Pâtes

Les pâtes du dîner ont des formes coquettes,
Un peu de beurre, d’ail, ce sont les coquillettes,
Avec aussi, bien sûr, un peu de parmesan…
Je déguste léger le fil du temps présent.

Les incréés

J’ai vu dans la forêt les livres imprimés,
Dans les ruisseaux jolis les flots envenimés
Des encres pas encor déposées sur les pages,
Autant de pensées nues se tordant avec rage.

À venir

Chacun nous nous assîmes, les sièges grincèrent,
Autant que le fardeau des paroles sincères,
Inévitables, qui allaient anéantir,
Le fil ténu des jours, des bonheurs à venir.

Facteurs premiers

Je m’étais fourvoyé bien au-delà du temps,
Les nuages filaient en lambeaux inquiétants,
Comment différencier l’aube du crépuscule ?
L’infini ne laissa de moi que particules…

En moi

J’entends ce rire clair encore au ciel d’orient,
Ton panache vibrait. Moi, le nain souriant,
Je courais la campagne en quête d’aventure
Et la vie s’étirait, loin des peines futures.

Codex

Sous l’éclat jaune et doux de l’huile du quinquet,
Je tournais lentement les pages qui craquaient,
Les siècles frémissaient sous les étranges signes
Et je vis une main fantôme entre les lignes.

Limites

Le stylo se rebelle au creux de mes doigts gourds,
(J’avais prévu d’écrire un poème de cour
Où l’on flatte les gens qui en retour encensent)
Il me faut de ce pas tirer la révérence.

Autour

Autour de moi, ce soir, les esprits se rassemblent,
Étonnamment craintifs, bruissant comme des trembles,
Ils chuchotent entre eux, ne sachant le côté
De la vie, de la mort, qu’ils doivent emprunter.

Tympans

Le silence toujours entre deux bruits s’invite,
Opiniâtre, il attend que l’âme soit séduite.
Autour, la mélodie du monde se répand.
Les portes de la vie sont comme les tympans.

Brin d’herbe

 L’insolite beauté d’un brin d’herbe me hante.
En ses détails, mon âme pleure, pantelante,
Et cette joie me pousse au creux d’un temps subtil
Où la raison n’est plus qu’un parmi tant de fils.

La peur est brune

Il faut se défier, méfiance, manigance,
Autour rôdent des gens, des pros de la nuisance,
En dehors de soi-même aucune rédemption,
Ratatinons nos cœurs avec application.

Samovar

L’étrange samovar des rêves m’enténèbre
Et sa vapeur sinue dans l’air, signe funèbre.
Après, le thé brunit, lentement. Je le bois
Par petites gorgées. Mon cœur est aux abois.

Sur la rive

La nef est échouée sur la rive, muette
Et ses murs sont debout. Ses arches stupéfaites
Élancent vers le ciel leurs prières lassées.
Lentement les orties poussent leur avancée.

Esprit de l’eau

Les gouttelettes sont des points d’éternité
Que la chute disperse aux temps chauds de l’été.
Je tremble au bord de l’eau, de cette invraisemblance.
Il me semble que l’air y gagne… en transparence.

Ce qui fut

Sur le plâtre blafard, les lithos se pavanent,
Où des vaisseaux font face aux fureurs océanes.
Ici les employés ne les ont jamais vues,
Le présent s’est débarrassé de ce qui fut…

Plus bas

J’ai replié mes vers dans des sous-dimensions,
Dans le néant des mots flottant sans prétention,
Puis j’ai laissé la vie filer comme une eau fraîche
En quête d’un plus bas, vers des failles, des brèches.

Vol de rue

La peinture-miroir des voitures m’entraîne
Au-delà du trafic et des vaines sirènes ;
Un million de reflets s’y perdent sans retour.
Je me désincarcère et vole entre les tours.

Amère usine

Les souvenirs cachés sous la poussière dorment
Au creux de vieux engins, que les ombres déforment.
Un siècle que l’usine est arrêtée. J’entends
De sourds gémissements des souffrances d’antan.

De bois

L’édifice est de bois, pas un bout de métal :
Chêne, acajou, noyer, cèdre, ébène, santal
Menuisés finement… la quiétude m’inonde
Et pourtant je ne vois pas une âme à la ronde.

Maupas

Le ravin de Maupas s’éclaire lentement,
La lumière envahit la terre des serments…
Je les entends toujours chuchoter dans les ombres
Et sûrement les miens ne sont pas de ce nombre.

Impossible

L’âme noire est tapie derrière ses yeux verts,
Même son rire dit les rigueurs de l’hiver.
Un courant d’air violent fait claquer une porte.
Impossible d’aimer quand l’espérance est morte.

Couleur vagabonde

La sauge est défleurie, rêche au milieu des herbes,
À côté l’althéa déploie ses fleurs superbes.
Un même mauve bleu de l’une à l’autre tend,
La beauté se propage… et qu’importe le temps !

Ce maillot

C’est un maillot que je sais cousu de fils rouges,
Aux mailles étendues, selon la vie qui bouge,
Il n’est jamais pareil, il est déconcertant,
Nul ne peut l’enlever jusqu’à la mort… le temps.

Sur un chemin

Les cailloux sont en bas, les nuages en haut,
Je vais nonchalamment, le cœur entre deux eaux.
Je suis avec le vent, les sentiments volages,
Herbes et fleurs des champs s’inclinent au passage…

Prix

Toi ballerine, au corps fluet, comme tu danses,
Hautaine échine, sous le fouet de ta souffrance :
Es-tu jouet de la cadence, du mépris ?
Le temps m’effraie. Tant de violence pour un prix…

Œuvre au noir

Dans le miroir, je vois ta main sur mon épaule,
Une hallucination. Ton absence me frôle.
À présent, l’œuvre au noir s’achève lentement.
La veille se poursuit au creux d’un bois dormant.

