Lever de brume

La brume et le silence, intimement mêlés,
Font de chaque seconde une seconde ailée.
Le tempo des volutes bat, lent, la mesure,
Et les vapeurs frangées, singulières, s’azurent.

Alliance à la mer

Je fixe l’océan, dans l’espoir que la vague
En douceur à mes pieds laisse choir cette bague,
Alliance perdue lors d’un naufrage ancien…
L’or ne se corrompt pas. L’amour est magicien.

Vide en plein

La densité de l’or ne peut chasser le vide
Et je chois tout au fond d’un abîme sordide,
Assemblage incertain d’atomes singuliers
Que ronge l’entropie… rien n’est toujours lié.

Vagabond

Le sentier se dérobe au pas du vagabond
Le fourvoyant sans fin, dans l’air nauséabond
Des marais de l’oubli. Je l’ai vu dans la brume.
Il me ressemble tant, quant à son amertume.

Neiges éternelles

Si peu de neiges éternelles, ça me glace
Un peu le cœur que le roc ait volé sa place,
Altier, le minéral tente d’autant briller…
Au fond de moi, la neige n’est pas oubliée.

Bouquiniste

Dans cette librairie se pressent tant de livres
Ayant échoué là, comme tel bateau ivre,
Encore émerveillés des phrases qui les font,
Mais déjà déchirés d’être dans les bas-fonds.

Au réveil

Le réveil fut serein, comme une éclosion lente,
Une raie lumineuse était insinuante.
À mes oreilles, fort, un étrange tempo
Battait. C’était mon cœur, répugnant au repos.

Heurtoir

La porte est piquetée de clous pentagonaux
En quinconce. Un heurtoir, composé d’un anneau
Trouant le mufle noir d’un molosse farouche,
Attend mon geste indu. Faut-il que je le touche ?

Synergie

Mon immobilité n’est qu’un vide trop plein
D’atomes agités en réseau cristallin.
Telle aussi ma prière, émois d’abord en foule,
Évoluant en ronde élégante qui roule.

Herbe et vent

La houle des épis sous les rafales vives
A fait jaillir du pré des forces convulsives,
Ému, j’y vais, je crie, je pousse mon élan
Dans cet air si véloce et ce remous si lent.

De paille

L’ossature de bois, la paille de l’été,
Tout dans cette maison concourt à l’enchanter,
Mais ta présence seule est chose singulière,
Un parfum de désir, une grâce légère…

Hôtel

L’hôtel est à l’écart des fastes de la ville,
Austère, silencieux, la devanture hostile.
Hier j’y suis allé. Peut-être y suis-je encor,
Que suis-je quand l’esprit méprise autant le corps ?

La jetée

Il suffit de s’asseoir au bout de la jetée,
Là-bas, les pieds ballants, l’âme désenchantée
Puis écouter la houle, inlassable conteuse,
Y sentir la vigueur de l’eau, voluptueuse.

Javelle

Dans le métal poli de la faux qui moissonne,
Un nuage apparaît, brebis d’avant l’automne
Et les javelles d’or se dressent dans le champ.
Que je t’offre ce soir la plus belle, fauchant !

La Forêt des Livres

J’ai longtemps cheminé dans la Forêt des Livres
Où les feuilles sont pages quand fleure le givre
Et j’ai vu la beauté des poèmes sylvains,
Juste un bruissement doux, sans morgue d’écrivain.

Château des vents

Dans le château de pierre est le château des vents,
Visible quand les feuilles mortes vont rêvant,
Tourbillonnantes comme belles demoiselles,
Aux bals du temps jadis. Le vent danse sans elles.

Vrac

Te complaire à m’offrir, sur un papier vergé,
Ces mots lâchés en vrac, à peine dégorgés,
Ne saura m’émouvoir. Souffle encor sur les braises
Afin de transmuter peut-être ces fadaises.

L’au-delà

L’au-delà, belle idée que la fièvre dévore,
À se vouloir tenir dans le creux d’une aurore,
À sa place, lové dans l’ordre universel,
Et s’y mentir, niant la mort, l’unique sel.

Muse

Lorsque tu n’es pas là, l’espace se déchire,
Et je crains la fissure noire qui s’étire.
Elle est blanche au milieu du texte que j’écris…
Noire ou blanche, elle est source en moi d’un même cri.

Danse de poussière

Un peu de vent et de soleil, et la poussière
Acquiert sur le mail une grâce singulière,
Elle danse ténue, grise ou paillettes d’or,
Selon que le soleil éclaire le décor.

Air de cathédrale

J’écoute chaque jour un air de cathédrale,
Au cœur de la forêt, la splendeur minérale,
À la vue d’étourneaux dans un ciel rose et bleu,
Mais surtout ton sourire et l’éclat de tes yeux.

Ces mots

L’encre à peine séchée que déjà je l’oublie,
Ce poème bancal à la rime affaiblie,
La poésie me tient, l’écriture est si vaine.
Un torrent nauséeux de mots toujours m’entraîne…

Choc

L’arbre s’épanouit sur le bord de la route,
Il a connu des guerres, rien qu’il ne redoute,
Or, soudain, une auto sans freins s’y aplatit…
L’arbre est sauf, mais dès lors, d’un remords il pâtit.

Le temps d’un éclair

Sous les nuages lourds, je bayais, quand soudain
Un éclair aveugla les fleurs de mon jardin.
Le temps figea son cours, seul je bougeais encore,
Errant dans la blancheur d’une éternelle aurore.

Le choix

L’église avait surgi du brouillard comme une île.
Âme errante, j’entrai dans la nef immobile,
Un silence de tombe aussitôt me transit.
L’œil de la lampe, au fond, semblait m’avoir choisi…

L’été

J’ai distillé l’été dans une folle fiole,
À la robe d’automne, au fin col de corolle,
Et l’ai mise au plus près des choses attendues,
Des espérances bleues, des vertes étendues.

Fétu de paille

Je suis un blond fétu de paille qui volette
Au gré d’un vent maraud prêt à conter fleurette,
Une alouette passe et dans le bleu du ciel
Me propulse joyeuse, moi, l’inessentiel.

Applis

Tu files, la parfaite fuite de toi-même,
À faire ces efforts pour que la foule t’aime.
En vain. Tu vis d’applis. La vérité s’en va.
Ton veule élan ne pousse qu’aux veules vivats.

Métalliques

Poutrelles, mâts, pylônes follement se dressent
Avec rivets, boulons, haubans qui tirent, pressent.
Y palpite la chair encagée. Sa langueur
Suinte. Ses élans ne sont pas ceux du cœur.

Fleur pressée

 Un pétale de fleur entre deux livres m’a
Tiré deux ou trois larmes, comme au cinéma.
Je n’ai rien dérangé (c’est le temps qui l’emporte),
Abandonnant la pièce. Elle a gémi. La porte.

Vieux rouages

Ces rouages de bronze ont-ils jamais tourné ?
Devant moi, l’appareil éventré, décharné,
Garde farouchement le sens de ses mystères,
Un vieux néon crachote au-dessus… Qu’on l’enterre !