d’un pas princier
Quérir auprès de lui, son prix, vieille coutume,
Un sang dont la couleur se tinte d’amertume.

Des maîtres

Il a suffi de quelques pas sur le gazon,
Pour que je sente, au plus enfoui, le mien poison,
Qui diffusait dans les obscures voies de l’être.
À mes pieds, terre et herbe sont d’assurés maîtres.

Des visages

Un rictus ? Un sourire ? Une infime nuance.
Étions-nous obligés de rentrer dans la danse,
Où l’égo se mesure à l’égo, vain défi ?
Je ne suis pas au fait de ces chorégraphies.

À l’oiseau

De tes ailes moirées, tu brasses l’univers,
Foncées comme l’été, claires comme l’hiver.
Tu voles dans l’azur. Mais moi, je n’ai pas d’ailes,
Une âme un peu brisée qui rêve d’hirondelle…

La part des anges

À trop peser le pour et le contre j’oublie
Que mon esprit de vin se mélange à la lie.
Je rêve et je dérive où mon âme dérange
Au point qu’à trop peser, s’enfuit la part des anges.

Sabot

Le sabot tourbillonne et vrombit, triomphant,
À la place voulue, sans faute. Un jeu d’enfant.
Je revois votre mine espiègle en cette classe,
Et nous… interrogeant notre jeunesse lasse.

Belette

La belette se fige à côté de la poule.
Une éternité passe où les secondes coulent.
Un rien ferait la mort, un mouvement subtil,
Mais la belette sort sans tuer… Qu’y a-t-il ?

Remous

Le lit devint sueur, la sueur devint mer
Et mon rêve fluait vers un tropisme amer.
Mon radeau dérivait, dans un courant d’absence
Où seuls quelques remous portaient la connaissance.

Charpente

Sous le toit, la charpente a des poutres tendues
Comme les innocentes cordes des pendus.
Quelques rais de soleil sur la poussière tombent
Et mon angoisse fait s’envoler les colombes.

Sous l’écorce

La sève coule lente en deçà de l’écorce,
Épuisée par le froid qui maraude et qui force,
Entre les craquelures fines, son chemin.
Sur l’arbre je me penche et m’appuie des deux mains.

Dans le faisceau

Le faisceau de la lampe éclaire le jardin,
Les feuilles du noyer semblent grises. Soudain,
Tout se dérobe. Un peu de l’univers bascule.
Une flopée d’étoiles meurt. Et moi ? Je brûle.

Ghetto

Au bout du corridor veille la sentinelle,
Immobile, sans voix, minérale ou charnelle,
Il ne sait pas s’il doit quitter le vieux château :
La vie, la mort, après l’enceinte du ghetto ?

Côte

Juste au bord de la mer, là où le vent se rue,
Chargé d’embruns, de sel, quand le corps est recru,
Je m’adosse aux rochers, saturé d’espérance,
Ému de la beauté sauvage de la transe.

Singulière courbe

La courbe sort truffée de singularités.
J’y plonge goulûment, cherchant la vérité
Frétillante sous l’onde irrésolue des nombres.
Un instant je perçois le flux qui désencombre.

Entresol

Il me fallait savoir. La terre avait un goût
De sang, de sel mêlé. Je me remis debout.
J’entendis murmurer. La réponse était proche,
Un peu comme l’humus dans le sol, puis la roche.

Dans les murs

La muse m’enfermait dans la chambre des mots,
Pour me punir d’avoir été souvent grimaud.
J’y restais. Sur les murs, tracées à la sanguine,
Un lacis de paroles nues comme des ruines.

Sa rose

Il a posé la rose au milieu du gazon,
Juste au pied d’une stèle, ornée d’un vieux blason.
La pierre est fissurée. Corps et âme vacillent.
Un merle peine au vent, qui lance une ou deux trilles.

Broyées

Entre les mots-galets, quelques mauves pétales
Exsudent les parfums d’une liqueur létale.
Il ne reste plus rien des fleurs de la passion,
Peut-être un souvenir. Ô la lente érosion…

Bas-côté

Le gyrophare tournicote en pinceaux bleus,
Étendu sur le sol, j’apprécie le moelleux
De l’herbe. J’entends tout de leurs vaines paroles.
Enfin la nuit me prend quand mon âme s’envole.