Voie basse

La forêt m’encourage à quitter le chemin…
Que j’ose les halliers, les ronciers inhumains ?
Pourquoi laisser ainsi chair et sang comme traces ?
En douce dois-je aller en dessous… la voie basse ?

Macrophoto

Le myosotis, au photographe, susurra :
« Ton appareil n’est pas ce qui te servira
Pour retenir l’instant qui glisse, l’élégance,
Ensemble, nous sublimerons les apparences.

De gré

Ma volonté s’étend comme l’eau sur le sable,
Ou le sang, je ne sais (je n’en suis pas comptable),
Et le corps dans l’élan suit la route d’airain,
D’autres feux sont à l’œuvre… un monde souterrain.

Oublis

Mes oublis sont des nefs sur l’océan mémoire,
Ils voguent silencieux. Tendues, les voiles noires
Entraînent l’armada vers un sombre archipel.
Je sonde les courants. Le cap est sans appel.

Instant donné

Surtout, ne pas bouger, le pâturin se dresse,
Avec ses panicules fines de déesse,
Et craignant qu’il ne tremble, mine suspendue,
Je me fonds dans l’instant de la silhouette due…

En mauve et vert

J’aimais les mauves longs qui se mêlaient au vert,
Dans ces rêves lovés si loin de mes hivers…
Je marchais en forêt sur des sentes magiques
Où les feuilles dansaient en rondes nostalgiques.

Anodines

J’ai mis sur le papier mes pensées anodines,
Une encre bleue, des arabesques sibyllines,
En croyant les fourbir, j’ai simplement laissé
La vanité lustrer les choses insensées.

Hors vase

J’oublie. Les fleurs sont rouge sang. Rien ne m’oblige
À les laisser mourir, à sectionner les tiges,
À les voir dans un vase exhaler leur parfum,
Comme pour signifier qu’on a volé leur fin.

Griffe

À ma taille, enroulée, la corde pèse lourd,
La falaise a griffé ma cotte de velours,
La montagne partout, taciturne, me juge,
Insignifiant, je vais regagner mon refuge.

Des tailles

Je suis de la grenaille au fond d’un pot de thé,
Des brins de menue paille en vol un soir d’été,
Quelques grains de pollen en quête d’âme sœur,
Mais de la vérité… je n’ai pas l’épaisseur.

Tempo des lucioles

La musique battait des temps de fin du monde
Et des silences pleins d’inquiétudes profondes.
Alors je m’éloignais de la fête, pieds nus,
Pour voir le clignement des lucioles, ténu.

Pétra

Les sables de Pétra brûlent d’un soleil fauve
Et l’ombre des remparts nabatéens me sauve.
Un éfrit attend là, depuis plus de mille ans.
Lui de feu, moi de chair, dans l’heure, équivalents.

Soir de mousson

La terre ocre fumait. L’averse était finie.
Les enfants s’égayaient, la venelle assainie,
Leur balle de chiffons bringuebalait, folâtre,
Échouant à mes pieds, parfois. Jeu de théâtre.

Bannière

Le château de Gorfange a bannière qui vogue,
Au listel est brodé la devise épilogue,
Un « Non nisi ventus » de gueules sur azur.
Le souffle de la vie danse et chasse l’obscur.

Carte du tendre

Je suis un géographe en quête de rivages,
Et je cartographie les mains et les visages.
Au fil du temps je trace un étrange sentier
Glissant dans la forêt des belles amitiés.

Fer et plomb

Je glissais lentement sur un dôme de fer,
La chaleur irradiait, avant-goût de l’enfer,
Au-dessus, l’armada des nuages de plomb
Cinglait vers un éther peuplé de dieux félons.

Pépé

Il mettait son fauteuil d’osier dans la lumière,
Aux heures de l’été, à ses heures dernières,
Et souriait devant les moineaux qui piaillaient
Sans savoir que son cœur, lentement, défaillait.

Sur le gazon

Inutile d’aller plus loin que ce gazon,
L’humus est en dessous, le vert est l’horizon,
Je m’étends dans l’espoir d’être, entre ciel et terre,
À peine une rosée, loin de tout inventaire.

Semeur

Il avait des sachets, des graines de fleurettes
Et dans les chemins creux les semaient en cachette,
On disait qu’il était le premier des Semeurs.
Sa légende me touche et je vis… et je meurs.

Des secrets

La chaîne des secrets s’étire et se torsade,
Au pire se corrompt (l’entropie qui dégrade).
Aurais-je assez de temps pour les élucider ?
Peut-être est-ce hors du temps que tout est décidé…

Chant de l’aube

Son voile d’organdi lui frôlait les épaules.
Au bord de l’étang noir ondoyaient quelques saules.
Émue par la vision, son corps prit le tempo,
Son ode s’éleva. Des frissons sur la peau.

Abat-jour

La lampe de bureau, de son abat-jour vert,
Éclairait doucement cahiers et plis divers.
Je regardai ma main tremblante, et cette plume
Ancienne qui traça tout ce que nous vécûmes.

Heuchères

Dans la fraîcheur du clos, la fée qui me fut chère
Offrait à mon ennui la fugue des heuchères
Et j’attendais transi la seconde où l’autan
Cessait, donnant aux fleurs la grâce de l’instant.

Toute la lumière

La lumière avançait en lames dans la salle
Enfumée, dégorgeant des longues vitres sales.
Au fond, se rencognait un homme enténébré,
Redoutant qu’un rayon ne vienne le sabrer.

Foudroyant

Le cumulonimbus mouilla son ancre au bas
D’un éclair lactescent, pour son dernier combat.
Le naufrage suivit, lent comme un crépuscule,
À grands coups de tonnerre aux blêmes tentacules.

Secrets de nuages

Les planches dégrossies qui bardent le hangar
Grondent sous le vent d’est… et moi je reste hagard
À  contempler la course étrange des nuages :
J’ai perdu leurs secrets, peut-être davantage…

Aurore encore

Comme elle est belle, la lumière à peine née
De cette aurore où je m’en vais, désenchaîné !
Les blés remuent sous l’effet d’une douce brise,
Un moineau piaille et, simple, la joie est de mise.

