Ci-gît

Fidèlement je vais sur la pierre couchée

Déposer quelques fleurs sous les rameaux penchés

D'un chêne qui se tord sous la douleur des hommes,

Ô famille chérie qui dors du dernier somme.

Migrations

Le nuage vieux rose était sur gris de plomb,

Les v des grues cendrées ondulaient, dans un long

Vol . J'écoutais muet leurs cris d'alarme rauques

En retenant mon souffle, assis dans l'herbe glauque.

Arcane

Les salles sont creusées au cœur des murs trapus.

Les clefs sont dans la terre et nul n'a jamais pu

Les exhumer. Le jeu a perdu ses joueurs.

Le secret se devine en observant les fleurs.

Bird

Tes doigts effleurent les touches, comme ta bouche

Happe le bec, qui vibre comme un oiseau mouche,

Tu pars dans un délire luxuriant de lyres,

Ta musique me touche, m'enroule et chavire.

Prétentaine

Les brumes sont rampantes à cette heure du soir

Et la ville se tord dans un film blanc et noir,

Je t'ai perdu de vue, tu fuis les lampadaires

Et ta cape de fée claque sur les barrières...

Au soir

Les châtaignes grillées sont sur la cuisinière

On les entend craquer d'une belle manière

Et je tranche le pain tout chaud sorti du four.

Je remets du bois en attendant ton retour.

Élancement

Les muscles se nouaient pour chasser la douleur,

Quand le corps se souvient, la mémoire fait peur

Et de ses vagues lentes, un cauchemar serré

Choit dans le pot au noir : que vais-je en retirer ?

Vanité

La chapelle m'attend, la lumière est secrète.

Au bout de la prière, un gouffre de poète,

Alors ne pas céder à la rage du temps,

Épanouir son âme au souffle du néant.

Route de la soie

Le foulard sur ta peau, de soie liquide, coule,

Épars, jaune safran, sinue sur ton sein, roule

Ou gonfle sous le vent puis claque sur tes reins

Pour finir à tes pieds, sur le sable, serein.

Ronde

Vif écureuil tu romps ta volute si rousse :

Le fut du hêtre lisse, en cadence courrouce

Une sittelle en quête d'un trou dans le bois.

Que jamais l'un sans l'autre en cet arbre ne soit.

Noir sur blanc

Tête de bois, mine, crayon, tu me tenailles.

En vierge lice tu sillonnes mes entrailles.

Cheval fourbu, je peine quand la vérité

Fuit devant moi vers des hauteurs imméritées.

Tranche de vie

Sur cette table usée, de chêne solitaire,

Nouée comme ces mains qui œuvrent à la terre,

Au mitan, se tenait le pain de pleine vie

Qui pour les hommes donne et la croûte et la mie.

Complainte océane

Le courant lent replonge au fond de la mer grise,

Entraînant la noyée dans la nuit des banquises.

Hommage fut rendu sur le pont du steamer.

En écho les baleines ont entonné leurs pleurs.

Hors saison

Les chats rodent anxieux dans les maisons hantées

A chercher sans faillir les portes sur l'été.

Que n'ai-je donc suivi cette foi animale

En un possible été, dans ma peau hivernale ?

Poverello

Par les monts ombriens tout de douceur offerts,

Je vais dans les multiples tons, du vert au pers,

Sans hâte le soleil, d'or, quelques fleurs sertit :

Huit siècles n'ont pas pu tuer les fioretti...

Foliole

Du trèfle, unique feuille à n'en pas avoir trois,

Tu pointes vers le ciel et, quel que soit l'endroit,

Ton limbe avec ardeur approche la lumière

Au point que je me fonds dans cette faim première.

Piège

Le bois contre la pierre en étreinte paisible,

A l'orée d'une sylve, au manoir indicible

Où j’amasse mes joies, mes rêves et mes peurs,

Le loup patient m'épie, prêt à saisir mon cœur...

Fortune

Je me souviens de vous, assise sur un banc

Dans le parc Montsouris, votre jupe tombant

Sage, sur vos genoux, mais qui peut donc séduire

Autant que vous, sereine avec votre sourire ?

Histoire drôle

Les Rishi sur les sommets sacrés vont ainsi

Tous les ans raconter vers le Ciel un récit

Qui puisse déclencher le fou rire du Père :

Une larme, un Déluge, parfois noie la Terre...

Frondaisons

La nuque dans le creux des mains, couché dans l'herbe

A regarder le marronnier, ses fleurs superbes

Abuser du soleil de mai dans les rameaux,

Je chantonne un vieil air de jazz, notes et mots.

Gros temps

L'océan me dévore à grands coups de marées,

Ses vagues sans faiblir roulent en rangs serrés

Sur les sables vaincus, les rocs noirs se démènent

Et l'écume bondit, mugissent les sirènes.

Fiat lux

Cette flamme vacille et l'autre file droit,

Rien ne diffère autour, en ce lieu de beau froid

Qui puisse dire en quoi l'une d'elles frissonne :

Un désir d'ailes, d'âme ? Une faux qui moissonne ?

Sauvé des eaux

À la volée j'ai rattrapé ton doux sourire

Avant que les nuages noirs ne nous déchirent,

Un petit sourire timide au fond d'un lac

Et quelques larmes au-dessus, juste un flic flac.

Ciel ouvert

Trois heures du matin, soudain j'ouvre les yeux.

Je scrute la pénombre et contemple les cieux.

Le plafond n'est plus là, tout est rempli d'étoiles

Et le vertige court comme un vent dans les voiles.

Danse avec la terre

Nous sommes dans la ronde à nous tenir les mains,

Dans nos cheveux, piquées, quelques fleurs de jasmin,

Nos pieds filent légers mais ils courbent la terre

Et l'espace et le temps : nous sommes le mystère.

Stèle

Le menhir bleu gisant, gravé de runes, dort

Au fond de la forêt de Huelgoat en Armor.

Il cèle, sous le roc, le cœur du barde Ossian

Qui d'amour bat encor pour la belle Morgane.

À tituber

Faire un pas de côté, faire un pas de travers,

Pour inciter le monde à marcher à l'envers,

Nous sommes des enfants de folie, de sagesse,

Au bout de la jetée nous allons … ad patres.

Invocation

Fluette, levantine, en caressant le dos,

De basane relié, du grimoire in-quarto,

Tes yeux bleu célestine ont brillé sous ta frange

A tes instances lues qui séduisaient les anges...

Pause café

Pensive, remuant son café lentement

Elle courbe la nuque, un geste désarmant,

Quand le soleil s'y pose, et toute la lumière

Envahit ses cheveux : la magie me sidère.

Dhyāna

N'est pas vivant qui veut, l'illusion se déchaîne

Et le désir me glisse à portée des sirènes,

Observant la pensée qui passe et se tarit,

La singularité du vide épanoui.

Impasse

Dans un bloody mary d'un bar rue Vaucanson,

Je contemplais le verre où nageaient deux glaçons.

Mimétique, la fille aux yeux des mers australes

Me sourit d'une bouche au rouge cannibale.