Mots noyés

Ma lettre se perdait dans des flots d’encre noire
Où mes mots se noyaient, seuls, sombre mémoire.
Ils suivaient le courant, le tumulte du temps.
Je devais les sauver, rien de plus éreintant.

Sang

Peu à peu le silence épais de la musique
Étouffait le tempo, la ligne mélodique.
En sursaut, je sortis de ma torpeur. Le sang
Battait fort la mesure… on ne peut vivre sans.

Nonnette

Du ciel, assassinée, la nonnette a fini,
Pantelante dépouille, à deux pas de son nid.
Je l’ai prise à deux mains, dans un creux de prière,
Espérant qu’elle vive… insensée marche arrière.

Le mensonge

Le mensonge stagnait autour comme une eau sale,
Inondant les esprits, force paradoxale,
Au point que l’air manquait pour sauver la raison.
Je fuis dans l’air glacial, antidote au poison.

Indienne

Ta chemise en indienne avait des tons de jade,
Et ta foulée dansée, flottante, sur l’estrade
Accélérait mon cœur et mon souffle pareil,
Moi, plante d’ombre, sous ce palpitant soleil.

Herbe

Me prélassant dans l’herbe, (au-dessus, voûte bleue)
J’envisage le temps comme un corps grumeleux,
Que le moindre brin d’herbe est bien plus admirable,
Et mon égo se perd dans le vert innombrable…

Ruines spectrales

La ferme aux briques rouges a des pièces cachées,
Dans des ailes perdues, que nul n’a recherchées.
Quand souffle un vent rageur qui soulève et emporte,
Autour des murs fantômes, mille feuilles mortes…

Bambous

Après la fleur, je les ai vus, restant debout,
Bruissant au vent, comme les blés, jaunes bambous.
Le ruisselet, lové contre eux, coule et roucoule
Un peu de vie, de vert toujours autour s’enroule.

La photo ment

Le kiosque tremble un peu sous les gifles du vent,
L’homme se cache au fond, la cliente est devant,
Son regard foudroyant l’un de ces magazines
Où sa photo la met au rang de gourgandine.

Tornade

La colonne glacée, conique, s’envenime.
Elle avale goulue les bêtes anonymes
Et les gens effarés voient le ciel autrement,
Pris comme la limaille au-dessous d’un aimant.

L’aura

Dans le reflet laiteux des carreaux de faïence,
Elle essayait de voir cette impalpable danse,
Autour de son corps las, d’une aura bleu-violet…
Qu’avait-elle tenu pour vrai de ce ballet ?

L’effet mer

La mer lèche sans fin le sable du rivage,
Et je reste, perdu. Le vent ce soir fait rage,
Attisant mon ardeur. Il faut dans ce décor
Que je retrouve enfin la trace de ton corps.

Sentiers

Sur les sentiers glacés que suivent les défunts,
Jaillissent sans arrêt de lancinants parfums.
Ils se penchent sur l’or ténu de ces fragrances
Et les souvenirs fluent, comme autant d’espérances.

Fado

Sur la table de sa guitare, il tape avec
Ses doigts calleux pour sa douleur, d’un rythme sec.
Rien n’est pareil, depuis le temps qu’elle promène
Ailleurs sa grâce… et sa guitare dit sa peine.

Rire aux armes

La menace en essaim, s’insinue dans le val,
Mais nul ne s’en occupe en ce lieu médiéval.
Ici la vie combat la noirceur par le rire
Et la vague mauvaise, vaincue, se retire.

Écoute

Le singulier vaisseau fonce dans l’éther noir
Entre les mondes habités, comme un jaguar,
Emportant avec lui la puissance du doute.
Et sur Terre, attentifs, quelques enfants l’écoutent.

De feu

Les bûches sont tordues par le feu qui dévore
Et la chaleur répand ses ondes, revigore
Incontinent les os et les muscles transis.
Ce silence habité toujours me dessaisit.

Réunification

J’ai laissé pénétrer le corps dans ma vision,
L’humaine chair me fait le coup de l’invasion.
L’identité se tait, tout se réorganise
Et les échelles sont à l’Univers, soumises.