Dédale intime

Dans l’ombre du dédale intime des couloirs,
J’erre en songeant que l’heure anime les miroirs,
Des reflets s’y invitent, sans que nul ne sache
Où sont les corps transis, derrière, qui se cachent.

Bourgeons dormants

Les bourgeons du ginkgo dorment d’éternité
Sous les rameaux dichotomiques de l’été,
Dans l’absolue confiance du bois, de la terre.
Ils ont cette patience fine, élémentaire.

Peindre

Il peint d’un geste sûr, en oubliant sa main,
Tout autant que l’azur qui cache le carmin,
Que la beauté du monde autour, ce paysage.
Il se fond dans la toile. Il est vain d’être sage.

Pépinière

L’exubérance des ronciers remplit son œuvre,
Elle offre un abri sûr aux peureuses couleuvres
Et pense au petit chêne, en sa touffeur, lové,
L’aidant à se blottir, ensuite à s’élever.

À fleur d’eau

Les lourds nuages lents de la conscience glissent
(Au-dessus de ce gris faut-il que je me hisse?)
Une pluie continue dissout le temps passé.
Je suis la goutte d’eau qui coule juste assez.

Jonchée

Les roses sont fanées, leurs pétales vacillent
Et jonchent, blancs éclats, le tapis de brindilles.
Une fleur à côté, céleste muscari,
Rend hommage aux défunts : belle, s’épanouit.

Sans temps

J’explore le néant des pensées de raison,
Lorsque le maître-temps s’estompe à l’horizon
De l’être. Un peu de moi se plonge dans l’abysse,
Un éternel instant qu’il faut que je subisse…

Éther

La profondeur du ciel a des spasmes sauvages,
Et sa noirceur m’englue dans des bas-fonds sans âge.
Il me faudrait du temps bien plus que je n’en ai
Pour prendre mon envol. Dans ce vide je nais.

Défunts murmures

Dans la vieille maison, la chambre est singulière,
On y entend des voix des temps intermédiaires,
Époques révolues de fantômes enclos
Dans des miroirs, des lits, des lampes, des tableaux.

À la vie

La vie me pousse et tire autant qu’elle me point,
Mais sans jamais savoir ou le plus ou le moins.
De cet impermanent terreau naît l’espérance…
Un sien regard suffit à faire un pas de danse.

Satin

Sous tes doigts, le satin roule comme un désir,
Il me vient le frisson d’ainsi m’épanouir
Sous eux, par la beauté d’une tendre caresse,
Effaçant toute ride… un instant de jeunesse.

Auroral

L’humus étend ses doigts de brume entre les chênes,
Énamouré des vies qui poussent, lentes et pleines.
Audacieux, quelques rais de lumière, tendus,
Viennent goûter le flot des instants confondus.

L’azur me fuit

Amoureux de la terre et de l’herbe, au-dessus,
Je vole avec effort. Le rêve est sans issue :
L’azur infiniment, cruellement, m’esquive.
Abandonné, tremblant, je vais à la dérive.

Nombres

La formelle beauté des nombres me sidère,
En contrepoint vital de celle de la terre,
Intime est la texture et grouillante la vie.
Puissé-je m’y lover pareillement, ravi.

Vive eau

La vive eau chante clair, dans mon ruisseau des songes,
Elle a la transparence humble de qui la longe,
Et je m’y laisse aller, dans mes rêves joyeux,
Éclaboussant les berges avec des galets bleus.

Déforestation

La chose mécanique a des axes rageurs,
Du bruit, de la fumée, mais pas de la sueur.
Toutes les bêtes fuient, mais les arbres font face,
Ils ont l’éternité pour retrouver leur place.

Temps plié

Le temps vibre toujours et n’a pas d’étendue,
Il suscite l’espoir que la logique est due,
Mais il n’est qu’un tissu dont les plis se confondent,
Une lisière fine aux limites du Monde.

Bouquet sauvage

J’ai couru tout le jour par les prés et les bois,
Oubliant les ronciers, la fureur des abois
Pour cueillir ce bouquet de fleurs simples, sauvages
À serrer dans tes bras, tout près de ton corsage.

Au pied du mur

J’ai surpris de la tour le chuchotis des pierres
Elles content sans fin des histoires guerrières,
Adossées l’une à l’autre et trop se souvenant
Des soldats éreintés, leurs forces déclinant.

Passe-partout

C’est un bruit lancinant, qui de l’aube à la nuit
S’insinue sous mon crâne et sans faille me nuit,
Comme une scie taillant dans le fût d’un grand chêne,
Il mord à pleines dents mon cœur, mon âme en peine.

Question du jour

Ils se sont rencontrés dans un grand cimetière,
Un parc aménagé, façon vieille Angleterre.
Un merle sautillait sur le gazon, badin.
Se pensaient-ils vivants ? Quel étrange jardin.

Art du pré

À la mort de sa femme, il posa bien des pierres
Au hasard dans son pré. Les gens riaient, derrière.
Or vu du ciel, le pré, de ses rocs essaimés
Révéla le visage de sa bien-aimée…

Dentelles

Pareillement des murs, des robes, ces dentelles
Essaient de sublimer la lumière rebelle
Afin de rehausser les galbes aperçus,
Pierre et chair dans la même beauté du dessus.

Glyphes noirs

Je vis les glyphes noirs, peuplade minérale,
Envahir d’une ruine les murs et les dalles
Écrits par la magie d’invisibles burins.
Les mots me firent mal plus que lame d’airain.

Cognée

J’entends l’arbre gémir, ses bonnes vieilles branches
Au premier vent d’orage avec des lueurs blanches,
Il a peur que je vienne abattre ma cognée,
Mais, n’étant pas de bois, je m’en vais l’épargner.

Le baladin

Les tambours tonnent, les roues grincent, la poussière
Emporte loin les joies, les peines traversières.
Elle se mêle à la sueur du baladin,
Qui chante, danse et que la pluie lave soudain.

La forêt

La forêt dans la ville a plus de cent mille ans,
Elle est la tutélaire force du flot lent.
Nul ne peut y entrer, nul ne peut la détruire.
Les citadins l’entendent, dans leurs rêves, bruire.

Jonques

Les jonques voguent loin, coques laquées de sang,
L’écume autour blanchit, l’aurore apparaissant.
Tu te tiens silhouette à la poupe, soies vives,
Une larme a gâché ton fard, goutte furtive.

Serpolet

Dans la splendeur ténue des hauteurs de l’estive,
Une subtile odeur de serpolet dérive
Et m’envahit soudain, comme un bonheur trop grand.
Les yeux clos, je m’assois. J’ai le souffle béant.

Tau

Tant de fois l’ai-je peinte au calame trempé,
D’une plume insolente fièrement campée,
Puis dans le sable avec la marée qui l’efface,
Enfin dans l’air, tremblant, perdu, la mine basse.

Imitation

Cette coupe de fruits insolents me fascine,
Éclatants, somptueux, moulés dans la résine,
Aussi vrais que nature, mais dans un désert :
Par un seul moucheron n’approche et ne se sert…

Devine

Ce mobile à l’entrée, monté de coquillages
Et de bambous dorés, tinte au moindre effleurage,
Une épaule ou le vent, j’écoute pour saisir
Les paroles cachées… là gît mon seul désir ?

Désir de nuit

Comme une ombre je crois quand le soleil descend,
L’être s’étire sans à-coup, se prélassant.
Les premières étoiles, belles, se réveillent,
Épanouie la nuit, rose noire pareille.

Bonne mine

Je n’ai pas le mordant d’une plume d’acier
Déposant l’encre avec la justesse qui sied,
J’use un bout de crayon, sa mine grasse et grise,
Ayant sur le réel, de la main, bonne prise…

Âme sœur

J’ai, de tous les humains, ton visage, connu
Le premier, bien avant, quand j’étais l’âme nue,
C’est une certitude d’avant ma naissance
Et quand je te souris, l’Univers est plus dense.

La cascade

L’eau de cette hauteur, sauvage et blanche, vole
Éclaboussant l’azur, en folles paraboles,
Et moi, passant si lent, sur mon vélo, je vis
L’instant des gouttelettes comme un don : ravi.

Céder

À genoux sur les dalles fraîches de l’église,
Il prie jusqu’à ce que son corps se paralyse.
Ici le temps s’enroule en orbes de velours.
Il finit par céder. Seul vit l’instant qui court.

Le faire

La forge tant rougeoie. C’est un cœur qui s’embrase,
Et le fer devient souple où le marteau l’écrase.
Avec son tablier de cuir, le forgeron
Passe du fer au bois. L’homme se fait charron.

Sombre sable

Dans cette intimité du songe où je chemine,
Aussitôt que je vois le sable noir des ruines,
Auquel de mes pieds nus, le sang donne couleur,
Je hurle au cauchemar… le sable est beau parleur.

Babel

La tour était bâtie de tant de mots de pierre,
Où je vis, les suivant, des routes ordurières,
Assemblages tordus de mensonges fielleux,
Qui fissuraient l’ouvrage en montant jusqu’aux cieux.

L’âge de pierre

Je connais le frisson des étreintes de pierre,
Ange et démon lovés dans les volutes fières
Et l’encens en répons qui paresse, qui dort,
Charriant les pensées des vivants et des morts…

Désir de foule

La foule a du désir la sirupeuse attache :
Ensemble vers un cap, même à grands coups de hache,
Apporte un sentiment de pouvoir enivrant,
La seule vérité de la masse. Navrant.

Au-delà de l’eau

J’abandonne le pont, je plonge dans la mer…
Les mouettes ricanent, les flots sont amers
Et m’entraînent au fond, vers les sombres abysses
Où j’espère trouver les sauvages prémices.

Tilleul

Sous le tilleul, perdu, mon regard se propage
Au velours vert argent de la voûte. J’ai l’âge
Inconscient de l’enfance où l’infini se tient
Au creux de chaque instant. Le tout est dans le rien.

La pas lisse

Tu t’attendais peut-être à quelque beauté lisse
Et tu vois cette peau cousue de cicatrices
Et rides à l’envi… le temps, le temps, toujours.
L’histoire qu’elles disent mérite un détour…

Babillerie

Tes pas dansants sur l’herbe, devant ma fenêtre
Émeuvent fort les vieux rouages de mon être
Et je souris, te voyant, Merle, sautiller,
Flûtant de joie… me voilà tout désennuyé !

Trois-Rivières

À Trois-Rivières son amour a larmoyé,
Sanglots des Basses-Terres, promptement noyés,
Rejoignant les amours perdues de tous les âges…
Au bord de ma vision passent tant de nuages.

L’écho du goéland

La mine longue et les yeux gris, tu rôdes au bout
Du quai désert. À l’heure noire et vent debout,
Tu tiens le cap de la fureur, de la vengeance…
Un goéland se fait l’écho de ton offense.

Entre-monde

Les loups de l’entre-monde avalèrent des lieues,
Longue course haletante au plus obscur des cieux,
Lacérant la noirceur en mille déchirures
Et soudain la lumière et la vie reparurent.

Lame longue

La lame longue luit sous le doigt qui caresse
Et son fil dangereux de près, lui, ne se laisse
Aborder, vil accord, qu’en réclamant le sang,
Que le métal est froid, pour la chair offensant !

Boucles

Du fond du lac où, bleues, les eaux serpentent, lasses,
En caressant parfois des élodées fugaces,
Un jour, j’ai pêché trois boucles de vos cheveux,
Belle Ophélia dans l'onde, ainsi que je vous veux…

L’aléa

L’aléa des secondes agite l’existence
Et toujours, dans l’instant d’une nouvelle stance,
Un infime détail vient défaire le tout…
Mais rester impassible, ainsi qu’un vieux matou !

Empilement

Les années s’empilaient comme des moellons gris
D’un imposant rempart, hissant les jours aigris,
Plus près d’un ciel chargé de menaçants nuages.
Haletant, tout en haut, je rêvais d’un autre âge.

Sceaux

De graver ou de fondre un caractère sûr,
Je n’ai pas le pouvoir, le plomb n’est pas l’azur.
Aussi les sceaux anciens lentement se corrompent,
Il n’en reste qu’un sens, altéré, qui nous trompe.

Eugénisme

Si vous croyez que tendre à baisser l’horizon
Des faibles, des petits, pour d’obscures raisons
D’excellence eugénique, alors où est votre âme ?
En cette nuit de loup, je grelotte à Paname.

Rouge et noir

Dans le coffret d’ébène, une bille gît, rouge
Et sur le velours noir, ballerine elle bouge,
Alors je le referme vivement. La peur
Est force singulière, et j’ai vu la hideur.

Perles tombales

D’un fil de fer rouillé, de fines perles choient
Comme un vain chuchotis de leur vie, de leurs choix…
Je me sens minéral, allant de tombe en tombe,
À l’odeur de l’humus habité, je succombe.

Veilleurs de nuit

Les veilleurs se relaient tout autour de la Terre
Au chevet des enfants pris dans les sombres guerres.
Ils fredonnent les chants des forêts, doucement,
Pour alléger un peu, dans la nuit, leurs tourments.

En rêve

Tes yeux clos, ton sourire et ce souffle léger
Me laisse deviner que tu rêves. Étranger
À ton fief onirique, au pied de l’échauguette,
Avec espoir, je clame des vers et muguette.

D’un chêne

J’eus des élancements, des douleurs vagabondes,
À vouloir me glisser dans les replis du monde.
Enfin l’ombre d’un chêne fier de sa forêt
Vint m’en débarrasser. J’y fis un long arrêt.

Larme ou sueur

J’épargne ma sueur, philtre fondamental,
À ne sourdre qu’atome infinitésimal.
Où la pure eau du cœur et de la peau s’épanche,
À l’œil, la larme n’est pas même perle franche.

Vers abandonnés

Capiteux sont les vers que veule j’abandonne
Au furieux désert des idées. Le vent sonne,
À coups de grains de sable, un carillon vengeur.
J’ai les remords sucrés du dernier vendangeur.

Modèle

J’ai laissé dans ta main les ciseaux de couture,
Et devant, le satin, la soie dans leur pliure,
Un modèle est en toi comme un être subtil.
Sous tes doigts, il éclot : de quelle essence est-il ?

Démolition

Les bulldozers rugissent au milieu des gravats,
Leur boule de métal frappe, cogne à tout-va
Les murs chancellent, choient, la poussière s’élance
Et plus haut le ciel bleu garde la préséance.

Haut silence

Pas une once de vent, les oiseaux se sont tus.
La rivière s’écoule en un silence indu.
Pas un bruit dans la rue, pas un gravier ne crisse
Et les chats jaugent l’air du bout de leurs vibrisses.

Lueur abyssale

Au plus noir de l’abysse une étrange lueur
Se plut à me sourire au point que ma terreur
Reflua dans les limbes gris de ma conscience
Et je dérivai libre, heureux de mon errance.

Ma Dame du Lac

Soudainement je vis ton visage effaré,
Sur la rive du lac où j’étais égaré,
Puis ta chair incertaine aux lueurs éphémères.
Interdit, je te pris dans mes bras, toi, première.

Disparition

Le grand vide s’étend partout, dans notre corps
Et ton absence aussi, continûment, me tord.
Aussi m’est-il venu l’idée de ne pas être.
Allier nos deux absences, de ce temps, renaître.

Mimosas

J’arpentais lentement le mail des mimosas
Bien qu’il n’y en eût plus, quand le fantôme osa
Répandre sa fragrance en brumes vaporeuses
Et je souris, si loin de ma gâtine heureuse.

Des thés

J’ai des thés la peur bleue, diffuse du mélange
À moins que le destin dans sa folie n’arrange
Un innocent rancard et qu’à portée de main,
Ne vienne éclore, unique, une fleur de jasmin.

Sombre cours

La galaxie tournoie, majestueuse et lente.
Autour, l’énergie noire, immobile, accablante
Essaie de détourner des étoiles le cours.
Le froid de l’Univers s’étend. J’ai l’esprit gourd.

Gueuloir

Je chante un petit peu, mais voix est hésitante
Et, n’ayant de Flaubert cette belle gueulante,
Il me reste à jouer de la mine et du mot,
Pour survivre poète en tuant le grimaud.

Sous les tilleuls

Dans le parc des tilleuls, piaillent mille moineaux
Tu t’es assise un peu sur le banc. Moi, penaud,
Je n’ose t’y rejoindre. Il est près de cinq heures.
Un instant le destin, sur ma planète, affleure…

Déviation

Devant, l’effondrement déchire la chaussée,
Impossible d’aller plus loin. Je suis coincé.
Je regarde le gouffre ouvert, avec prudence.
Est-ce un signe d’arrêt, de détour ou d’errance ?

Maison vide

Les plâtras fissurés dans le couloir menacent,
Au fond, c’est l’escalier menant vers la terrasse.
Avec lenteur, j’arpente, interdit, la maison.
L’absence me fait peine, plus que de raison.

Fétuques

Je marche sur l’ombrée. Les fétuques ovines
Autour frémissent tant ! J’aime leurs feuilles fines
Et leur chanson du soir, sous la brise d’été
Que je respire… une heure de félicité.

Satin

J’ai vu dans le satin bleu nuit de ce foulard
Comme un espace dense où nichent des milliards
De points enluminés dans le creux de la trame,
Voluptueux émoi du cœur d’un hologramme…

Bristol

J’aime le bristol noir où les timbres s’alignent,
Insérés avec soin, riches de tant de signes,
Accrochés au cristal de leur balcon étroit,
Ne redoutant de moi qu’un geste maladroit.

Noblesse oblige

Sur le capot d’une voiture, il se perchait,
Le vieux chat noir, l’allure austère et se fichait
Des ridicules prétentions des hommes liges.
Il surveillait son univers. Noblesse oblige.

Nourricière

La terre encore attend les graines à semer,
Sans machine, au plus près des hommes affamés,
Les semences germées, le ciel vient au secours
Et la vie nourricière pousse tout autour.

Marée brune

Le chaos se répand comme une marée brune,
Entropique, menteur et sans mémoire aucune,
Avilissant l’humanité, dans cette humeur
Qui tire toute vanité de ce qui meurt.

Infini de feuilles

Au-dessus de ma tête, la ramée défile,
Un infini de feuilles, nuances subtiles,
Une palette pleine de jaunes, de verts,
De bleus… je dois rêver, c’est encore l’hiver.

La libellule

La libellule luit par un soleil d’acier,
Voletant çà et là, le panache princier,
Dans le miroir de l’eau, son double suit la danse
Et je sais qu’entre deux, je vais trouver la transe.

Tes yeux

Je devrais te le dire avec des mots précieux,
Regardant le fond noir unique de tes yeux :
Ce frémissement fin d’un amour qui se livre,
Au bout de l’univers et si près, me rend ivre…

Cheveux

Ma vision des cheveux, qui sans un souffle ondoient,
De ton visage aimé, me fascine et, pantois,
J’essaie d’appréhender le plus grand des mystères
Où floue ta chevelure échappe à cette terre.

Lac noir

L’antre sur pilotis qui me sert de refuge
Au milieu du lac noir, arche de mon déluge,
A grincé cette nuit, comme pour m’avertir
Que ma vie ne renaît que de l’anéantir.

Renouveau

Le pourpre des lamiers crie sa soif de lumière,
En dessous, le parvis des véroniques fières
A de l’azur ravi la teinte, à pleines fleurs…
Le printemps chasse un peu l’hiver de ses couleurs.

Chien, chat

Le chien danse au milieu de touristes hilares
Autour de son cou sonnent des grelots barbares…
À côté, sur un mur, impassible, un félin,
Qui lui ne confond pas le vide avec le plein.

Œil

Dans les ténèbres luit quelque œil incandescent,
Bête, humain, feu, qu’en sais-je ? À cette heure où passant,
Nul n’ose errer, je vais, transi d’incertitude,
Essayant d’assouvir ma noire assuétude.

Pervenche

L’ombre des hêtres rouges a des reflets sanglants.
Je marche sur la sente, ému du rythme lent
De la forêt. Chuchotent les feuilles, les branches
Et soudain, près du sol, la vue d’une pervenche.

Rondeur

Il n’y a rien qui presse, il faut laisser aller…
Je regarde passer les nues dans la vallée.
Le temps me porte jusqu’à la rondeur des choses
Où plus rien ne retient les effets ni les causes.

Watts

Le volume insolent des baffles me révulse
Et mon sang se défait quand l’air tout autour pulse…
Un instant machinal. La musique perd pied.
Pourquoi me suis-je mis dans un pareil guêpier ?

Détails

Lors je vis cette estive… une vision si dense,
Où chaque fleur, chaque herbe, avec exubérance,
Offrait à mon regard les détails enchantés
Dont toutes les échelles créaient la beauté.

Ma poussière

Des mots, l’hémorragie, de rage, coule trop
Comme le plomb figeant les éclats des vitraux.
J’attends que le soleil me noie dans sa lumière,
Et qu’envolée, voulue, brille cette poussière.

Dans le sable

Il mélangea des diamants bruts aux grains de sable
Et puis mourut (pour rester dans l’inconnaissable).
Une marée plus haute déposa son corps
Au-dessus d’où les pieds nus foulaient le trésor.

Cabochons

Le pommeau de ma canne en loupe de noyer
Donne, prenant de l’âge, un beau lustre émaillé,
Mais on devine encor deux cabochons d’agate,
Enfouis dans le bois dur, comme des yeux de chatte…

Bonne guerre

Je fus à l’unisson des chuchotis de guerre,
Imaginant naïf les despotes à terre,
Or vinrent les tambours sonores des canons
Fascinant les marchands… qui ne dirent pas non.

Temps pis

N’en puis-je plus, qu’un temps de cette sorte vienne
Et me voila transi, victime des sirènes ?
Aux douceurs de l’été, je tends, mais sans penser
Que l’on ne peut qu’ici, dans cet instant, danser !

Parvis

Comment t’aider, si tu ne cries, que pas une onde
Ici ne vienne me toucher d’entre les mondes ?
Hante ces lieux de cathédrales , de parvis
Que j’ai bâtis, dans l’espérance de ta vie.

Borné

J’ai deviné le mouvement de l’infini
Sur ce segment qui jamais ne se dégarnit
De points subtils, tels que jamais ils ne se montrent,
Au bord duquel, je t’ai vu… mauvaise rencontre.

Volume

De l’encyclopédie, le dernier volume a
Des points de suspension, comme une île, d’un mat,
Que l’on espérerait, dans le feu de l’aurore
Avant que le premier oiseau ne corrobore…

Feuille d’or

La feuille d’or s’étend, finement martelée,
Par le maître doreur. Le métal étalé
Se nourrit de son art comme de sa patience
Et finit par livrer toute sa transparence.

Île noire

L’île sortit de l’eau, ce matin, sans un bruit,
Je la vis de la berge, enténébrée de suie,
Défiant les flots bruns du fleuve débonnaire,
Et je sus de la vie l’essor imaginaire.

À court

Mon souffle est court, je sens la peine accompagner
Chaque seconde, à ma façon d’être empoigné.
L’air des poumons, telle une craie, brutale, crisse
Et donne envie de fuir la fin dévoratrice.

Glane

Dans le tumulte blanc des pensées nébuleuses,
Un jour tu te saisis, de fait un peu voleuse,
Étonnée, d’un concept ayant encor du sens…
Joyeuse, ta raison monta comme un encens.

Figure de l’eau

Je parvins à tirer de l’eau de la fontaine,
Une eau de vive terre, à la source incertaine,
Et je vis ton visage, un étrange reflet
Qui parfois souriait, parfois se boursoufflait…

Formes

Cela fait si longtemps que je n’ai vu les formes,
Ombrées, fuligineuses, guettant que je dorme
Afin de resserrer sur mon cou les lacets,
Suant l’angoisse noire où je me prélassais…

Poussée des jours

J’ai mis l’oreille à terre, écouté les racines,
Un murmure confus de sève qui s’échine
À remonter le cours, devançant la saison…
Je n’ose aller plus loin dans la comparaison.

Au sable

Est singulier le corps qui de sable se pare,
Insensible à la haine, à la guerre barbare,
Est abondant le sable emporté par le vent,
Qui se joue de l’usure et va toujours gravant.

Quel ordre ?

Je récite les noms des objets qui me cernent,
En espérant trouver du sens, une gouverne.
Or le chaos s’installe et progresse, têtu.
La kyrielle des noms n’empêche qu’il me tue.

Inaptitude

Les lumières m’assaillent et les sons me harcèlent,
Un monde imaginaire ou réel m’ensorcelle…
Inapte à discerner l’un de l’autre, je sens
Que je ne suis plus être de chair et de sang.

Tortue

Une question de souffle, une réponse tue…
J’avais le sentiment d’être un peu la tortue
Qui jamais ne parvient à franchir la distance,
Ayant à distiller chaque seconde intense.

Sous les voûtes

Je n’entends pas, je tremble, à force de silence
Et les voûtes de pierre ont toujours de l’avance,
Elles comblent le vide et nourrissent l’arrêt
Des pensées, des amours qui meurent sans après.

À l’auberge

L’auberge reculait dans de sombres alcôves.
Allant dans le couloir aux maigres lueurs mauves,
Éperdu, je cherchais l’issue de tout cela,
Quand soudain, devant moi, le miroir se fêla…

Zénith

Un bref instant je crus que j’étais à portée,
Du ciel tant son zénith avait l’aura bleutée.
Le souffle court, l’émoi, la beauté, l’altitude
Offraient à cet endroit tout de la plénitude.

Tu souris

Les yeux clos, je veux voir ton visage chéri,
Tel le Chat du Cheshire, en premier tu souris ;
Puis tes yeux sous mes yeux font de pâles étoiles
Et j’en oublie le temps, ma crainte viscérale.

Pensée de fleur

Les parfums retenus des fleurs et de la terre
Hantent nos souvenirs, les miens sont délétères.
Une anémone m’a confié cette pensée :
« Naissez, vivez, mourez, tous les pas sont dansés. »

Parchemin

Il était temps de replier le parchemin,
Qui, nomade, avait circulé de main en main ;
J’observais plus attentivement la pliure,
Un sang noir semblait sourdre, comme une blessure…

Serin

Je t’observe, serin, qui trilles sur la branche,
Avec tout le sérieux du monde, une avalanche
Aiguë de cris roulés. Ta joie me fait du bien.
Ton chant même guérit du mal baudelairien.

Tram

Entre ciel et pavé, je suis debout, fragile,
Un golem effrayé d’être plus que l’argile,
Un tramway feule, rage et crache ses embruns.
Je monte dans la rame, à court d’alexandrins.

Des cendres

Je suis toujours tes pas infiniment gravés
Dans l’océan de sable où tant je t’ai rêvée,
Soudain, le vent se lève, un vent mauvais de cendres
Et le chaos cruel du monde va s’étendre.

Sans amour

Je fais un bref séjour dans un lieu sans amour,
Des fils arachnéens de pouvoir tout autour,
Englué peu à peu dans la toile vorace,
Heureusement tu viens aimante et tu m’embrasses.

En marchant

Nous pensions qu’en marchant, s’userait le destin,
(pour ce qui est de nos semelles, c’est certain)
Mais telles nos besaces, allégée fut notre âme,
Ainsi, fi du destin… Ravis, nous cheminâmes.

Panthera

Tout est dans la lumière, infiniment caché,
Le cœur de la matière est obscur, écorché
Par des crocs de félin, œuvre au noir délétère,
Aux sources des rayons s’abreuve une panthère.

Chevêche

Lent rapace je suis, nocturne et plane loin,
Mes ailes silencieuses n’ont pas de témoin.
Pas un trotte-menu que je ne puisse entendre.
En chasse, d’ululer, je ne puis me défendre.

Pavage

Je regardais le sol avec intensité,
Les fissures, les trous, les couleurs fragmentées,
Comme si mon regard pouvait y faire naître
Une illusion de vie dont j’étais le seul maître…

Sente absente

C’était un chemin forestier où seuls passaient
Bêtes et gens, peut-être dryades qui sait,
Ce chemin s’est lui-même effacé sous les feuilles,
Aux premières fumées des moteurs qui l’endeuillent.

Mésanges

J’entends le gazouillis des fringantes mésanges
Et suis assis tout près de ces petites anges,
À les voir picorer les graines dans la joie
Toute simple de vivre, à l’aube qui rougeoie.

Slow

Tu me presses la main, froide comme l’aurore,
Et ta douce chaleur m’atteint, me revigore.
Alors sur ton visage un lent sourire éclot
Comme un rond de lumière, éclairant notre slow.

Le noir Palais

Les statues rouge-sang, sur le faîte, alignées
Contemplent les gargouilles, gueules renfrognées.
Les ténèbres glacées suent des relents de goule
Et les suaires noirs se déchirent, s’écroulent.

Buse

La buse s’envola dans un silence plein,
Ses ailes déployées, souples comme un félin.
Je vis, en bicyclette, au loin, l’oiseau rapace,
Imaginant sa joie, rêvant d’être à sa place.

Papier de soie

L’enveloppe est doublée d’un papier de soie gris,
D’où je sors une lettre au parfum défleuri.
Son écriture est fine, et l’encre couleur cendre
Avoue des amours mortes, dit les heures tendres.

L’heure des livres

C’est une pièce sombre, où le bois prédomine
Et la cire adoucit les lueurs qui cheminent
En suivant les lambris, les caissons chantournés.
La nuit, les livres seuls vont me désenchaîner.

Au-delà du loup

Toi l’hôtesse aux yeux gris tapis derrière un loup
De velours où, cousus, des saphirs andalous
Ne rivalisent guère avec ta beauté sage,
Oseras-tu montrer au fond, toute ta rage ?

Bronze

La paroi métallique a l’épaisseur des tombes
Et le bronze forgé d’avant les catacombes
Ébruite les pensées des morts et des vivants,
Nul n’a su la franchir, et nous sommes devant…

Vraiment libre ?

La liberté m’épuise, on est si bien, reclus
Dans son imaginaire et ses histoires lues,
La vérité m’infirme avec son paysage
Où l’égo déambule imbu de son mirage.

Tonnelle

La tonnelle est feuillue, les abeilles bourdonnent,
Une assemblée joyeuse en dessous polissonne
Et moi, l’enfant distrait, trop sage sur le banc,
Qui saute dans l’azur et meurs en retombant.

Juste ciel

Sans l’ombre d’une foi, juste l’inconsistance,
En équilibre j’erre, entre vide et absence.
Un peu de mon égo subsiste à l’horizon,
Dans le dédale blanc des pensées sans raison.

Eau vive

Ton bras, tel un sarment sur lequel l’eau s’écoule
En cordons argentés qui scintillants s’enroulent,
Entre dans l’onde bleue quand l’autre vif jaillit.
J’ai, goutte sur ta peau, dans l’instant, tressailli…

À façon

Aux douces heures du sentier, je vagabonde,
Une nuée d’oiseaux s’envolent à la ronde
Et les bêtes menues trottent dans les buissons.
Ils m’observent aussi d’une même façon.

Matière à aimer

Tant pis, je t’aimerai, matière qu’entropise
En continu le temps, plein de sa couardise.
Un ciel bleu me sera de quelque utilité…
Peut-être aussi le don gratuit de ta beauté.

Gageure

Les perles du collier se sont éparpillées,
Sur le dallage bleu, mais tu n’as pas cillé.
Toutes se sont rangées dans la même rainure…
Exactement dans l’ordre du collier… gageure ?

Vision nocturne

Songeant au ciel de nuit, sa voûte m’apparaît,
Les yeux clos, dans mon lit, mon cerveau sans arrêt
Projette des visions… mais ton minois se cache
Il me faut te trouver, tu es là, que je sache…

Ombre fuyante

En longeant la muraille en briques de l’usine,
À l’arrière mon ombre traînait, cabotine.
Elle se détacha de moi, sans un soupir,
Et mes yeux larmoyaient de la voir se tapir.

Homme peint

J’étais un homme peint. Sous la peau, les pigments,
Au-dessus, l’air glacé d’un matin véhément.
La terre me reprend. La mort me décolore.
Et les tons du rosier doucement s’élaborent.

Rai

Sous le dais de bambou, ce rai de soleil trace
Un code sur ta peau qui rehausse la grâce.
Ai-je le sens du jeu, de ce lent mouvement ?
Dois-je t’en avertir ? Si je me tais, je mens…

Secondes

J’omets de préciser la singularité
Des secondes tapies dans ma tasse de thé.
S’échouant dans le fond d’un gosier sans constance,
Elles suivent le flot moléculaire… et dansent.

En vers

La boîte de Pandore déversa les mots
Des désirs enfouis, des camées, des émaux.
Le bâillement spectral de la boîte fut large
Et les vers ne pouvaient contenir cette charge…

Juste un sourire

Stop ! Arrêt sur image ! Un sourire furtif !
J’ai saisi ton langage, moi l’inattentif.
Une bulle d’air pur dans ce sourire éclate
Et la joie nous saisit, l’un et l’autre, béate…

Valeurs

Je n’ai pas dit mon dernier mot, je te le laisse
Ô toi l’homme qui veut toujours que l’on s’abaisse,
Aux yeux duquel brillent les gloires de l’argent.
Tu as dû rire (ou grincer) que j’aime les gens…

Rhombe

Il chantonne sous la rafale giratoire,
Élégante silhouette pâle de l’ivoire,
Or le Temps sait qu’ainsi l’on remonte le cours
Et l’univers sourit de cet éclat d’humour.

Safran

Une jolie lueur nimbe ta chevelure,
Au feu de cheminée qui rougeoie et perdure.
Encore un peu la flamme de ton regard prend
Cette couleur fugace et rare du safran.

À pas cédés

J’aligne mes pas sur les courbes de la Terre
Et mes bras sont des ailes gonflées de mystères
Où le vent souffle j’ai des regards appuyés,
Mais la sagesse vient en douce de mes pieds.

Aux liesses

Que je chante à tue-tête et le monde scintille,
As-tu, belle, passé ta robe de brindilles ?
Un piano doit jouir d’un air de boléro…
Naissons, tout piaillant, vifs comme des passereaux !

Or béant

Un antique denier, clou de la collection
Inachevée, se joue de mon observation.
J’admets sa singulière place dans la boîte
Et tu peines à confier ton trésor numismate.

Ravi

Elle est bohème et quand l’ombre du soir s’étend,
Tombe en longue glissade vers le noir étang,
Fée dive et alanguie. Quand elle siffle et chante,
En confiance le merle arrive. Heure touchante.